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"Il n'est pas très républicain de considérer que le FN est anti-républicain"
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Front contre Front

En pleine controverse post-premier tour des cantonales, la question d'un "front républicain" anti-FN est posée. Mais pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, c'est plutôt des mécanismes d'auto-censure dans le débat public dont il faudrait débattre...

Pierre-Henri Tavoillot

Pierre-Henri Tavoillot

Pierre-Henri Tavoillot est philosophe, spécialiste de l'histoire de la philosophie politique.

Il codirige la collection "Le Nouveau collège de philosophie" (Grasset).

Il a notamment publié Tous paranos ? Pourquoi nous aimons tant les complots …  en collaboration avec Laurent Bazin (Editions de l’Aube, 2012) et vient de faire paraître Faire, ne pas faire son âge aux Editions de L'Aube.

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Atlantico : L'idée d'un front républicain renvoie à l'idée que le Front national se situerait hors du champs normal de la démocratie, qu'en est-il?

Pierre-Henri Tavoillot : Je ne partage aucune des conceptions du Front National, mais je ne peux pas nier qu'il s'inscrit dans l'espace républicain. Il participe au processus électoral, il en respecte les règles, il contribue au débat public à sa manière et ne lance pas d'appel à transgresser les lois de la République. L'idéologie du FN me parait détestable, frileuse, étroite, simpliste, mais - malgré des arrières-pensées qu'il est aisé de supputer - elle sait rester dans le strict cadre de la loi commune. Il ne me semble donc pas très républicain de considérer que le FN est anti-républicain.

Mais alors que pensez-vous de l’appel à un « front républicain » anti-FN ?

Il faut bien distinguer la stratégie politique de l’usage rigoureux des termes. Autant je pense qu’un front anti-Front national est stratégiquement souhaitable, autant je trouve que le nommer « front républicain » est contestable, voire erroné, pour les raisons que je viens d'indiquer. C'est de plus périlleux politiquement, car cela permet au FN surfer en victime sur l'ostracisme dont il fait l'objet. 

Au fond si la lutte contre le FN est délicate, c'est que chacun, de droite à gauche, est tenté de rivaliser en postures dénonciatrices, et parfois moralisatrices, plutôt que de répondre politiquement à ses défis et provocations. C'est contre-productif, car on préfère avoir bonne conscience qu'une bonne stratégie. Celle-ci supposerait de reconnaître, comme l'avait dit Fabius il y a quelques années, que le FN pose des questions légitimes en leur apportant de mauvaises réponses. Il est frappant de voir à quel point un espace public comme le nôtre, relativement éclairé, pluraliste, émancipé des contrôles politiques, a la génie de s'interdire toute une série de sujets et de débats en se fabriquant des tabous : nationalité, immigration, violence, …  Il y a là un mécanisme mystérieux d'auto-censure (de refoulement ?) qui demanderait à être élucidé sérieusement et à froid.

Comment expliquez-vous le recours récurrent aux valeurs républicaines ?

La France est la République, et la République, c’est la France. Jamais aucun autre pays ne s'est autant identifié à un régime. Il est vrai que l'immense partie du personnel politique — de l'extrême gauche à l'extrême droite — se reconnaît dans cette référence, et ce consensus sur les institutions — il faut le rappeler — n'est pas si ancien. En même temps, cette référence républicaine fonctionne souvent de manière incantatoire et vague.

On ne distingue pas assez les différentes conceptions de la république qui se cachent sous cette bannière unique. J'en vois au moins trois : celle qui est fermée sur son passé, celle qui est fermée sur ses frontières et celle qui tente de relever les défis de la mondialisation en s'ouvrant sur l'avenir. Vous devinerez sans peine celle qui a mes faveurs.

Enfin, il me semble intéressant de souligner que les non-républicains se situent en fait plutôt à l’extrême-gauche. Je ne parle pas de Jean-Luc Mélenchon qui est respectueux des principes républicains, mais plutôt d’Olivier Besancenot, de José Bové ou de certains alter-mondialistes qui lancent régulièrement des appels à la désobéissance. En oubliant d'ailleurs que résister en démocratie n'est pas du tout la même chose que résister pour la démocratie (ne serait-ce qu'en termes de risques encourus).  Mais parce qu'ils le font au nom de principes généreux, comme l’aide aux sans-papiers, aux SDF, le souci de l'environnement … alors « on » l’accepte plus facilement. C'est peut-être là une soupape nécessaire qui canalise et neutralise des protestations plus rudes.

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