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La politique des sanctions internationales est-elle totalement efficace ?
©Reuters

Deux poids deux mesures

Le président américain Barack Obama a souligné la nécessité d'adopter de nouvelles sanctions internationales à l'encontre de la Corée du Nord suite à un nouveau test nucléaire mené la semaine dernière par Pyongyang. Car condamner et jouer de diplomatie ne semblent pas être suffisant.

Nicolas Tenzer

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris et non-resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA). Il écrit des articles de fond sur les questions internationales et de sécurité notamment sur son blog Tenzer Strategics (107 articles parus à ce jour). Il est l’auteur de trois rapports officiels au gouvernement français, de milliers d’articles dans la presse française et internationale et de 23 ouvrages, dont le dernier Notre Guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire.

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Régulièrement, l’utilité des sanctions – nous ne parlons pas ici de l’embargo sur les livraisons d’armes ‑ à l’encontre d’Etats qui ne respectent pas les règles internationales et ont une conduite menaçante – aujourd’hui singulièrement l’Iran et la Corée du Nord ‑ est remise en cause. Il y a à cela de bonnes raisons : non seulement elles ne font pas fléchir les dictateurs, mais parfois renforcent aussi le soutien d’une partie de la population qui en pâtit le plus et se trouve confortée dans un nationalisme qui rime avec fierté. Ces sanctions paraissent aussi une manière pour la communauté internationale de se donner bonne conscience lorsqu’elle ne veut ou ne peut pas, pour des raisons bien compréhensibles, monter d’un cran. Elles paraissent aussi dans une large mesure à géométrie variable, puisque les plus grands pays, lors même qu’ils agissent contre les principes fondamentaux du droit international, ne se les voient pas opposées, en particulier s’ils sont, comme la Russie et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Dès lors, penser que les sanctions économiques à l’encontre de pays comme l’Iran et la Corée du Nord ont un impact diplomatique serait clairement erroné, du moins si l’on considère ces sanctions indépendamment de leur contexte. Cela suffit-il à les condamner et à leur dénier toute utilité comme partie d’un ensemble de mesures plus large ? Cela serait tout aussi excessif et simplificateur.

Le problème reste donc entier. D’abord, à partir du moment où les puissances démocratiques excluent, à bon droit ou non, une intervention armée, quels sont les moyens dont ils disposent pour contribuer à faire fléchir ces puissances dangereuses ? Ensuite, que nous disent les limites intrinsèques des sanctions sur l’ordre international lui-même ? Enfin, en termes diplomatiques, quelles évolutions faut-il favoriser afin de renforcer les sanctions, essentiellement économiques, dans l’arsenal des pressions à l’endroit d’Etats dangereux ?

En premier lieu, il faut bien reconnaître qu’en dehors des sanctions économiques, les moyens d’action de la communauté internationale, en dehors de l’action armée, restent limités. Si la politique de sanction est rarement satisfaisante, on conçoit pourtant difficilement qu’on puisse s’en priver. Une absence de sanctions, signe d’indifférence, serait pire encore. Il faut aussi rappeler que, dans les faits, si les sanctions restent l’élément visible de l’action internationale, une politique de sanctions s’accompagne quasiment toujours d’autres dimensions, qui vont de la négociation plus ou moins secrète jusqu’aux pressions d’un autre ordre. Même avec les puissances les plus potentiellement criminelles, les Etats démocratiques, en particulier les Etats-Unis, n’ont jamais complètement rompu. On sait aussi que certaines dictatures, comme l’Iran, ne sont pas des blocs monolithiques et qu’il est aussi possible de jouer habilement de l’opposition entre les différentes factions qui constituent le « pouvoir ». De surcroît, se développent de plus en plus à l’encontre des dictateurs et de leur clan des pressions d’ordre personnel qui visent ainsi à saisir et à confisquer leurs biens et leurs avoirs à l’étranger – et l’arsenal des mesures en ce sens devrait être appelé à se renforcer au cours des prochaines années. Enfin, le camp démocratique peut parfois s’appuyer sur la conscience de leur intérêt bien compris de puissances alliées à ces Etats dangereux : pour ne prendre qu’un exemple, si elle est l’alliée « officielle » de la Corée du Nord, la Chine n’est pas nécessairement favorable à la nucléarisation de Pyongyang.

En deuxième lieu, il faut poursuivre la réflexion sur la reconstitution d’un nouvel ordre international de garanties et de stabilisation. Nous avons pu risquer l’hypothèse dans Le monde à l’horizon 2030 (Perrin, 2011) que, au cours des prochaines décennies, les organisations internationales généralistes, en particulier les Nations unies et, dans son action diplomatique en dehors de son aire géographique, l’Union Européenne, risquaient de voir leur efficacité de plus en plus limitée. De plus en plus, nous devrons nous diriger vers le renforcement d’organisations régionales, certes encore trop faibles, mais qui, sans doute avec l’aide d’un tiers qui sera dans la plupart des cas les Etats-Unis, devront offrir des garanties de sécurité que les organisations extérieures ou globales ne pourront pas offrir. En même temps, il est vraisemblable que leur rôle ne pourra qu’être limité à l’endroit de grandes puissances régionales comme l’Iran. Il est vrai que dans l’ordre international tout problème n’a pas toujours sa solution, en tout cas pacifique !

Enfin, l’un des grands tests au cours des prochaines décennies consistera à voir comment évolueront les nouvelles puissances émergentes qui se réclament des valeurs globalement démocratiques – on peut penser en particulier à des pays comme le Brésil et la Turquie, mais aussi l’Indonésie ou Singapour, puis certainement d’autres. Pour l’instant, les deux premiers, on l’a vu il y a quelques années lorsqu’ils ont montré quelque « compréhension » pour le régime iranien, n’ont pas établi le lien entre les progrès, certes encore trop limités pour Ankara, de la démocratie dans l’ordre interne et dans leur action internationale. En même temps, l’accroissement du nombre de régimes plutôt démocratiques dans le monde depuis une vingtaine d’années devrait progressivement modifier la donne et faire que les sanctions internationales à la fois soient mieux appliquées et soient moins contournées par une politique de complaisance des acteurs internationaux. Encore une fois, les sanctions prennent toujours place dans un cadre qui est celui des relations que les Etats dangereux entretiennent avec d’autres pays. Que leurs appuis extérieurs se réduisent et les sanctions auront une portée renforcée.

En ce sens, s’il ne faut pas attendre des sanctions qu’elles fassent fléchir la politique des Etats et si elles ne doivent pas dispenser d’une réflexion sur les autres pressions dont on peut faire usage sur la scène internationale, elles continuent de constituer un signe dont il est difficile de se passer. Leur perfectionnement, qui permettra sans doute de cibler de mieux en mieux le cœur du pouvoir, les divisions que connaissent aussi la plupart des dictatures et les progrès technologiques qui devraient élever les seuils à partir desquels les armements non conventionnels deviennent effectifs contribuent à l’accroissement de la sécurité collective.

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