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Taxer les hauts revenus à 66,66% plutôt qu'à 75% : pourquoi l'avis du Conseil d'Etat change tout
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Revirement

Le Conseil d'État rejetterait l'idée d'une taxe à 75 % et estime qu'aucune taxation ne pourrait dépasser les 66,66%, selon Le Figaro. Un détail qui change tout.

Michel Taly

Michel Taly

Michel Taly est avocat fiscaliste au sein du Cabinet Arsene Taxand. Il est spécialiste de la politique fiscale à l’Institut de l’entreprise. Il a supervisé la réalisation du rapport de l'Institut de l'entreprise Mettre la fiscalité au service de la croissance.

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Atlantico : La section des finances du Conseil d'Etat estimerait que la taxe sur les hauts revenus souhaitée par François Hollande ne devra pas être supérieure à 66,66% pour les ménages selon le journal Le Figaro, l'objectif étant d'éviter d'être jugée comme confiscatoire par le Conseil constitutionnel. Cependant, tous les revenus devraient dorénavant être pris en compte, alors que le projet initial concernait uniquement les revenus d’activité. En quoi cela change profondément la promesse de campagne faite par François Hollande ?

Michel TalyConcrètement, il ne s'agit plus de la même mesure puisque le candidat François Hollande avait fustigé les rémunérations extravagantes que se donnaient sans risque excessif les dirigeants de grands groupes et entreprises. Comme il s'agissait de cibler ces salaires jugés excessifs, la modalité retenue était logiquement la mise en place d'une surtaxe qui ne s'appliquait que sur les rémunérations, soit aux salaires, soit à tous les revenus d'activité. Limiter la mesure aux seuls salaires respectait d'ailleurs mieux la finalité de départ, car les non-salariés peuvent gagner des rémunérations importantes sans pour autant être sûrs, chaque matin, que cela se poursuive, là où un salarié peut certes être licencié mais touchera des dédommagements...

A partir du moment où le Conseil constitutionnel dit que cette surtaxe ne peut pas se faire à l'intérieur de l'impôt sur le revenu car celui-ci doit respecter des principes d'égalité par foyer, la seule solution était de faire payer cette taxe par l'employeur ce qui conduit au même effet de découragement car pour donner 100 de rémunération au dirigeant, il en coûtera 230 ou 250 à l'entreprise... L'effet dissuasif est exactement le même. Mais les hommes politiques privilégient la symbolique et non l’effet réel. Pour respecter ce symbole, ils semblent écarter l’idée de taxer les employeurs et vouloir rester sur une mesure au sein de l’impôt sur le revenu. Résultat, le gouvernement serait contraint de changer complètement de mesure puisque le nouveau projet de loi ne ciblerait plus les salaires extravagants, mais se transformerait en surtaxe de solidarité temporaire sur tous les revenus élevés.

D'ailleurs, le chiffre avancé de 66,66% n'est pas le fruit d'un calcul exact. Il découle de l’interprétation d'un certain nombre de décisions datant du mois de décembre pour censurer des dispositifs qui aboutissaient à des charges cumulées tantôt de 68%, 72%... 66,66% correspond à deux tiers. Le Conseil constitutionnel casse la logique de Nicolas Sarkozy qui, avec son bouclier fiscal, estimait qu'il fallait limiter l'imposition des revenus à 50% pour le relever à 66,66%. Le "seuil confiscatoire" passe donc de la moitié aux deux tiers.

La prise en compte de l'ensemble des revenus - et pas seulement ceux liés à l'activité - risque-t-elle d’accroître l'aspect confiscatoire de la taxe, contrairement à ce que souhaiterait le Conseil d'Etat ?

Un ménage gagnant de hauts revenus sera donc taxé à 66,66% sur la tranche concernée. Pour le taux moyen, comme on ne sait pas encore si le seuil d’application sera d’un million d’euros pour une part ou deux, nous ne pouvons pas encore faire de calcul.

Mais l'idée de taxer l'ensemble des revenus aura une grande vertu : cela fera comprendre à tout le monde que les revenus du capital sont aujourd'hui plus taxés que les revenus du travail parce que, lorsqu’on dit que la surtaxe pourra être au maximum de 9,6% (la taxe à 66,66% ne sera pas en réalité une taxe à 66,66% mais de 9,6%, ce niveau permettant d'atteindre un total de 66,66%), tout le calcul est basé sur une "CSG et prélèvements sociaux" à 8% alors que, pour les revenus du capital, le total des prélèvements sociaux est de à 15,5%.

La tranche marginale étant à 45%, la surtaxe Fillon étant de 4% et la CSG-CRDS à 8%, nous atteignons les 57% d'imposition. Donc pour passer de 57% à 66,66% il faut une surtaxe de 9,6%. Là où à l'époque, le Conseil Constitutionnel a annulé une surtaxe à 18% (pour atteindre un total de 75%), le nouveau projet divise par deux la taxe souhaitée par François Hollande. Mais, pour les revenus du capital, le maximum n'est pas 9,6% mais de 2,1%, puisque les revenus du capital sont imposés avec une tranche marginale à 45%, la surtranche Fillon à 4% et des prélèvements sociaux à 15,5%, ce qui fait un total de 64,5%. Pour arriver à 66,66%, il faut donc une surtaxe de 2,1% ce qui montre bien que le capital est aujourd’hui plus taxé que le travail en France puisque tous les revenus du patrimoine sont imposés au barème de l'impôt sur le revenu depuis l'hiver 2012.

Pour faire simple, la surtaxe sera donc de 9,6% sur les revenus d'activité et de 2,1% pour les revenus du patrimoine - ce qui pourrait être difficile à expliquer politiquement - pour la simple raison que les seconds sont davantage taxés. Il convient d'ailleurs de noter que les 15,5% de prélèvements sociaux sur les revenus du capital ne donnent pas droit à des prestations sociales en contrepartie comme c'est le cas pour les cotisations sociales qui s'appliquent sur les revenus du travail. Dès lors, il est fort probable que le Conseil constitutionnel prendra en compte l’ensemble des prélèvements sociaux, sans intégrer les cotisations sociales dans le raisonnement, pour juger du respect de l’égalité devant l’impôt et du caractère confiscatoire de celui-ci .

Le gouvernement aurait-il dû abandonner l'idée d'une taxe pour la remplacer par une tranche supérieure sur l'impôt sur le revenu ?

Si le gouvernement avait mis en place une tranche supplémentaire permanente, la finalité aurait été complètement différente parce que cela aurait correspondu à une simple augmentation de la progressivité de l'impôt sur le revenu (selon laquelle le taux d'imposition augmente avec le niveau de revenu, ndlr).

Les politiques comme les médias discutent en permanence des mesures et des modalités sans jamais discuter de la finalité des mesures, une notion très importante en fiscalité. Or, la finalité de la taxe à 75% de François Hollande n'était pas d'apprécier la capacité contributive des ménages à l'impôt sur le revenu mais de pénaliser des salaires jugés "excessifs". En la transformant en tranche supplémentaire, cela devient une question de progressivité (suffisante ou insuffisante ?). Par conséquent, on préfèrerait changer la finalité même de la mesure pour en conserver la symbolique purement politique : c'est absurde.

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