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Existe-t-il un risque d'anticonstitutionnalité sur le mariage homosexuel ?
Existe-t-il un risque d'anticonstitutionnalité sur le mariage homosexuel ?
©Reuters

Hors des clous ?

Dans le journal La Croix, deux juristes indiquent que le mariage homosexuel pourrait être anticonstitutionnel à cause d'une incompatibilité avec l'article 310 du Code Civil, qui indique que les adoptions plénières (comprises dans la loi sur le mariage gay) nécessitent l'altérité sexuelle des adoptants.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : Une tribune publiée dans le journal La Croix (voir ici) par deux juristes, Laurent Bayon, et Marie-Christine Le Boursicot, indique que le mariage homosexuel pourrait être déclaré anticonstitutionnel, non pas sur le volet de l'union entre personnes du même sexe, mais sur la base d'une incompatibilité avec l'article 310 du Code Civil. Celui-ci indique que les adoptions plénières (comprises dans la loi sur le mariage homosexuel) nécessitent l'altérité sexuelle des adoptants (« tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère »). Comment analysez-vous cet argument ?

Didier Maus : C’est un argument très sérieux. D’après moi il faut distinguer trois problèmes différents dans le projet de loi :

  • la question du mariage entre personnes du même sexe
  • le problème de l’adoption simple
  • le problème de l’adoption plénière.

Le mariage entre deux personnes de même sexe soulève, évidemment, des questions constitutionnelles, mais il est difficile de trouver dans le « bloc de constitutionnalité », tel qu’il est interprété par le Conseil constitutionnel, un moyen juridique très efficace, sauf à considérer que, par nature, le mariage ne peut être contracté que par deux personnes de sexes différents. C’est sous entendu dans le Code civil depuis 1804. Toutes les constructions juridiques ont été élaborées à partir de ce constat, à commencer par le divorce : il est la dissolution du lien entre un homme et une femme. Il faut, en même temps, reconnaître, que les normes constitutionnelles explicites (Déclaration de 1789, Préambule de 1946, Constitution de 1958) ne sont pas très loquaces sur ce sujet. Pour aboutir à une déclaration d’inconstitutionnalité, il faudrait admettre qu’il existe un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » prescrivant que le mariage c’est un homme et une femme. Certains juristes le soutiennent. Je ne suis pas certain que le Conseil constitutionnel, qui sera saisi de ce raisonnement, l’accepte. Lorsqu’il y a doute ou incertitude le Conseil constitutionnel penche en faveur de la loi adoptée par le Parlement.

L’adoption simple ne semble pas soulevée de problèmes insurmontables dans la mesure où elle n’efface pas  tout autre état civil.

Les deux auteurs, dans une contribution à la fois érudite et convaincante, estiment que l’adoption plénière, en l’état actuel du Code civil, ne peut être prononcée qu’au profit d’un couple hétérosexuel ou d’une personne seule. Il parait difficile de surmonter cet obstacle, sauf à refondre complètement le droit de la filiation, ce qui n’est pas l’intention du gouvernement. On peut, ici, considérer qu’il existe un véritable principe constitutionnel qui implique que l’adoption plénière implique la différenciation sexuelle des nouveaux parents.

Pourquoi la ministre de la Justice, Christine Taubira, n'a-t-elle pas souhaité modifier ce fameux article 310 du Code Civil ?

Je ne peux pas répondre à la place de Mme Taubira. Il me paraît évident que le projet est déjà suffisamment complexe pour ne pas en rajouter. Il ne faut pas ouvrir la boite de Pandore sans quelques munitions.

Si le texte était rejeté par le Conseil constitutionnel sur cette base, cela donnerait-il le coup de grâce au projet de "mariage pour tous", ou bien cela retarderait-il seulement son adoption ? En d'autres termes, invoquer ce fameux article 310, n'est-ce pas un combat désespéré pour les opposants au "mariage pour tous" ? 

Il est parfaitement possible de permettre le mariage entre personnes du même sexe sans toucher aux règles de l’adoption. Il n’y aucune obligation juridique de lier les deux évolutions. Politiquement il en va autrement. Il est difficile d’imaginer que l’adoption plénière soit interdite mais que l’adoption simple ne le soit pas. Elles sont les deux branches d’une même problématique. A mon avis l’inconstitutionnalité de l’adoption plénière devrait réagir sur l’adoption simple. Ce n’est pas une stricte obligation.

Dans l’esprit des adversaires du projet de loi il n’y  a pas de combat désespéré. . Il n’y a, en tout cas aucune rétroaction de l’inconstitutionnalité éventuelle de l’adoption vers le mariage.

Plus généralement, y aurait-il encore des éléments juridiques sérieux qui pourraient permettre de faire échouer l'adoption du "mariage pour tous" ?

Il est délicat de répondre pour l’instant. Le débat est loin d’être terminé. D’un point de vue constitutionnel la discussion en première lecture à l’Assemblée nationale a été décevante. Aucun des opposants n’a présenté un argumentation structurée, ce qui ne signifie pas convaincante. De ce fait ni le gouvernement ni la majorité n’ont eu à répondre de manière détaillée. Je pense qu’il en sera différemment  au Sénat, d’abord en raison des traditions sénatoriales, ensuite en raison de l’étroitesse de la majorité de gauche au Sénat.

A mon sens le débat ne fait que commencer. Il va encore durer 3 ou 4 mois.

Il sera impossible de ne pas répondre aux questions relatives à l’adoption. Cela sera passionnant.

Le gouvernement savait que ce projet de loi, improprement appelé « mariage pour tous », mais consacré à l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, au-delà de ses très forts enjeux politiques, philosophiques, anthropologiques et culturels, présente un risque constitutionnel. Il n’est pas aisé de le mesurer, mais il existe. Le nier serait faire preuve d’aveuglement. Dans une démocratie, le Parlement est chargé de voter la loi « dans le respect de la Constitution ».

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