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Scandale de la traçabilité alimentaire : le poisson consommé aux Etats-Unis n’est pas ce qu’il est censé être. Qu’en est-il en Europe ?
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Mauvaise pêche

Un tiers des poissons vendus aux Etats-Unis ne correspondent pas à ce qui est annoncé sur l'emballage selon l'étude d'une ONG américaine. Après l'affaire de la viande de cheval, doit-on s'attendre au même scandale en France ?

Catherine Lecomte Commission européenne et Jacques Lanffry

Catherine Lecomte Commission européenne et Jacques Lanffry

Catherine Lecomte est maître de conférences à l'Ecole nationale supérieure desindustries agricoles et alimentaires (ENSIA). Elle est l'auteur de Analyser et améliorer la traçabilité dans les industries agroalimentaires aux éditions AFNOR. 

La direction générale des affaires maritimes et de la pêche traite des affaires liées au monde de la mer en Europe.

Jacques Lanffry est le PDG d'une usine qui fournit les entreprises en poissons. Il a répondu à Atlantico sous pseudo.

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Retrouvez le même sujet : 59% du thon consommé aux Etats-Unis n'est pas du thon... après le cheval dans les lasagnes, le scandale des étiquettes sur le poisson

Atlantico : Un tiers des poissons vendus aux Etats-Unis ne correspondent pas à ce qui est annoncé sur l'emballage, selon une étude publiée par une ONG américaine la semaine dernière. Les restaurants de sushis seraient les plus mauvais élèves, avec des fraudes constatées dans 74 % des cas. Cette affaire des poissons mal étiquetés aux Etats-Unis pourrait-elle nous arriver en France ?

Catherine Lecomte : Un acteur (transformateur, conditionneur, grossiste) d’une chaîne logistique qui reçoit un lot de produits avec une étiquette donnée a la possibilité, tant que le lot est sous sa responsabilité, de modifier en ré-étiquetant les produits, les informations présentes sur l’étiquette d’origine.

Si cette modification consiste à modifier une espèce de poisson en une autre, ceci est une fraude. Celle-ci sera plus difficile à détecter si le poisson brut a été transformé (filets ou morceaux) car il peut ressembler aux filets/morceaux d’autres espèces.  Ainsi, la mauvaise information peut par la suite, et grâce aux systèmes de traçabilité, se propager à l’aval de la chaîne logistique, sans pour cela que les acteurs en aval soient des fraudeurs. Pour résumer, la traçabilité ne protège pas de la fraude.De plus, la traçabilité n’est pas synonyme de qualité sanitaire garantie.

Commission européenne : Sur base de contrôles et enquêtes antérieures en Europe, le niveau d'erreurs ou de fraudes à l'étiquetage (ou à l'information sur le produit, notamment l'espèce) varie entre 10% et 40% et se concentrent logiquement sur la fin de la chaine i.e. restauration et distribution. Les produits transformés sont plus complexes à contrôler et les différences organoleptiques plus difficiles à identifier.

Dans sa proposition de réforme de la politique des marchés des produits de la pêche et de l'aquaculture, la Commission souhaite étendre les obligations d'étiquetage obligatoire d'information de base aux produits transformés (dénomination commerciale de l'espèce, provenance et méthode de production (pêche ou aquaculture).

Par quels procédés doivent obligatoirement passer les poissons destinés à la consommation humaine ?  

Jacques Lanffry : Il est obligatoire que la marchandise passe par le contrôle de la direction des services vétérinaires de frontières pour rentrer en Europe. Ce service est chargé de vérifier la concordance entre les documents qui accompagnent la marchandise et cette dernière (désignation, origine, mode de pêche, documents sanitaires d’origine visés par inspecteur sanitaire du pays expéditeur, et le certificat de capture). Tout ce qui rentre en Europe doit être systématiquement contrôlé. L'importateur doit lui aussi faire des contrôles et l'exportateur doit envoyer des résultats d'analyse qui doivent être conformes aux normes européennes.

Cependant, le poisson, ce n'est pas comme la viande. On reconnaît par exemple lorsqu'un cabillaud n'est pas un cabillaud, chaque espèce a des fibres différentes visibles à l’oeil nu. Si le poisson n'est pas frais, ça va se voir tout de suite par rapport à la viande.

Commission européenne : Il existe un règlement sur les produits de la mer et de l'aquaculture qui impose d'étiqueter les informations suivantes pour les produits frais et congelés: dénomination commerciale, provenance (zone de capture, pays de production pour l'aquaculture) , et si le produit a été pêché en mer, pêché en eaux douces ou élevé. Par exemple: cabillaud, pêché en Atlantique Nord Est ou carpe, élevée en Allemagne.

Des informations générales relatives aux conditions d'utilisation (date limite de consommation…), information nutritionnelle, allergène sont également fournies.

Quelles fraudes peut-il y avoir dans l'industrie du poisson ?

Jacques Lanffry : Il est vrai qu'il peut y avoir des fraudes sur les appellations, le poids, les quantités. Les gens peuvent éventuellement mettre à l'insu de l'importateur des additifs.

Sur un produit congelé,  l’expéditeur ou le producteur peut donner des informations sur le taux de "glazing"  (légère pellicule de glace sur le produits qui permet que le froid ne dessèche pas et ne brûle pas les chairs) : un poisson, peu importe la race, peut brûler avec le froid et le temps. On arrose par exemple les saumons sauvages d'Alaska avec de l'eau une fois qu'ils sont congelés pour qu'une fine pellicule de glace les protège du froid dans les zones de stockage. C'est comme une couche d'isolant. Ce procédé est réglementé pour que l'on ne mette pas trop d'eau et qu'on se retrouve avec plus d'eau que de poisson.

Certains pays hors UE utilisent des additifs dont il est possible que l'usage ne soit pas forcément réglementé. Ceux-ci doivent être déclarés sur les documents et les étiquettes et doivent être en conformités avec la réglementation européenne. Il y a donc des prélèvements, qui sont faits à la réception de la marchandise.  Pour les crevettes, on peut ajouter des sulfites, qui servent à éviter que les têtes noircissent. Ce procédé est aussi réglementé, un pourcentage maximum est autorisé.

Commission européenne : En dehors de fraudes sur l'étiquetage des espèces, dans le domaine de la pêche, les contrôles principaux concernent l'application des règles et mesures de conservations: respects des quotas, sélectivités, pas de juvéniles commercialisés … Afin de renforcer ses capacités de contrôle , nous nous sommes dotés d'un ensemble de mesures assurant la traçabilité des produits et soutient le développement et les recherches en termes de test ADN.

De manière pratique, comment bien lire une étiquette ?

Jacques Lanffry :La réglementation oblige à respecter quatre critères : le nom commercial du poisson, par exemple  "filet de cabillaud", son nom scientifique ("gadus morua"), et la zone de production et la méthode de production : "péché en" (pour les poissons sauvages), "élevé en" (pour les poissons d'élevage), "élevé en eau douce en", "produit en eau douce en".

Le lieu de production est défini par une nomenclature internationale, définie sous le terme FAO (Food agricultural organisation).  Par exemple, la zone FAO 61 désigne un endroit de la mer pacifique du côté du Japon. Cela dit d'où vient le poisson, de quelle zone de pêche. Toutes les parties du monde sont répertoriées par un numéro et une localisation. Quand il pêche, le capitaine relève sur son carnet de bord la zone exacte de pêche, c'est obligatoire en Europe. Suite à l'accident de Fukushima, ceux qui importaient des coquilles Saint-Jacques du Japon, ont pris des risques.

Sur certains poissons, on analyse aussi  la concentration des métaux lourds : les requins, les espadons, et d'autres poissons sont plus sujets à fixer les métaux lourds que d'autres.

Catherine Lecomte :  Pour bien lire une étiquette, il peut être judicieux de lire la  liste des ingrédients présents, les signes de qualité et d’origine éventuels indiqués, la date limite de consommation. Il est aussi préférable d'acheter préférentiellement du poisson non transformé entier, reconnaissable à sa forme, ainsi l’espèce indiquée sur l’étiquette est la bonne.

Après le scandale de la viande de cheval, cette affaire des poissons mal étiquetés semble montrer que la traçabilité agroalimentaire a d'énormes progrès à faire... Doit-on se méfier de ce qu'il y a dans notre assiette ?

Catherine Lecomte : Une traçabilité, même très performante, ne peut pas être un rempart infaillible contre la fraude dans une chaîne logistique multi-acteurs. La fraude est sans doute plus difficile à pratiquer sur des produits bruts, peu transformés, dont l’origine est indiquée (fruits et légumes frais, découpe de viande par exemple).

Les prix pourraient-ils monter si on renforçait les contrôles?

Catherine Lecomte :  Ils pourraient monter. Des produits très contrôlés, comme ceux qui portent le Label Rouge ou AOC coûtent plus chers du fait d’un mode d’élaboration plus exigeant et de contrôles accrus. 

Commission européenne : A travers le monde, les prix du poisson fluctuent en fonction de la demande et des prix du pétrole, ce sont les facteurs dominants. Les contrôles d'hygiène qui ont été harmonisés à travers l'UE en 1997 ont été inclus dans les prix de vente des produits, et les coûts liés aux inspections vétérinaire sont fixés par la loi depuis 2004.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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