Vers une option "création d'entreprise" au bac : mais à qui l'entrepreneuriat pose-t-il vraiment problème en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Après le surf, bientôt l'option "création d'entreprise" au bac ?
Après le surf, bientôt l'option "création d'entreprise" au bac ?
©Flickr/Victor1558

Mention entrepreneuriat

Deux députés ont proposé d'intégrer cette option au bac afin de susciter la flamme entrepreneuriale chez les lycéens.

Jacques Gautrand

Jacques Gautrand

Jacques Gautrand est spécialiste de l’image de l’entreprise et la communication de ses dirigeants.

Il dirige Consulendo.comun observatoire indépendant sur l’entreprise et le management, qui s’intéresse notamment à la place de l’entrepreneur dans la société.

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Atlantico. Deux députés PS et UMP ont proposé jeudi dernier la mise en place d'une option "création d’entreprise" au baccalauréat. Que pensez-vous de cette initiative ? Faut-il rapprocher jeunes et entreprises ?

Jacques Gautrand : Tout ce qui peut ouvrir les étudiants à l’entrepreneuriat est positif. Il y a déjà, en classe de troisième, une journée découverte en entreprise. Malheureusement, bien souvent, les collégiens sont trop souvent encouragés par leurs parents à venir avec eux, au sein de leur entreprise. Celle-ci se révèle la plupart du temps trop grande pour qu’ils se fassent une idée réaliste du monde de l’entreprise, et surtout des PME, qui représentent tout de même 90% des entreprises.

Autre bémol, l’enseignement de l’économie au lycée qui est principalement macroéconomique donc pas assez axé sur la découverte du fonctionnement réel de l’entreprise. Les élèves ont besoin de concret, c’est pourquoi l’option au bac serait très intéressante.

Il ne faut pas se contenter de pointer les défaillances de l’école. Depuis plusieurs années, l’association "100 000 entrepreneurs" organise, en liaison avec l’Éducation nationale, l’intervention de dirigeants de PME afin de témoigner sur la vie de l’entreprise et développer les connaissances des jeunes qui ainsi se projettent plus aisément dans une aventure qui leur paraît bien complexe.

Alors que les Assises de l’entrepreneuriat ont été lancées le 14 janvier dernier, et la parole étant donnée au citoyen jusque mi-février, je me suis permis de faire une proposition : la création d’un "compte d’épargne entrepreneuriat", ouvert à tous les Français (quel que soit leur âge). Le principe serait le même que celui du livret de caisse d’épargne. Lorsque le jeune, à l’issue de ses études, souhaitera créer son entreprise, il pourra emprunter, grâce à son épargne, à des taux préférentiels. S’ajouterait une prime d’État comme elle existe pour le plan épargne-logement. Un moyen efficace d’encourager financièrement la création d’entreprise par les jeunes, et moins jeunes d’ailleurs !

Qui, en France, a vraiment un problème avec l’esprit de l’entreprise ?

30% des Français aimeraient créer ou reprendre une entreprise (niveau du début de la crise en 2009). Donc d’où vient le problème ? 

Sur une population active de 26 millions de Français, il y a 3 millions d’entrepreneurs. Les autres sont salariés ou chômeurs : le salariat est donc le statut dominant pour exercer une activité. Pourtant, depuis plusieurs années, l’idée de se mettre à son compte semble faire son chemin dans de nombreux esprits. Même si en réalité, seule une minorité passe à l’acte puisque l’on enregistre aujourd’hui 550 000 créations d'entreprise par an dont 300 000 auto-entrepreneurs.

De l’idée au projet, il y a un pas. En voici les raisons :

  • Le statut du salarié : ceux du secteur public et des grands groupes notamment bénéficient de nombreux avantages que n’ont pas les indépendants : protection sociale, retraite, mutuelle, etc. Le régime social est en faveur du salarié. Les garanties, les protections salariales sont bien plus sécurisantes.

On voit d’ailleurs que depuis plusieurs années, il n’y a qu’environ un tiers de femmes dans le secteur entrepreneurial. En effet, conjuguer vie familiale et carrière professionnelle est complexe. Alors qu’au sein des grands-groupes, les congés parentaux sont plus accessibles et plus longs.

  • Le système de formation : les grandes écoles d’ingénieurs, de commerce et même l’université poussent les personnes à rechercher un statut dans un grand groupe prestigieux plutôt qu’un statut d’entrepreneur. Seule une minorité créée son entreprise. En effet, il est bien plus impressionnant socialement d’intégrer la finance, un cabinet d’audit international, bref un grand groupe. Leur aura est tout simplement plus forte. Cela dit, la situation est en train de changer. Consécutivement à la crise, la situation des salariés – même ceux des grands groupes – est devenue très instable. Licenciements, dégradation du climat social dans l’entreprise avec les "cadres kleenex" qui sont poussés vers la sortie après 45 ans. Une précarisation qui entraîne les jeunes à s’intéresser de plus en plus à l’entrepreneuriat. Une façon pour eux de prendre en main leur destin professionnel.

  • La "suradministration" : depuis les lois des années 1990 (Madelin, Dutreil, Raffarin et Novelli), l’État a fortement simplifié la création d’entreprise. C’est un acquis. Mais du fait de la complexité des régimes sociaux, il y a une sorte de chape bureaucratique sur ce secteur. Les cotisations sociales, les charges sociales, les impôts locaux pèsent sur les TPE et les PME. Cela décourage trop d’entrepreneurs potentiels.

Il faudrait créer une progressivité dans les prélèvements sociaux et fiscaux pour les nombreuses PME de moins de 100 salariés par exemple. Revoir les seuils sociaux également notamment lors du passage de 49 à 50 salariés.

Les pays anglo-saxons semblent avoir une tradition plus libérale que la France. Au-delà des contraintes administratives, n’y a-t-il pas un problème culturel ?

La France entretient un rapport au travail et à l'argent radicalement différent des pays anglo-saxons. Ce problème culturel remonte à notre culture féodale et aristocratique, ce que le sociologue Philippe d’Iribarne appelle "la logique de l’honneur". En effet les élites, depuis l’Ancien Régime, associent le travail à une notion d’honneur, tandis que les Anglo-saxons – plutôt de culture protestante – trouvent  normal de gagner de l'argent, ce qui n’est finalement qu’une récompense méritée pour un travail fourni. De plus, ils sont bien plus pragmatiques, c’est-à-dire que créer une entreprise, être consultant pour une autre, puis acheter une ferme afin d’élever des chevaux ne sont pas, pour eux,  des activités incompatibles dans une carrière professionnelle. Au contraire, en France, la carrière en dents de scie est très mal vue, elle est synonyme d’instabilitéL'image du travailleur indépendant est celle d'un autodidacte qui n’a pas eu les moyens de se lancer dans des études supérieures.

Depuis les années 1990/2000 avec les transformations économiques, l’apparition des technologies numériques par exemple qui ont métamorphosées le marché, la vision des Français sur l’entrepreneuriat évolue. Des écoles comme HEC ou l’ESSEC forment désormais des  créateurs d’entreprise. Malgré tout, notre culture étatique étant fortement élitiste, nous sommes en retard dans cette mutation.

Enfin, notons que chez les Anglo-saxons, un particulier peut facilement investir dans une entreprise alors qu’en France, cet investissement rentrerait dans les 10 000 euros que les ménages peuvent utiliser dans les services. Entre payer la nourrice ou engager des fonds dans la nouvelle entreprise de son cousin… le choix est malheureusement vite fait. Si cette aide était exonérée d’impôt, l’entrepreneuriat aurait de beaux jours devant lui.

Propos recueillis par Mathilde Cambour

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