Scandale à la Deutsche Bank : comment les banques parviennent-elles encore à passer à travers les mailles du filet ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Ce qui peut paraître surprenant, c'est que les actionnaires des banques n'imposent pas un changement drastique de modèle.
Ce qui peut paraître surprenant, c'est que les actionnaires des banques n'imposent pas un changement drastique de modèle.
©Reuters

Plus fort qu'on ne le croît

La banque centrale allemande s'apprête à enquêter sur la Deutsch Bank soupçonnée, selon le Financial Times, d'avoir caché plusieurs milliards d'euros de pertes sur des dérivés de crédit pendant la crise.

Christophe Moussu

Christophe Moussu

Christophe Moussu est professeur de finance à l’ESCP Europe et professeur visitant au Collège d’Europe et à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Il a toujours promu une finance de long terme au service de l’économie réelle.

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L’enquête lancée par la Bundesbank sur la Deutsche Bank concernant des pertes abyssales que la banque aurait cachées pendant la crise financière, nous rappelle que les prises de risque excessives n’étaient pas l’apanage des banques américaines. La question n’est pas de revenir sur le passé pour savoir qui était le plus gourmand ou le plus méchant mais de savoir si les choses sont en place pour que de tels errements ne se reproduisent pas. Le durcissement de la position du régulateur actuel est manifeste : encadrement des rémunérations au niveau européen, volonté de faire porter des pertes aux créanciers et déposants des banques à Chypre, ouverture d’une enquête à la Deutsche Bank... Il serait d’ailleurs faux et dangereux de penser que la finance ne peut pas être régulée. Pourtant, la pression du lobby bancaire ne relâche pas, la ligne de « défense » étant de continuer à faire croire que les nouvelles règles imposées aux banques ne leur permettent plus de faire le métier, qui est de financer l'économie. Ce que le régulateur semble méconnaître, c’est le rôle joué par certaines mesures de performances en place dans les banques.

La rentabilité financière comptable (ROE) reste notamment centrale dans l'allocation des ressources au sein des banques. Cela pousse les banques à chercher la rentabilité à court terme la plus forte, et à minimiser les fonds propres, fabriquant ainsi le parfait cocktail d'une prise de risque exagérée, c'est-à-dire destructrice de valeur. Dans une étude très récente avec Arthur Petit-Romec, nous apportons la preuve formelle du caractère destructeur de cette mesure de performance. Plus le ROE dans les banques était fort avant la crise, plus elles ont détruit de valeur pour les actionnaires dans la crise. Hélas, je suis effaré de voir que la manière dont la performance est mesurée dans les banques n'a pas changé d'un pouce depuis la crise financière. De manière encore plus inquiétante, le durcissement de la réglementation financière, notamment les exigences de fonds propres, a même renforcé la cristallisation sur ce type d’indicateurs. Je vois notamment une grande homogénéité dans les choix opérés par les banques face à la nouvelle donne réglementaire. Certaines activités de financement à long terme sont supprimées, détruisant des pans entiers de financements spécialisés et des emplois dans les banques. Le modèle "origination et titrisation", qui a déraillé dans la crise, est réaffirmé. Les arbitrages entre activités au sein des banques se font plus que jamais sur la base du ROE. Tout cela démontre que les incitations ne sont pas encore bien en place.

Ce qui peut paraître surprenant, c'est que les actionnaires des banques n'imposent pas un changement drastique de modèle. Une première raison est qu’ils ne comprennent pas ou sont passifs. Une deuxième raison est qu’ils sont complices, pensant encore bénéficier de la prise de risque associée à la maximisation de ce type d’indicateurs, tout en jouissant d’une protection de l’Etat en cas de crise. Le cas de Chypre est à ce titre intéressant. Une première lecture est de penser que les banques vont désormais supporter leurs pertes (dont les déposants), ce qui devrait limiter la prise de risque. Une deuxième lecture, plus réaliste, est de se souvenir que ces banques sont trop petites pour que le « too-big-too-fail » ne s’applique.

Pour revenir à un modèle de banque plus sain, le régulateur doit donc veiller aux incitations. L’augmentation des fonds propres est une bonne chose et devrait aller plus loin et plus vite. Les dividendes des banques devraient notamment être interdits tant que les banques n'ont pas fait la preuve de leur capacité à se recapitaliser. Une attention très particulière doit aussi être apportée à la manière dont les directions de banques sont rémunérées. La référence à des mesures de performance absurdes doit être combattue voire réglementée si les banques et leurs actionnaires n’apprennent pas. Des progrès ont été accomplis, souvent grâce à des personnes de bonne volonté acharnées. Du chemin reste à faire et à faire vite. Il y a un tel besoin de confiance et de justice sociale en ces temps difficiles, que les errements outranciers des banques doivent appartenir à l’histoire… au même titre que ceux des hommes politiques. Le fond a peut-être été touché.  

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