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Faut-il croire à la sincérité des ambitions écologiques de la Chine ?
©Reuters

Vertes illusions ?

Une interdiction des barbecues dans les grandes villes, voici l'une des dernières mesures du gouvernement chinois pour lutter contre la pollution galopante. Un positionnement qui laisse penser que la "civilisation écologique" promise par le nouveau leader Xi Jinping n'est pas forcément pour demain. Décryptage

Pierre Picquart Picquart et Stephan Silvestre

Pierre Picquart Picquart et Stephan Silvestre

Pierre Picquart est docteur en Géopolitique de l’Université de Paris-VIII, spécialiste en Géographie humaine, expert international, et spécialiste de la Chine. Auteur d’une thèse de doctorat en 1999 et de nombreux travaux sur la Chine contemporaine et le monde chinois, il est le fondateur et le directeur du Centre d’Etudes, de Développement et de Recherche International sur la Chine (CEDRIC). Expert en 2001 et en 2006 pour la Commission Européenne, il est l’auteur de nombreux articles et expert en relations internationales pour des États et organismes internationaux, des entreprises et des médias.Il a rédigé notamment La Chine dans vingt ans et le reste du monde. Demain, tous chinois ? en 2011.

Stephan Silvestre est ingénieur en physique appliquée, Professeur à l'ESG Management School et spécialiste des risques énergétiques. Il est membre de la chaire des risques énergétiques de l’ESG-MS et anime le blog Risk Energy.

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En dépit de problèmes environnementaux croissants, peut-on dire que la classe politique chinoise soit vraiment décidée à amorcer sa transition écologique ?

Pierre Picquart : Si l'on se réfère au XIIe plan quinquennal adopté en 2011 ainsi qu'à la volonté politique de la nouvelle équipe dirigeante, on peut affirmer que la Chine souhaite s'engager avec détermination dans le développement durable. On peut effectivement s'étonner de mesures relativement symboliques comme l'interdiction des sacs en plastique ou des barbecues dans les grands centres urbains, mais il s'agit ici davantage de préparer les consciences à la transition écologique qui s'amorce. Lorsque l'on se rend en Chine et que l'on discute avec la population, les jeunes en particulier, on s'aperçoit que les réformes environnementales occupent une place de premier plan dans le débat public et qu'elles ont un fort impact sur l'opinion. Xi Jinping a fait de la "civilisation écologique" un engagement phare de son mandat et cela fait écho à une colère populaire croissante face aux problèmes de pollution. Le gouvernement actuel sera clairement jugé sur cette thématique primordiale (avec le pouvoir d'achat) et il serait ici très risqué politiquement de revenir sur une telle promesse.

Les chiffres seront peut-être ici plus éloquents que les mots pour convaincre : la Chine a été sur 2011 et 2012 le plus gros investisseur dans les énergies renouvelables (hors électricité) avec 52 milliards de dollars, soit un cinquième de la part des investissements mondiaux. Par ailleurs le pays compte investir sur plusieurs années 10 000 milliards de dollars dans son plan d'urbanisation, qui inclue le développement de transports publics propres, de systèmes d'économie d’énergie, et la construction de villes satellites axées sur le développement durable. Autant dire que les Chinois, étant donné l'importance des fonds déjà alloués, ont bel et bien l'intention de réussir cette transition énergétique. 

Stephan Silvestre : Ce problème se pose d'une façon très différente pour la Chine. L’Europe est installée dans un long cycle de stagnation économique. Son modèle sociétal, ainsi que sa démographie, l'ont placée dans une torpeur durable. Les choix que font les Européens découlent donc d'arbitrages du type "Je vais convertir une partie de ma production d'énergie en énergie verte, même si c'est plus cher" ou "Je vais imposer une nouvelle règlementation sur les voitures, même si cela affecte les ventes".

La logique chinoise est très différente. La croissance économique soutenue est indispensable au régime pour absorber les dizaines de millions de ruraux qui s'urbanisent chaque année et éviter l'explosion sociale qui interviendrait immanquablement s'ils ne trouvaient pas de travail. Le gouvernement chinois doit donc résoudre comme premier problème : comment répondre à une demande d'énergie qui va augmenter de 50% d'ici vingt ans ?

Pour se faire, il considère toutes les options : importations d'hydrocarbures, investissements à l'étranger, exploitation des ressources nationales, qu'elles soient traditionnelles ou nouvelles. Le pays cherche aussi à améliorer son intensité énergétique, c'est-à-dire sa quantité de PIB par unité d'énergie. Son but n'est pas de diminuer sa consommation globale, mais de limiter, sans enfreindre sa croissance, la quantité d'énergie nécessaire, et particulièrement celle qui est importée.
Et ensuite viennent les considérations environnementales, et surtout sanitaires.
Les autorités sont de plus en plus sensibles à la qualité de l'air et tâchent de remédier aux problèmes de pollution par des moyens techniques, si c'est possible, ou autoritaires si besoin.

De nombreux plans quinquennaux n'ont pas tenu leurs objectifs par le passé. N'y a-t-il pas en conséquence un risque de voir cette ambition écologique revue à la baisse ?

Pierre Picquart : La classe politique chinoise est bien consciente des déceptions accumulées par l'opinion sur le plan des réformes tant politiques qu'économiques. Le message "Nous devons dire ce que nous allons faire et faire ce que nous allons dire" est aujourd'hui martelé. Cela passe par une politique de transparence et les erreurs de planification commises dans le passé (comme la surproduction de riz qui a débouché sur des famines dans les années Mao, NDLR) sont suffisamment connues pour qu'elles soient évitées aujourd'hui. Par ailleurs, la hausse des prix de l'énergie dans l'Empire du Milieu est une autre source de pression pour le gouvernement qui devrait l'amener premièrement à réduire la consommation/habitant et deuxièmement a essayer d'optimiser la consommation.

Comment expliquer dans ce cas que le pays continue de consommer massivement du charbon tout en sécurisant ses apports en pétrole ? 

Pierre Picquart : L'énergie en Chine se base en effet essentiellement sur le charbon et son économie ne saurait s'en passer à l'heure actuelle. Néanmoins cela ne durera pas éternellement : au delà des investissement déjà évoqués on peut parler de la volonté d'investir dans le nucléaire et l'hydraulique. Je ne crois pas qu'il y a ici un double discours qui ferait que l'on annonce une politique pour en mener une autre dans les faits. La stratégie énergétique chinoise est simplement en train d'évoluer, comme le prouvent les chiffres cités plus haut, et l'utilisation des énergies fossiles ne sera pas éternelle. La croissance fulgurante de l'économie chinoise a provoqué ces dernières années, comme chacun sait, une pollution conséquente des cours d'eaux et des grandes agglomérations et cela poussera logiquement le pouvoir en place à corriger le tir. Cette ambition n'a pas pour but de faire plaisir aux belles âmes occidentales mais bien d'améliorer la qualité de vie d'une population de plus en plus touchée par les dysfonctionnements environnementaux. 

Stephan Silvestre : Pour faire face à sa demande interne, la Chine doit faire feu de tout bois. Elle est à la fois le deuxième importateur mondial de pétrole, le premier producteur mondial de charbon et d'hydroélectricité, le troisième  pour les énergies renouvelables et le premier installateur mondial de centrales nucléaires. Mais le gouvernement tient beaucoup à son indépendance diplomatique et ne veut surtout pas se retrouver otage d'un pays tiers.C'est pourquoi il privilégiera toujours les sources d'énergie domestiques, à commencer par le charbon, abondant, bon marché, qui ne nécessite pas - ou peu - de technologies occidentales et qui occupe beaucoup de main d’œuvre.

Pour la part qu'elle doit importer, notamment le pétrole, la Chine cherche à sécuriser ses approvisionnements de trois façons. D'abord diplomatiquement, en nouant des relations étroites avec certains pays producteurs, avec un goût particulier pour ceux qui sont bannis par l'Occident (Iran, Soudan, Birmanie, Venezuela...). Ensuite militairement, en étendant son contrôle sur la mer de Chine et recherchant des relais dans l'océan Indien jusqu'au Pakistan. Et enfin capitalistiquement, en investissant dans des firmes énergétiques ou des installations (ports, mines, gazoducs, routes, etc.) partout à travers le monde.

On estime que cette transition énergétique pourrait se faire dès 2030, ce chiffre est-il tenable ? 

Pierre Picquart : Cette date m'apparaît raisonnable. On peut ainsi évoquer les progrès étonnants qui ont été réalisés dans certaines provinces, comme celle du Heibei et l'on peut parier qu'une coordination de ses projets environnementaux (portés par des chercheurs et des personnalités) devrait permettre d'accomplir cet objectif à l'échelle nationale. Reconstruire les écosystèmes endommagés prendra effectivement un certain temps mais l'on peut dire que structurellement l'équilibre écologique est bien envisageable d'ici une petite vingtaine d'années. La Chine nous a habitué à d'autres surprises par le passé et il n'est pas impossible qu'il réussisse une fois de plus ce qu'ils ont entrepris.

Stephan Silvestre : Tout dépend de ce que l'on définit comme transition énergétique. S'il s'agit de mettre fin à l'exploitation du charbon, comme en France, à l'évidence ce ne sera pas le cas en 2030. La part du charbon dans le mix énergétique chinois descend lentement et devrait passer de 67% aujourd'hui à 50-55% en 2030. Cela se fera au profit des énergies renouvelables, surtout l'hydroélectricité, mais aussi du gaz naturel. Le gaz est une amélioration sur le charbon, mais n'est pas perçu comme l'aboutissement d'une transition énergétique réussie. Enfin, le nucléaire va aussi monter fortement, avec une soixantaine de réacteurs en cours de construction ou en projet, contre 16 actuellement en exploitation. Selon que l'on inclut ou exclut le nucléaire de la transition, le point de vue est différent. Néanmoins, cela contribuera à améliorer la qualité de l'air du pays et à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, la Chine mise beaucoup sur l'électrification de son parc de véhicules. Non seulement les voitures, mais aussi les vélos, qui, dotés d'un petit moteur électrique, remplacent avantageusement les voitures pour nombre de déplacements courts. Et là, les choses vont très vite. La Chine en compte déjà plus de 150 millions, chiffre qui augmente d'une vingtaine de millions par an. Pour les voitures, on n'en est pas encore là, mais la Chine mise sur 5 millions de véhicules en circulation en 2020. Le parc chinois sera encore très majoritairement thermique en 2030, mais le virage de l'électrification aura été bien amorcé.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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