Diane 35, pilule dangereuse : l’obsession du confort immédiat nous fait-elle oublier toute appréciation des risques ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Le professionnel de santé est souvent mal formé, la formation des médecins sur le médicament est la plus faible d’Europe.
Le professionnel de santé est souvent mal formé, la formation des médecins sur le médicament est la plus faible d’Europe.
©Flickr/mr.paille

Inconscience

Diane 35, ce traitement contre l'acné principalement utilisé comme moyen de contraception, est-il le symbole de la relation particulière que les Français ont à l'égard des médicaments ?

Jean-Paul Giroud et Anne Vega

Jean-Paul Giroud et Anne Vega

Jean-Paul Giroud est l'un des spécialistes les plus reconnus en pharmacologie. Membre de l'académie nationale de Médecine, de la commission de pharmacovigilance et expert auprès de l'OMS.

Anne Vega est chercheur à l'université Paris-Ouest, travaillant en collaboration avec le Laboratoire d’Ecologie Humaine et d’Anthropologie (Aix-en-Provence), l’EHESS (Paris), et l’université Victor Ségalen (Bordeaux 2).

Voir la bio »

Atlantico : Les Français ont-ils encore conscience de ce que sont réellement les médicaments, c'est-à-dire des substances contenant des principes actifs qui peuvent éventuellement avoir des effets secondaires ? 

Jean-Paul Giroud :  Tous les médicaments, qu'ils soient efficaces ou inefficaces sont susceptibles d'entrainer des incidents, et parfois même des accidents. Il suffit de voir ce qui arrive actuellement avec les pilules de 3ème génération. 

Anne Vega :Suite aux différentes « affaires », les prises de conscience sont nombreuses. Mais l’attention aux effets secondaires a toujours été présente : c’est un motif important de consultations en médecine générale (notamment concernant les pilules contraceptives et les produits psychotropes), et d’arrêt de traitement lorsque les médicaments en viennent à rendre le quotidien impossible - avec ou sans l’accord du médecin. Pareil lorsque l’on finit par penser que le produit n’apporte rien (de bon).

Selon un sondage, seulement 1/3 des français lisent la notice des médicaments avant de les consommer : peut-on parler de mésinformation ou d'inconscience des dangers ? Quel rôle joue le développement de l'automédication ? 

Jean- Paul Giroud : On peut les comprendre, les notices sont souvent dans un jargon trop médical, écrites avec des encres bleutées qui ne facilitent pas la lecture.Le problème, c’est que les patients sont informés par la notice, seulement après avoir acheté le médicament, en particulier pour les médicaments d’automédicationIl y a une absence de connaissance de nos patients sur les risques qu’ils prennent. 

Anne Vega :Nous baignons dans une « culture du médicament » : nous sommes plutôt favorables au médicament (par opposition à d’autres pays où il existe un certain « scepticisme», comme aux Pays-Bas par exemple). Il permet en effet de réduire rapidement tous les symptômes présents ou susceptibles d’apparaître. Mais c’est valable aussi du côté des médecins français, qui font plutôt confiance aux traitements - d’ailleurs la France est en retard en termes de pharmacovigilance. Après, il y a plein de nuances à faire : selon les milieux sociaux, les âges, les genres, etc. Pour aller vite, des usagers fréquentent régulièrement des médecins qui privilégient des médicaments du symptôme notamment. Mais d’autres (médecins et usagers) pas du tout : ils savent que les médicaments ne font pas tout et peuvent être inutiles, toxiques, et coûteux à la collectivité en plus. Attention donc aux discours globalisants sur les « abus » des usagers, ou sur les médecins : eux aussi sont des consommateurs de produits, eux aussi ont des motivations, des orientations et des profils particuliers.

Sur la question de l’automédication, il me semble que les responsabilités sont ailleurs : au niveau des formations médicales, et finalement au niveau de l’Etat : au moins en termes de contrôle des influences des firmes pharmaceutiques à tous les niveaux du système de santé. C’est aussi ce que découvrent des « Français » : les confits d’intérêt, en sachant que des médecins sous informent des patients aussi parce qu’ils sont sous informés par des firmes.

La volonté de satisfaction immédiate de nos besoins fait-elle passer les risques pris au second plan ? 

Jean-Paul Giroud : Le problème est que le patient tend à croire que les médicaments seraient la seule réponse possible à la souffrance humaine et à la maladie. Or, il y a des tas d’autres possibilités, certes plus longues, mais plus sécurisées, notamment la prévention : ne pas fumer pour éviter les cancers du poumons, manger moins pour réduire les risques d’obésité, avoir une hygiène de vie plus saine. 

Anne Vega :Il y a plein de manière de consommer les médicaments. Des personnes préfèrent ne rien savoir car elles pensent que connaître les effets et les redouter risque de les induire : de les provoquer (c’est également une idée présente chez de nombreux médecins qui conseillent de ne pas lire les notices). Pour d’autres, la logique est inversée : il vaut mieux savoir pour se préparer  « au cas où », ou encore pour juger de « risques » par rapport à ce qu’ils ont déjà ressenti (ex. tendance à avoir telle ou telle réaction, telle fragilité). Dans tous les cas, l’important est souvent d’avoir tel ou tel médicament « sous la main », dans la pharmacie familiale : les médicaments prescrits ou achetés ne sont pas consommés de suite, ou pas du tout. Les problèmes d’information viennent plutôt soit de médecins – qui sont encore nombreux à sous estimer les effets secondaires des médicaments (y compris ceux rapportés par les patients), soit de campagnes « commerciales » orchestrées par des grandes firmes   (publicités dans les médias, campagnes de promotion en milieu scolaire).

Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelle part de responsabilité portent respectivement patients, professionnels de santé et pouvoirs publics ? 

Jean-Paul Giroud : Le problème est que la seule information que le patient va recevoir est publicitaire, qui n’est pas une information «santé», mais une «information» pour vendreLes médecins français ont pris la mauvaise habitude de prescrire énormément de médicaments. Dans certains pays, notamment aux Pays-Bas, lors d’une consultation médicale, entre 45 et 55 % des cas, il n’y aura pas de médicaments sur l’ordonnance mais des conseils d’hygiène, de diététique. En France, dans 95 % on se retrouve avec 3 médicaments par ordonnance. De plus, le médecin est souvent poussé par le patient à la prescription, surtout les jeunes médecins généralistes qui peuvent difficilement la refuser.  C’est aussi un problème d’information des médecins, car les bases de données de l’ Agence du médicament sont incomplètes au niveau de l’information du médicament. On est donc obligé de multiplier les sources de renseignement, notamment auprès de l’ HAS (Haute Autorité de Santé), pour savoir si le médicament  prescrit est efficace.  Le professionnel de santé est souvent mal formé, la formation des médecins sur le médicament est la plus faible d’Europe. Et surtout, son information médicale ne va venir pratiquement uniquement des visiteurs médicaux des laboratoires pharmaceutiques. Malheureusement, dans un certain nombre de cas, les informations qu’ils donnent sur l’efficacité ne sont pas validées.

Anne Vega : La question est très large. Toujours par rapport à mes observations en médecine générale, les « profanes » étaient plutôt peu demandeurs de produits : sauf pour les régimes. Ils appartenaient plutôt à des classes sociales « moyennes » et défavorisées, et ils ont plutôt modéré l’ensemble des ordonnances : en s’étonnant du nombre de médicaments prescrits, en questionnant le médecin sur les interactions possible avec d’autres produits, voire même en informant des médecins de l’inutilité ou de la dangerosité de produits (en particulier retirés du marché). Les blogs internet témoignent d’ailleurs de ces préoccupations. 

Peut on établir un rapport entre le culte de la performance dans les sociétés modernes et la surconsommation de médicaments qui apaisent ou augmentent les capacités ?

Anne Vega : Vaste sujet... Sans parler des produits dopants pour les sportifs, des sur-consommations comme des sur prescriptions viennent palier toutes sortes de problèmes de société, liés par exemple à des modèles de corps parfaits chez les femmes, ou à des difficultés au travail –en lien d’ailleurs aussi avec certains types de management. Et il y a plein de travaux en sciences sociales qui soulignent  qu’on assiste actuellement à une augmentation des inégalités sociales de santé en France : les plus démunis sont de plus en plus en incapacité de soigner, notamment… Les injonctions à être responsable de sa santé individuellement laissent de côté ce qui relève en fait de dimensions collectives : de choix politiques et économiques.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !