Mort de Margaret Thatcher : l'Amérique a perdu une grande amie<!-- --> | Atlantico.fr
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Ronald Reagan et Margaret Thatcher formaient une sorte de "couple fusionnel" de la scène internationale.
Ronald Reagan et Margaret Thatcher formaient une sorte de "couple fusionnel" de la scène internationale.
©Reuters

Trans-Amérique Express

C'en est fini de "Rule Britannia" ! Pour les Américains, le décès de Margaret Thatcher clôt une époque. La "relation spéciale", tant vantée, entre les Etats-Unis et la couronne britannique n'est plus tout à fait ce qu'elle était...

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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"Le monde a perdu un grand champion de la liberté et l’Amérique a perdu un véritable ami… Margaret Thatcher défendit sans relâche l’Alliance trans-Atlantique et beaucoup d’entre nous n’oublierons jamais comment elle et le président Reagan se sont serrés les coudes pour démonter qu’avec conviction et volonté, il est possible de changer le cours de l’histoire…"

Le communiqué de la Maison Blanche suite au décès de Margaret Thatcher a tardé à venir. Plus de deux heures après l’annonce de sa mort. Mais il a souligné combien pendant ses onze années comme Premier ministre, leurs deux pays avaient été proches. Et quelles conséquences radicales cela avait eu sur le monde. A eux deux, Reagan et Thatcher ont rien moins que gagné la Guerre froide !

C’est donc avec une nostalgie certaine que les observateurs ont constaté que la belle unité d’alors, reflet d’un lien historique privilégié, avait laissé place à une distance, voire une négligence mutuelle. David Cameron et Barack Obama ne sont pas du même bord politique. Surtout, le président américain regarde vers le Pacifique et non plus l’Atlantique. Comment en est-on arrivé là ?

D’abord un peu d’histoire.

Il peut sembler surprenant que les Etats-Unis et le Royaume-Uni soient historiquement les meilleurs amis du monde. Les premiers se sont émancipés par la force du joug colonial des seconds. Les deux nations se sont fait la guerre deux fois. Une première fois de 1776 à 1783 à l’occasion de l’indépendance américaine. Une seconde de 1812 à 1815. Les Anglais avaient alors brûlé Washington et la Maison Blanche !

C’est un peu comme si demain la France et l’Algérie décidaient de devenir des alliés et amis intimes…

Mais avec le temps c’est ce qui s’est passé. Pourquoi ? D’abord parce qu’au XIXe siècle les deux pays se sont partagés le monde. Les Amériques aux Américains, le reste aux Anglais dont le vrai rival sur la scène globale était la France. Ensuite parce que ces deux nations partagent une même idéologie, celle de la démocratie libérale.République fédérale d’un côté, monarchie parlementaire de l’autre, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont des régimes politiques différents mais une même foi dans les institutions démocratiques, les principes issus de la philosophie des Lumières, le respect de l’individu et la conviction de sa perfectibilité. Des principes qui s’appliquent aussi à l’économie. Ces deux nations ont construit leur richesse sur la libre entreprise et la liberté du commerce. Enfin parce qu’au vingtième siècle ces deux pays ont combattu ensemble un ennemi commun, le totalitarisme. Sous toutes ses formes : communisme, nazisme, fascisme, etc. 

C’est d’ailleurs durant la Seconde Guerre mondiale que Churchill parlera pour la première fois de cette "relation spéciale". Sans laquelle, assurait-il, "le monde retombera dans la guerre". Ce même Churchill qui disait à De Gaulle : "entre vous et Roosevelt je choisirai toujours Roosevelt".

A partir de la Seconde Guerre mondiale les Etats-Unis et le Royaume-Uni vont lier leurs destins comme aucunes nations dans l’histoire. Leur coopération militaire et stratégique est étroite. Les Anglais sont partenaires du projet Manhattan de développement d’une bombe atomique. C’est en Angleterre que sont basés les systèmes d’écoute et de surveillance américains. Le terrain abandonné par les anglais, dont l’Empire s’effondre, est immédiatement repris par les Américains. Leurs dirigeants sont plus que des alliés. Le Premier ministre Macmillan, tout comme Churchill, était de mère américaine. Kennedy considérait Macmillan comme un "ami de la famille".

Ronald Reagan et Margaret Thatcher ne s’étaient rencontrés qu’une seule fois avant de parvenir au pouvoir, en 1975, mais leur identité de vue était telle qu’ils ont formé une sorte de "couple fusionnel" de la scène internationale. Reagan a raconté que lors de sommets du G7 (à l’époque) il arrivait qu’il commence une phrase et que Thatcher la termine. Ils s’appuient systématiquement. Quand éclate la guerre des Malouines, les Etats-Unis, habituellement anti-colonialistes, soutiennent l’Angleterre. Quand les Etats-Unis envahissent  la Grenade, ancienne colonie britannique, pour y stopper une insurrection marxiste, la couronne soutient son allié. Surtout quand Reagan décide d’installer des fusées Pershing en Europe pour répondre aux missiles SS 20 soviétiques, Thatcher est sa première supportrice. A l’encontre d’une opinion publique pacifiste, alors manipulée par Moscou.

En 1990 c’est Margaret Thatcher qui incite George Bush à partir en guerre contre Saddam Hussein . "This is no time to go wobbly George !", "Ce n’est pas le moment de flancher, George !"

Dans les années 1990 Bill Clinton et Tony Blair auront une relation resserrée. L’un se dit "nouveau démocrate", l’autre "nouveau travailliste". Tous deux sont les partisans et artisans de la "troisième voie", celle entre "socialisme" et "libéralisme" ! Quand George W. Bush s’engage dans la guerre contre le terrorisme en Afghanistan et en Irak, Tony Blair demeure son plus farouche défenseur. Quitte à voir sa popularité piquer du nez au Royaume-Uni.

En 2009 Barack Obama entre à la Maison Blanche. Il vient de l’aile gauche du parti démocrate. En mai 2010 David Cameron arrive au 10 Downing Street. Lui vient de l’aile droite du parti conservateur. Les deux hommes engagent des politiques économiques et sociales radicalement différentes. Tandis qu’Obama injecte de l’argent dans l’économie pour conjurer la crise, Cameron s’attaque aux finances publiques pour réduire la dette et le poids de l’Etat. Tandis que le premier veut instituer une assurance santé universelle, le second veut réduire un secteur santé hypertrophié et inefficace. La visite officielle de David Cameron aux Etats-Unis en juillet 2010, est assombrie par l’accident de la plateforme Deepwater Horizon, appartenant à BP, et la marée noire qui s’ensuivit. Certains commentateurs attisent un rare sentiment anti-britannique en rappelant que le "B" de BP veut dire "British"…

Du coup les relations sont désormais plus distanciées. L’osmose d’antan a disparu. Même si dans ses déclarations, Obama ne manque jamais de faire référence à la "relation spéciale" qui lie les deux pays, pour les observateurs le cœur n’y est pas.C’est que le président américain est convaincu que l’avenir n’est pas du côté de l’Angleterre mais des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine) et des pays d’Asie. La politique étrangère américaine a d’ailleurs basculé vers le Pacifique avec la doctrine du "pivot vers l’Asie" à partir de 2012.

Grand créancier de l’Europe à l’issue des deux conflits mondiaux du XXe siècle, les Etats-Unis sont aujourd’hui le grand débiteur de l’Asie. La santé du Vieux Continent les intéresse moins. Celle de la Chine et du Japon, qui sont les deux premiers détenteurs de créances américaines, beaucoup plus. Forte de son nouvel essor économique la Chine manifeste aussi de nouvelles ambitions régionales. Les Etats-Unis n’ont d’autre choix que de se rapprocher de ces nouveaux partenaires, au détriment des anciens, pour garantir sa stabilité économique autant que la sécurité régionale.

Avec le décès de Margaret Thatcher c’est encore un chapitre du XXe siècle qui s’achève et le rappel que le XXIe ne sera pas celui de l’Europe, mais celui du Pacifique.

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