Tunisie : radiographie des forces en présence<!-- --> | Atlantico.fr
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La crise politique tunisienne actuelle ne se résume pas qu'à une opposition entre laïcs de gauche et islamistes de centre-droit.
La crise politique tunisienne actuelle ne se résume pas qu'à une opposition entre laïcs de gauche et islamistes de centre-droit.
©Reuters

Complexité

La crise politique tunisienne actuelle ne pourrait être résumée à une opposition entre laïcs de gauche et islamistes de centre-droit. D'autres partis, moins visibles, sont tout autant impliqués dans les évènements à venir.

Vincent Geisser

Vincent Geisser

Vincent Geissert est un sociologue et politologue français. Il occupe le poste de chercheur au CNRS, pour l’Institut du français du Proche-Orient de Damas.

Il a longtemps vécu en Tunisie, où il travaillait à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, de 1995 à 1999.

Il est l'auteur de Dictateurs en sursis. La revanche des peuples arabes, entretien avecMoncef Marzouki. (Editions de l'Atelier, 2011)

Et de Renaissances arabes. (Editions de l'Atelier, octobre 2011)

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Atlantico : Quelles sont aujourd'hui les principales forces à l'oeuvre dans les événements qui secouent la Tunisie

Vincent Geisser : Les heurts entre le gouvernement islamiste d'Ennhada et la gauche laïque représentée principalement par le Front Populaire ne permettent pas de décrypter l'intégralité des rapports de force politique. On ne peut pas réduire l'évènement à un conflit entre islamistes et laïques comme l'on pourrait le croire à première vue. Ainsi la plupart des Tunisiens, y compris ceux qui ont voté pour l'un des deux partis aux élections, ne se réclament pas réellement de leurs idéologies. Certains islamistes modérés désapprouvent une partie des méthodes de la coalition au pouvoir tandis que les manifestants de l'opposition laïque du Front Populaire ont un poids médiatique qui ne correspond pas vraiment à leur poids électoral. On a pu avoir l'impression que les leaders de ce parti, dont Chokri Bellaid, avaient gagné en charisme en se positionnant contre l'islamisme mais leur influence a été jusque-là relativement faible sur l'ensemble des Tunisiens contrairement à ce qu'on pourrait croire.

Il ne faudrait pas oublier par ailleurs l'enjeu pour les autres organisations politiques, en particulier le parti Nida Tounès bien plus important politiquement que le Front Populaire. Cette formation, très hétéroclite, est constitué de nostalgiques de l'ère Bourguiba (1957-1987) méfiants face à la montée de l'islamisme et partisans d'un état fort bien que légitime aux yeux du peuple. Elle n'occupe pas le premier plan médiatiquement pour l'instant mais a fort à gagner du rejet violent d'Ennhada par la population, qui pourrait créer un appel d'air en sa faveur.

Les salafistes du Front de la Réforme ont quant à eux réussi leur pari face à la coalition au pouvoir qui avait initialement pour objectif de devenir un nouvel AKP (parti conservateur au pouvoir en Turquie, NDLR) à la fois musulman et démocrate. L'aile salafiste a cependant fait échouer ce projet en imposant des mesures de plus en plus autoritaires et populistes en échange de son soutien politique.

Qui est aujourd'hui le mieux placé pour tirer son épingle du jeu ?

Le face à face se joue réellement entre les deux partis « conservateurs » que sont Ennhada et Nida Tounès, ces derniers étant les plus succeptibles de recueillir l'approbation des Tunisiens qui n'ont pas d'attache idéologique concrète. Il ne faudrait pas amalgamer pour autant cette évolution avec un tournant conservateur de la société puisqu'il s'agit ici davantage d'une phase d'incertitudes inhérentes à toutes les révolutions. Cela profite en conséquence aux deux tenants de l'ordre moral, les uns représentants l'ordre moral islamique tandis que les autres incarnent l'ordre moral séculariste.

Comment analyser par ailleurs le rejet du gouvernement d'experts par la plupart représentants politiques ?

Je pense que le dialogue est clairement rompu. La ligne pragmatique et dialoguiste qu'a essayé d'imposer le Premier ministre avec cette option est devenue clairement inaudible face à la montée des passions. Ce dernier a été désavoué par son propre parti tandis que le discours du Président de la République au Parlement Européen est passé quasiment inaperçu, ce qui prouve à quel point les tenants du pouvoir sont affaiblis à l'heure actuelle. La radicalisation se fait pour l'instant dans les esprits et bien que la situation ne soit pas encore celle de l'Egypte, il existe bel et bien un risque de voir la violence augmenter rapidement. Les causes du phénomène ne sont pas si récentes dans le sens ou la bipolarisation du débat entre le maintien de l'ordre ancien et l'émergence de l'ordre nouveau trouve déjà ses racines dans les débuts de la révolution de 2011. La différence est que nous voyons aujourd'hui les premiers dégâts sur le terrain de cette confrontation idéologique et bien que l'on trouve relativement peu d'armes en Tunisie en comparaison d'autres pays on peut s'attendre à une continuation des heurs violents entre les différents acteurs.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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