Port du voile dans les entreprises privées : les 84% de Français qui y sont opposés ont-ils raison ?<!-- --> | Atlantico.fr
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84% de Français sont opposés au port du voile dans les entreprises privées.
84% de Français sont opposés au port du voile dans les entreprises privées.
©Reuters

La justice tombe le voile

Selon un sondage Ifop publié dans Dimanche Ouest France, une large majorité de Français se disent opposés au port du voile ou du foulard islamique par des femmes travaillant dans des lieux privés accueillant du public.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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La Cour de cassation a cassé, par un arrêt rendu ce 19 mars 2013, la décision de la Cour d’appel qui avait donné raison à la directrice de la crèche Baby loup contre une de ses salariées qui, revenant de congés parental, avait décidé de porter le voile. Le principe de laïcité se trouvait dans le règlement intérieur de l’établissement en bonne place, autrement dit, l’exigence pour les personnels d’une neutralité philosophique et religieuse envers ses usagers, les enfants et leurs parents. La Haute cour en a rejeté l’application pour donner raison à la plaignante et ce, pour discrimination !

Le problème juridique posé ici relève de savoir si une association de nature privée peut se voir appliqué le principe delaïcité. La Cour de cassation répond par la négative : l’article premier de la Constitution selon elle n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas explicitement un service public. Le principe de droit ainsi posé veut que s’impose le principe de laïcité et de neutralité dans la sphère publique et celui de la liberté religieuse dans la sphère privée. Ainsi un employeur de droit privé, qui ne gère pas un service public, doit respecter la liberté religieuse de ses employés.

Du coup, le jugement est renvoyé devant la Cour d’appel de Paris qui devrait juger la chose comme une discrimination faite à cette femme voilée, ouvrant la voie à la multiplication des revendications communautaires sur ce fondement. Rappelons que cette crèche de Chanteloup-les-Vignes joue un rôle de première importance dans le quartier défavorisé où elle offre un accueil à la petite enfance et œuvre pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes qui y vivent, ouverte 24 heures sur 24.

On apprend que la directrice de la crèche, Mme Baleato, contre laquelle la plainte en discrimination a été menée, une femme courageuse qui a fui la dictature de Pinochet, a mené son projet depuis des années avec le souci de veiller à l’accueil des enfants de toutes nationalités dans le respect des cultures de tous, précisément grâce à cette neutralité philosophique et religieuse fixant le cadre du contrat de travail avec ses employés. On aimerait rencontrer la même ouverture dans toutes les composantes qui sont censés participer à la bonne tenue du vivre ensemble. Il faut savoir que les employés n’ont pas été exemptes de menaces, tags, pneus crevés, voitures rayées. Un climat qui est le reflet des difficultés rencontrées dans un contexte de tension avec un communautarisme fondé sur le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, qui ne cesse de peser dans combien de quartiers sensibles en faisant sécession avec les valeurs républicaines et contre elles. Le développement du voile n’est pas sans rapport avec cette réalité crue.

Au passage on remarquera que la plaignante a demandé plus de 100 000 euros de dommages et intérêts. Une somme qui, si la crèche avait été condamnée aurait entraîné la fermeture de celle-ci. On peut voir comment cette décision risque de conduire à une des pires injustices, montrant la Haute Cour comme jugeant le droit dans une tour d’ivoire.

Juridiquement, la Cour de cassation rappelle qu’une crèche privée, bien qu’elle ait une mission d’intérêt général, ne peut être considérée comme une personne privée gérant un service public. La Cour de cassation « Selon les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail intégrant les dispositions de la directive de l’Union européenne du 27 novembre 2000 prohibant les discriminations fondées notamment sur les convictions religieuses, les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Tel n’est pas le cas de la clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur de l’association Baby Loup applicable à tous les emplois de l’entreprise. »

Il faut savoir que concernant le secteur social et médico-social, les établissements associatifs qui en assument les missions, sont considérés comme gérant des missions de service public, mais les crèches ne relèvent pas de la liste de qualification de ces établissements, bien que leur activité entre pourtant implicitement dans le champ de l’action sociale.

Ainsi, la Cour de cassation juge cette crèche en l’assimilant à une entreprise comme les autres, en se référant à un cadre européen qui ne vaut que pour peu que l’on fasse abstraction d’un principe de laïcité qui a pourtant été retenu par les deux juridictions qui avaient jugé jusque-là cette affaire. C’est bien qu’il a été considéré que la petite enfance n’est pas l’objet d’un service marchand et les usagers de simples clients. Qu’il s’agit ici d’une mission d’intérêt collectif répondant à un besoin social rejoignant l’intérêt général, sous le signe d’une activité qui s’inscrit dans une démarche d’éducation, dont les principes doivent être respectés. L’enfant a des droits ainsi que ses parents, relatif à la liberté de conscience et au libre choix des convictions, et en l’absence de sa faculté à exprimer ses choix c’est à ses parents qu’il en revient la charge, pour le guider, comme le prévoit le Code civil. Aussi, seule la neutralité des personnels est à même de respecter ces exigences autant morales que de droit.

N’y a-t-il pas là, d’ailleurs, de quoi donner du contenu à la notion de « nature de la tâche à accomplir » pour justifier le respect du principe de laïcité ? Cette crèche ne remplit-elle pas une tâche de caractère éducatif, n’emploie-t-elle pas des éducateurs de jeunes enfants, à moins que le nom de ce diplôme ne soit que décoratif ? Historiquement, la crèche a pour objet de garder et de soigner des enfants en bas âge pendant les heures de travail de leur mère. Les enfants y reçoivent, jusqu'à ce qu'ils puissent entrer à l'école maternelle ou jusqu'à ce qu'ils aient accompli leur troisième année, « les soins hygiéniques et moraux » (art. 1er du décret du 2 mai 1897). Il en va des premiers pas de l’éducation des jeunes enfants qui impliquent donc une dimension morale et de santé, que notre société a bien dès l’origine pointée et que l’on abandonne ici au nom de la reconnaissance du « droit à la différence » dont on sait qu’il conduit à la séparation, à la division, à la différence des droits.

L’enfant qui a des droits ainsi que ses parents n’auraient ainsi pas voix au chapitre, face à la liberté religieuse qui deviendrait ici supérieure aux autres droits fondamentaux ? C’est inique !

Cette décision intervient sous le signe d’un débat de société autour du principe de laïcité auquel on oppose « la reconnaissance de la diversité culturelle comme composante essentielle des droits humains » : formule alléchante qui nous fait oublier que le multiculturalisme avec sa logique communautaire dépossède les individus de l’autonomie de leurs choix à la faveur de la hiérarchie du clan, de la tribu, détruisant ainsi ces libertés et ces droits inaliénables de l’individu qui fondent notre modernité démocratique. On a poussé la chose en Ontario au Canada jusqu’à accepter le principe de tribunaux islamiques pour satisfaire à cette reconnaissance, laisser libres d’appliquer un droit de la famille communautaire fondé sur une lecture religieuse de l’infériorité des femmes. Heureusement la mobilisation internationale a mis fin à cette exaction contre les droits de l’homme autant que l’égalité hommes-femmes.

On apprend par un sondage Ifop publié dans Dimanche Ouest France, qu’une écrasante majorité de Français sont contre la présence du voile islamique non seulement dans les crèches, mais dans les entreprises, parce qu’il y pose de plus en plus, comme à la crèche Baby-loup, un problème très sérieux de paix sociale. Car le voile n’est pas qu’une affaire de liberté individuelle comme le pose la Cour de cassation, mais un problème qui relève d’une logique communautaire qui ne cesse de vouloir imposer ses règles à la société française en remettant en cause nos repaires communs. Chaque recul de la laïcité donne liberté aux communautaristes à imposer aux musulmans qui entendent ne pas rentrer dans cette logique communautaire, leurs comportements, en les y assignant. On voit que ce qui se joue ici dépasse largement le cadre d’une décision de justice d’une institution qui ne regarde que ses pieds quant elle devrait regarder la société dans les yeux. Il en va des libertés des musulmans eux-mêmes et de leur libre choix, qui ont bien besoin de la laïcité.

 « Décidément, la laïcité est un combat de tous les instants. Il faut impérativement faire évoluer le cadre juridique pour intégrer cet arrêt, qui ne satisfait que la plaignante... » comme le dit un internaute en réaction à un article publié sur le site de la Gazette des communes. Il en va d’un choix de société, consistant à ne pas laisser en route ces petits enfants futurs citoyens de notre République.

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