Cette nouvelle phase de la crise dans laquelle l’économie mondiale est entrée et qui ne présage rien de bon<!-- --> | Atlantico.fr
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"On aurait voulu que les gens fuient la monnaie que l’on ne s’y serait pas pris autrement."
"On aurait voulu que les gens fuient la monnaie que l’on ne s’y serait pas pris autrement."
©Reuters

Bis repetita

L'économie entre dans une nouvelle phase faite d'impulsions anarchiques des gouvernements. Au final, peu de résultats, des bulles qui se juxtaposent et un équilibre une nouvel fois mis à mal. Des prises de risques démesurés pour trouver de nouveaux rendements comme si la crise de 2008 n'avait pas suffi.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Nous avons le sentiment confus qu’une phase nouvelle de la crise est en train de se dérouler. Il est possible que cette phase ait commencé il y a quelques mois déjà. Il est possible aussi qu’elle soit entièrement nouvelle. La situation dans laquelle nous nous trouvons est complexe. Les forces qui sont à l’œuvre sont entremêlées ; ce que l’on appelle "la situation" recouvre en fait plusieurs situations qui glissent les unes sur les autres. Nous allons tenter de mettre un peu d’ordre. Sans grande prétention à ce stade.

Il est incontestable qu’une étape nouvelle a été franchie. Nous la caractériserions par le « coûte que coûte ». Les autorités monétaires mondiales ont pratiqué une escalade sans précédent dans la prise de risques. C’est évident pour les Etats-Unis de Bernanke qui tentent d’enfoncer à fond la pédale d’accélérateur monétaire alors que le moteur économique frémit à peine. C’est vrai du Japon qui vient de décider d’accepter jeudi dernier d’utiliser la bombe atomique et de mettre sur le tapis 1,4 trillion de dollars en deux ans. Kuroda a l’audace d’annoncer qu’il veut doubler la masse monétaire au cours de cette période ! Thérapie de choc qui illustre bien notre caractérisation de « coûte que coûte ». C’est vrai aussi, s’agissant de l’Europe ; mais là, nous en sommes au stade des déclarations d’intentions et des promesses puisque le gros bazooka de Draghi n’a pas encore été vraiment utilisé. Pour l’Europe, nous serions tentés d’ailleurs de dire que l’on est en train d’explorer une autre voie pour faire en sorte que les gens fuient devant la monnaie. N’est-ce pas ainsi, par exemple, que l’on peut interpréter l’incroyable décision d’oser menacer les dépôts bancaires ? On aurait voulu que les gens fuient la monnaie que l’on ne s’y serait pas pris autrement. Laissons-là pour aujourd’hui, nous aurons l’occasion d’y revenir.

Quand nous disons « nouvelle phase », nous visons également quelque chose d’autre que ce que nous venons de décrire : cette nouvelle phase est celle que nous qualifierons de « phase de doute ». Dès lors que le « coûte que coûte »  ne donne pas les résultats attendus, il est normal que le doute s’installe. Au lieu d’accélérer, l’économie américaine redevient hésitante, comme le prouvent les derniers chiffres de l’emploi. Au lieu de chuter comme espéré, le yen refuse d’obéir aux impulsions de la Banque Centrale. C’est peut-être la réapparition des inquiétudes européennes qui explique tout cela. Et si nous interrogions Bernanke, c’est certainement ce qu’il nous répondrait. Mais c’est peut-être aussi autre chose : on est peut-être en train de buter sur les limites des politiques monétaires. Écrasées par le poids des dettes globales, les économies mondiales n’ont peut-être plus la possibilité de transmettre les stimuli monétaires comme les maîtres de l’univers l’espéraient. Avec 200 trillions de dettes globales, peut-être que l’économie mondiale souffre d’asphyxie. Nous vous rappelons qu’en 2002, la dette globale ne représentait, si l’on peut dire, que 80 trillions.

Ce qui nous frappe, c’est que les marchés d’actions ont du mal à franchir de nouveaux records significatifs. Le marché phare mondial, le S&P500, a certes inscrit de nouveaux sommets marginaux, mais ce sont des sommets bien faibles, voire inquiétants. Peu de volumes, peu d’enthousiasme, peu d’effet de boule de neige, à un point tel que beaucoup d’observateurs pensent que cela sent le top définitif et que l’on prépare une chute sévère. Il est vrai que l’on aura beaucoup de mal à pousser plus loin la surévaluation des actions. Le multiple cours/bénéfice normalisé de Shiller est supérieur à 23. Le coefficient Q de Tobin fait ressortir une surévaluation des actions de plus de 60% par rapport aux normes. Nous sommes à plus de 60% au-dessus des plus bas du cycle. La rentabilité théorique espérée à horizon de 10 ans sur un placement en S&P500 est, en nominal et en dividendes réinvestis, de 3,2%. On peut aller  plus loin, certes, mais ce sera avec de moins en moins de participants.

Il est vrai que, quand on a fait une course longue, que les forces lâchent et que le souffle vient à manquer, on peut très bien s’effondrer juste après avoir, dans un dernier sursaut, franchi la ligne d’arrivée. 

Nous avons développé, il y a peu, une nouvelle description du modèle américain pour sortir de la crise. Nous allons encore la simplifier : on stimule avec le crédit, le crédit fait bulle, quand le crédit fait bulle, la bulle éclate et on y remédie en injectant à nouveau du crédit. C’est un modèle dans lequel les bulles se succèdent. Présentement, nous sommes en train d’aller plus loin,les bulles ne se succèdent plus, elles se juxtaposent, elles sont simultanées. On a la bulle des emprunts d’Etat, bulle des obligations en général, on a la bulle des marchés d’actions et l’on est en train d’essayer de pousser les feux pour gonfler une nouvelle bulle, montgolfière immobilière. Ce n’est plus l’une après l’autre, mais les trois ensemble. Bulle de la dette du système, bulle des marchés d’actions, bulle de l’immobilier. Nous insistons, car c’est cela l’originalité de la situation, on tente tout en même temps.

La tentative de relancer le système repose sur trois pieds et le troisième a encore du chemin à  faire. Il n’est pas encore au niveau des deux autres. Les Américains utilisent pour cela l’image des jambes (legs). On fait pousser donc une troisième jambe à la relance mondiale. En y réfléchissant, cela est tout à fait logique. La surabondance monétaire conjuguée à la suppression des taux d’intérêt touche, de proche en proche,  tout ce qui est susceptible de rapporter un petit quelque chose. Surabondance d’un côté, privation de rendement de l’autre, entraînent obligatoirement les investisseurs affamés à se précipiter sur la moindre rentabilité. Et l’immobilier, singulièrement le locatif, rapporte encore quelque chose. Vous remarquerez que les banques européennes sont déjà en train d’imiter les américaines sur ce point, elles essaient d’embarquer l’immobilier locatif. 

Nous pensons que c’est la dernière cartouche de Bernanke. D’une part, parce qu’après il ne sera plus là, d’autre part ,parce qu’après l’imagination nous manque pour deviner la prochaine bulle… à moins que Yellen, dont on pense qu’elle succédera à Bernanke, suive le scénario japonais et recherche délibérément l’inflation des biens et des services. Ses récents propos peuvent être interprétés dans ce sens. N’a-t-elle pas déclaré : « il ne faudra surtout pas s’arrêter de pousser la politique monétaire quand on aura atteint les 2% d’inflation ». Qu’est-ce que cela veut dire, si ce n’est qu’il faudra franchir cette barre psychologique et explorer des terres de plus en plus inconnues. La nouvelle phase pourrait bien être celle qui débouche sur l’aventure.

Nous allons développer ci-dessous le mécanisme de fabrication de la nouvelle bulle immobilière qui est en cours aux Etats-Unis. Cette tentative d’adjoindre une troisième jambe à la "reflation" (relance).

Les grandes firmes, comme  Blackrock, s’étonnent de notre sévérité à leur égard. Nous critiquons en effet le phénomène en cours de gonflement du prix de l’immobilier locatif américain, provoqué par les achats des quatre géants acquéreurs de logements, Blackrock en tête. Ils  achètent  à tour de bras l’immobilier locatif, on dit même « raflent » le disponible. Ils en font une nouvelle classe d’assets d’investissement qu’ils commercialisent  avec les mêmes méthodes que celles qui ont  conduit à la crise des subprimes et autres. 

Ces quatre géants financiers font  ce que l’on peut appeler de la finance d’arbitrage, de la finance de spread, la même que celle qui a conduit à la crise de 2008, la même qui est à l’œuvre sur les assets financiers. 

La suppression du rendement voulue par les Banques Centrales sur les placements sans risque provoque une recherche de rendement à tout prix par les épargnants et investisseurs. Les intermédiaires comme Blackrock achètent donc des actifs qui rapportent un peu, un peu plus que ce que rapportent les placements sur les marchés, ils titrisent ces actifs, font des packages, prennent leur commission et le revendent aux investisseurs assoiffés de rendement. Ils gardent les meilleurs pour eux, cela ne vous rappelle rien? En fait, on a inventé un mécanisme de transmission de la politique monétaire de la Fed qui vient compléter celui qui est à l’œuvre sur les marchés d’assets. On est descendu d’un cran dans la moralité bien sûr, mais on est monté d’un cran dans l’échelle du risque. Car jouer avec le logement, c’est plus dangereux que jouer avec le casino financier. On verra pourquoi ci-dessous.

Le prix de ces actifs peut monter jusqu’à ce que l’écart de rendement avec les taux de marché devienne insuffisant et jusqu’à ce que les Blackrock  et consorts ne puissent plus charger leurs  commissions et frais. 

La limite de la « valeur », on devrait dire plutôt « prix » n’est pas intrinsèque aux logements locatifs achetés ; non, la limite, c’est la marge, le spread.  Tant qu’il y en a un, on peut inflater les prix.  

En fait, l’innovation de Blackrock et consorts a été de transposer au logement locatif la mécanique bullaire mise en place sur les assets financiers. Tant qu’ils rapportent plus que les treasuries, ils peuvent monter. Et si le rendement des treasuries est zéro, alors les prix des assets financiers qui rapportent encore quelque chose peuvent devenir infinis. C’est la théorie de Bernanke et celle de Greenspan et celle des banques qui fonctionnent à l’anglo-saxonne. Les banques qui évacuent le réel et le vrai risque, c’est à dire celui qui est lié non pas au marché mais à l’incertitude sur le futur. 

De même  que nous soutenons que lorsque « l’exit » des politiques non conventionnelles se dessinera, les taux d’intérêt remonteront et la bulle des assets financiers se dégonflera, nous soutenons que le même phénomène se produira sur le segment de marché immobilier locatif « travaillé » par les amis de Blackrock. 

En pire, car la mécanique mise en  place est en prise plus directe, les transmissions sont plus rapides et surtout les transitivités négatives s’enclenchent très vite dans ce secteur, compte tenu du rôle de cash exactor « ATM » que joue le logement. Avec le retour à des niveaux plus élevés de taux, tous les processus artificiels mis en place se trouveront en difficulté. La hausse des taux jouera sur la valeur des biens, le pouvoir d’achat, les capacités d’endettement, les solvabilités, la liquidité, etc. 

Nous soutenons que les gogos acheteurs de ces produits perdront beaucoup d’argent, sinon leur job.

Nous soutenons que toute valeur fondée, non pas sur le réel, l’usage, le revenu interne, le cash-flow interne, toute valeur qui s’en écarte, est condamnée à la grande réconciliation, c’est à dire à la chute. 

 Plus il y en aura, et plus la chute se transformera en rupture, c’est à dire en crise. 

En bonne analyse financière, la valeur d’un asset est égale à la somme actualisée à l’infini des cash-flows qu’il génère. C’est à dire qu’il y a un lien organique entre la valeur d’un actif et ce qu’il peut produire comme flux. Si vous manipulez le taux d’actualisation et que vous dites, à l’infini, éternellement, les taux vont rester quasi nuls, alors vous justifiez le prix bullaire. Si vous prenez des moyennes historiques de très long terme, alors votre taux d’actualisation est considérablement plus élevé et, pour justifier la valeur de votre asset, vous devez augmenter le cash-flow interne exigé. 

Dans le cas des assets financiers, ce souci de justifier la valeur bullaire des assets se traduit par une exigence de croissance des profits à des niveaux hors normes. Il faut pour soutenir les cours et ne pas se faire « virer » que les managers « délivrent » (deliver) comme on dit. Ce phénomène explique en partie les marges exceptionnelles des entreprises, leur recherche forcenée de la productivité et, bien sûr… le chômage. Le déficit de l’Etat vient compléter le maigre pouvoir d’achat des salaires subsistants. Il est indispensable pour que la demande adressée à l’économie soit suffisante. En fait, le déficit fiscal est une condition obligatoire de la formation de bulles, nous y reviendrons un jour. 

Les taux sont à un record de plus bas historique, les marges sont à un record de plus haut historique et, tout à fait logiquement, les déficits des budgets sont à des records de plus hauts historiques. 

S’agissant des activités de nos financiers qui enflent les prix du logement locatif et réalisent un spread, il faut noter qu’ils travaillent dans un environnement où les revenus salariaux ne montent pas, voire s’effritent. Donc la solvabilité moyenne des locataires ne s’améliore pas, logiquement la valeur du sous-jacent, le flux, le cash-flow n’augmente pas. Que font nos financiers, ils imposent une hausse considérable des loyers. Ainsi, en 6 mois, nous avons vu dans un programme racheté par nos financiers,  un loyer qui était déjà bien à son prix, passer de 1729 dollars par mois à 1940 dollars. Sans travaux, sans améliorations. Cela signifie que nos financiers tordent le cou des locataires, de la même manière que les entreprises pour délivrer les profits exigés par le niveau de leur cours de bourse, tordent le cou des salariés et les mettent au chômage. Les fameux licenciements boursiers de Mélenchon n’ont pas d’autre origine, même si Mélenchon ne comprend pas bien ce qu’il dit. 

Mais, dans le cas du logement locatif, le phénomène est plus grave et plus rapide que dans le cas des assets financiers. Pourquoi? Parce que le loyer entre plus directement dans l’indice des prix, il crée une pression à la hausse, laquelle se transmet à tous les secteurs protégés, les secteurs inefficaces déjà, les plus parasites: les services. On a une distorsion en chaine de l’allocation de ressources dans la direction la plus scandaleuse, la plus contre-productive à long terme. On re-détourne des ressources qui, mieux utilisées dans le secteur productif seraient à long terme ré-équilibrantes de nos systèmes. Complémentairement, l’activité de nos financiers évince les candidats acquéreurs sérieux du marché, substitue une demande spéculative à une demande d’usage. Complémentairement, les locataires ou candidats locataires sont étranglés et ont le choix entre se rebattre sur des logements plus médiocres, soit devenir SDF. Et, en plus, réduire leurs autres achats! 

La soif de rendement créée par les Banques Centrales produit des effets  pervers qui,  au lieu de traiter la crise, l’aggravent et préparent la prochaine implosion. La soi-disant politique monétaire destinée à lutter contre le chômage l’accroit, la soi-disant politique monétaire destinée à lutter contre la crise du housing l’entretient et l’aggrave. La politique mise en place depuis 2008 est une politique injuste,   inefficace, dangereuse. Elle met en péril l’ordre social.

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