Putsch raté au Medef : y a-t-il quelque chose qui débloque au royaume des grands patrons français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les deux mandats de Laurence Parisot ont souvent été taxés de connivence politique et d’inefficacité
Les deux mandats de Laurence Parisot ont souvent été taxés de connivence politique et d’inefficacité
©Reuters

Dame de pique

Laurence Parisot a perdu (de peu) la bataille pour son auto-succession à la tête du Medef. Mais la structure et la représentativité réelle de ce dernier posent la question d'une maladie française de la représentativité patronale.

Atlantico : Si la guerre pour la direction du Medef ne s’arrêtera pas pour autant, la bataille de Laurence Parisot a pris fin avec le refus des changements de statuts du syndicat des patrons. Les deux mandats de Laurence Parisot ont souvent été taxés de connivence politique et d’inefficacité. Comment expliquer qu’une partie du patronat lui accorde encore son soutien ?

Michel Rousseau : La raison de ce soutien est très simple. Au Medef comme dans tous les corps intermédiaires, il y a tellement d’apparatchiks qui fréquentent avec tellement d’assiduité le patron qu’un jour ils ne sont plus capables de prendre des positions qui lui sont contraires. Et puis comme dans tous ces appareils qui ne savent pas vraiment à quoi ils servent, on est forcément content de son bilan. C’est pour cela que vous vous retrouvez avec des gens qui ne peuvent pas faire d’autocritique puisqu’ils ne savent pas où ils vont. C’est une logique de système, d’organisation qui découle d’une certaine autosatisfaction des représentants qui ont l’impression d’être à leur place mais incapables de savoir s’ils ont rempli leur mission.

Ce vice de complaisance quant à l’inefficacité de la représentativité patronale est-il typiquement français ?

Michel Rousseau : J’imagine que les autres pays ont également leur lot de phénomènes humains mais les structures de représentation patronale sont toutes différentes. Ce qui est certain c’est que les organisations doivent se protéger de cela par des règles claires, de la rotation et de la collégialité. C’est tout ce à quoi madame Parisot qui concentre tous les pouvoirs s’oppose farouchement avec une certaine ringardise dans sa vision du Medef. Elle n’a visiblement pas compris qu’elle représentait les entrepreneurs et les patrons. Comme le disait Denis Kessler dans le Figaro, la direction du Medef est une mission et pas une fonction à vie.

Alfred Grosser : Je ne peux pas dire que cela soit nécessairement français mais il est clair que la situation est très différente en Allemagne. Il y deux grandes associations dans lesquelles les patrons sont à la fois représentés en tant qu’entrepreneur et qu’employeur, ce qui fait une très grande différence dans la perception et la manière de négocier.

Les patrons sont de plus très habitués à la cogestion qui en France, où c’est écrit dans la constitution, n’a jamais été appliquée, il y a juste un début d'accord insuffisant à ce propos. La tradition française est à l’affrontement qui du côté des patrons passe par un visage unique. Cela a déjà prouvé son inefficacité notamment avec les affaires qui ont pesé sur le baron Seillière et dans le cas de madame Parisot, il est clair que vouloir changer les règles juste avant un vote ne passerait aucunement en Allemagne.

La gestion du Medef par Laurence Parisot est aussi accusée d'avoir privilégié la "grande entreprise" à la petite. La représentativité patronale française correspond-elle à la diversité des patrons et de leurs intérêts ?

Miche Rousseau : Il semblerait que le profil de Madame Parisot l’amène à fréquenter plus facilement les patrons de la BNP Paribas ou d’Axa que des petites PME de province. C’est dans sa nature. On dit même qu’ils sont dans les couloirs du Medef et qu’ils l’appuient fortement. En tant qu’observateur et qu’économiste, il me semble très clair que les petits patrons français ne se sentent absolument pas représentés par Laurence Parisot et le Medef. Cela se ressent très clairement au niveau des élections au cours desquelles seuls 8% des patrons français votent. Nous constaterons probablement cela de manière encore plus claire jeudi. Il y a donc une déconnexion très marquée entre la diversité des patrons et la façon dont ils sont représentés.

Cela correspond à la maladie française qui est d’avoir d’une part des élites formées selon des critères communs et immuables, et d’autre part des gens qui viennent du terrain. Il y a deux langages, deux manières de s’exprimer et surtout deux milieux bien distincts l’un de l’autre alors que les intérêts économiques des grands et des petits ne devraient, en principe, pas différer. A noter toutefois que les grands patrons résistent bien sûr mieux aux coups de boutoir des pouvoirs publics puisqu’ils ont la possibilité de s’organiser pour absorber cela. Et surtout, ils sont tous aller faire leur argent à l’étranger.

La structure de représentation patronale allemande permet-elle une meilleure représentativité des petites entreprises ?

Alfred Grosser : En Allemagne, les équivalents des PME françaises sont partout et sont très bien représentés. Il y a cependant une différence fondamentale dans la forme de ces entreprises puisqu’en Allemagne ce que l’on appelle les entreprises moyennes peuvent aller de 500 à 1000 employés. Cela provoque donc un équilibre assez différent dans le rapport entre les entreprises. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de bagarre pour le pouvoir de représentation. Il n’y a pas deux univers déconnectés l’un de l’autre et cela créé donc naturellement une meilleure représentativité des petites entreprises.

Si le Medef est le seul à négocier, d’autres organisations de patrons se créent et essaient de prendre part au dialogue social. Quelles sont-elles et peuvent-elles remettre en cause le monopole du Medef ?

Michel Rousseau : Les deux principales forces parallèles au Medef sont Croissance Plus et le CJD (Centre des jeunes dirigeants d'entreprises). La première, Croissance Plus, est un lobby très organisé et très vif qui représente les entreprises de croissance. Il est donc très puissant mais très limité en termes de représentativité. Le CJD quant à lui devrait jouer un rôle de préparation des dirigeants, ce qu’il fait déjà en partie, mais le fait que cela se joue entre grands banquiers à Paris en limite la portée.

Sans nécessairement remettre en cause le monopole du Medef, cela le contraindra certainement à être plus représentatif de la diversité patronale. Nous avons d’ailleurs, au sein de la fondation Concorde, posé la question de savoir pourquoi le Medef était la représentation patronale alors que les chambres de commerce et d’industrie ont été mandatées par la loi à la fin du XIXe siècle pour jouer ce rôle. Nous avons donc également fait la proposition de refondre tout cela dans un grand conseil national des entreprises qui serait plus représentatif.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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