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L'emploi d'armes chimiques en Syrie poussera-t-il vraiment les Etats-Unis à intervenir ?
©Reuters

Après la Libye...

Bien que l'origine des attaques à l'arme chimique dans les régions d'Alep et de Damas reste imprécise, Washington, Londres et Paris ont sévèrement mis en garde le régime de Bachar Al-Assad contre l'usage de ce type d'arsenal. Un positionnement diplomatique qui semble évoquer en filigrane la possibilité d'une intervention occidentale.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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De par sa nature, l’arme chimique (très diverse) reste d’un emploi délicat. Les gaz peuvent être simples et efficaces comme la vieille ypérite à base de chlore, utilisée en 1917. Plus ils sont sophistiqués (sarin, tabun, VX) plus ces gaz exigent de compétence pour assurer la dispersion efficace du produit.

Le chimique est vraiment utile dans deux cas : lorsque deux armées s’opposent sur des lignes de front nettement séparéeset que, par surprise, un des ennemis utilise cette arme contre des militaires qui ne disposent pas de tenues de protection ; second cas lorsque ces armes touchent des populations civiles sans défense.

Elle sont à l'inverses particulièrement mal adaptées pour le combat urbain rapproché (comme en Syrie, NDLR). Un simple coup de vent suffit à les disperser ou à les faire revenir vers l’envoyeur. Ils peuvent être très localement être utilisés pour éliminer un adversaire enfoui dans des sous-terrains ou des complexes de bunkers. Mais dans ces cas les lance-flammes traditionnels et éventuellement leurs versions modernes sont d’un emploi bien plus souple avec des résultats garantis.

La menace parfois évoquée d’une frappe avec des missiles Scuds à charge chimique relève de l’illusion en raison de l’absence de précision (la charge peut tomber dans un rayon de 50 km...) et du risque de mauvaise dispersion.

A plusieurs reprises, la Maison blanche a indiqué que l’emploi d’armes chimiques provoquerait une réaction considérable en changeant la nature de la guerre. Sans cependant fournir davantage de précisions quant à la riposte.

En vérité ce message générique s’adresse d’abord aux alliés comme la Turquie afin d’affirmer le soutien des Etats-Unis qui s’est matérialisé par l’envoi d’anti-missiles (Patriot Pac 3). Cette démonstration n’a de valeur que politique. On imagine mal Bachar el Assad donnant l’ordre de lancer des Scuds équipés de charges chimiques contre la Turquie. Comme tous les dictateurs il n’est nullement candidat au suicide.

Cependant, Assad est bien le destinataire du message américain afin qu'il comprenne ou se situent les limites à ne pas franchir. Ceci n’est pas forcément une bonne idée. En effet cela incite l’ennemi à penser qu’en dessous de ce seuil la guerre civile avec des moyens conventionnels très meurtriers peut suivre son cours sans que les pays occidentaux se sentent obligés d’intervenir. De plus L’engagement d’une force occidentale, d’une coalition, d’une alliance comme l’OTAN dans un environnement devenu potentiellement chimique constituerait par ailleurs une contrainte très forte. Les équipements de protection individuelle ralentissent les combattants et exigent un tempo opérationnel plus compliqué. De ce fait la simple menace d’un emploi improbable mais toujours possible est partiellement dissuasive.

Pour autant il faut mesurer que l’emploi de telles armes discréditerait totalement celui qui, preuves à l’appui, en serait tenu pour responsable. M. Assad serait assuré de finir devant une Cour Pénale International. Les insurgés se verraient eux politiquement discrédités.

Certes il est concevable pour chacun des adversaires, sur un coup limité, de donner à croire que c’est l’ennemi qui est coupable. Toutefois dès lorsque que l’usage devient systématique et donc significatif au niveau militaire il n’est plus possible de dissimuler longtemps. En témoigne l’usage par l’Irak de Saddam Hussein lors de la guerre contre l’Iran puis contre les populations shiites et kurdes sur son propre territoire (1991-92).

A ce stade la menace d’emploi des armes chimiques et la menace corrélative des réactions que provoquerait leur usage relève de la manœuvre psychologique et de la désinformation que d’une véritable planification opérationnelle sur le terrain.

Les Etats-Unis, comme la Russie, l’Union européenne comme la Ligue arabe font pression pour que ce conflit ne sorte pas du domaine de « l’acceptable ». Au regard des pertes humaines il en est certainement déjà sorti. On feint de ne pas en tenir compte, faute de disposer d’une solution.

La probabilité de l’usage de l’arme chimique constitue donc, à ce stade, plus un emblème dans un jeu politico-militaire qu’une réalité opérationnelle.

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