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Les Américains et les Anglais sont-ils en train d'inventer la réglementation qui aurait évité la crise financière de 2008 ?
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Ils ne font pas dans la dentelle

Avec la loi Dodd-Frank portant sur la réforme de Wall Street et la protection du consommateur, les Américains pourraient mettre en place une réglementation financière plus innovante et efficace que jamais.

Alexis  Collomb

Alexis Collomb

Alexis COLLOMB dirige la Chaire de Finances du Conservatoire national des arts et métiers à Paris.

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Atlantico : La Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (la loi Dodd-Frank sur la réforme de Wall Street et la protection des consommateurs) souhaitée par Barack Obama suite à la crise financière qui a émergé après 2008 constitue-t-elle une avancée dans la réglementation bancaire ? Aurait-elle permis, à l'époque, d'éviter la crise financière ?

Alexis Collomb : Oui, je pense que Dodd-Frank constitue une avancée dans la réglementation bancaire, ni parfaite ni exhaustive bien sûr. Cette loi fédérale, signée par Obama en juillet 2011 et donc en vigueur (même si l’implémentation de certains principes peut tarder), donne par exemple des pouvoirs accrus au FDIC  (Federal Deposit Insurance Corporation) pour superviser des institutions financières (autres que sa base traditionnelle de banques de dépôt) en cas de crise. L’autorité de résolution octroyée par Dodd-Frank au régulateur est clé.

Avec ses pouvoirs d’aujourd’hui, on peut en effet imaginer un FDIC intervenant de manière vigoureuse dès le début de 2008 pour obliger la direction de Lehman Brothers à renforcer ses capitaux propres, à rédiger un living will avec des mécanismes de résolution explicites, et à mieux saisir la gravité de la situation. Il ne faut pas oublier que Lehman était en discussion pour se faire racheter jusque dans les derniers mois qui ont précédé sa faillite de septembre 2008. Jusqu’à une discussion finale avec Barclays qui aurait capoté, notamment sous la pression du FSA (le régulateur britannique) qui s’inquiétait des risques inscrits au bilan de Lehman. Là aussi aujourd’hui en théorie, le FDIC aurait les pouvoirs de ségréguer la partie toxique du passif d’une institution estimée au bord de la faillite afin de faciliter une telle transaction, ou d’emprunter auprès du Trésor américain pour permettre une résolution ordonnée de la situation.

Maintenant, tous ces commentaires sont faciles a posteriori et la faillite de Lehman n’aura été qu’un symptôme de dérives plus graves et fondamentales ; et je ne suis pas sûr que, si on se replace dans le contexte de complaisance généralisée des années 2004-2007, Dodd-Frank aurait été un remède miracle pour enrayer la bulle des prêts subprime.

Les banques étant composées d'une multitude de filiales à l'internationale, la supervision bancaire n'a t-elle de sens qu'au niveau international afin que la juridiction d'un pays (visant à protéger les filiales présentes dans son pays) n'entre pas en conflit avec celle d'un autre pays ? Nous dirigeons-nous vers une telle régulation ?

Il me paraît indispensable d’avoir une coopération internationale accrue pour la supervision bancaire. Par exemple le risque systémique n’est pas la somme de risques individuels. Superviser localement chaque institution ne suffit pas. Il faut avoir une vision consolidée des risques et bien heureusement aujourd’hui tout le monde ou presque en est conscient. Le cas d’AIG l’a bien montré : en 2008 l’Office of Thrift Supervision américain, qui contrôlait alors la filiale bancaire US du groupe, ignorait tout ou presque des risques considérables portés par AIG Financial Products à Londres.

De même la faillite de Lehman aura clairement souligné les tensions entre filiales de différentes juridictions (e.g. UK ou US) et les désagréments considérables que toute cette complexité juridique entraîne pour des créditeurs qui auront bien souvent mis des années à récupérer (une partie de) leurs fonds. Certes les divers organismes de régulation se parlent de plus en plus et c’est encourageant. Mais sans une supervision bancaire internationale mieux coordonnée, et équilibrée entre tous les acteurs majeurs, je reste sceptique sur l’efficacité des nouvelles régulations.

En cas de difficultés, est-il nécessaire de pouvoir séparer rapidement l'actif d'une banque de son passif afin qu'une autre institution puisse la racheter, plutôt que recourir de l'Etat ?

Si on reprend l’exemple de Lehman, on peut penser comme je l’ai dit plus haut qu’un rachat par Barclays aurait peut-être été conclu avant la faillite si certains risques du bilan avaient pu être isolés rapidement, et davantage de garanties fournies aux acheteurs potentiels. En théorie, Dodd-Frank permettrait aujourd’hui au FDIC d’intervenir dans ce sens. Mais dans ces situations de crise, souvent les intérêts particuliers des institutions divergent et le malheur des uns fait le bonheur des autres (il ne faut pas oublier que Barclays a récupéré de très bons actifs de Lehman après sa faillite). En tout cas je crois que de demander aux institutions d’avoir des mécanismes de résolution anticipatifs aussi précis que possible en cas de difficultés est très important pour cette raison : pouvoir agir de manière rapide et chirurgicale si nécessaire. Mais si gérer est prévoir, cet exercice reste difficile car nous avons des institutions financières avec des bilans extrêmement complexes (actif et passif).

Au passage cette complexité est d’ailleurs l’un des arguments des détracteurs du modèle de banque universelle qui souhaitent casser ces institutions "too big to fail" mais je ne rentrerai pas ici dans ce débat. Quant au rôle de l’Etat ou des pouvoirs publics, je pense qu’il doit être d’accompagner de manière aussi intelligente que possible chaque situation, et d’arbitrer le cas échéant entre les intérêts privés tout en défendant l’intérêt général bien entendu. Et ce n’est heureusement pas incompatible.

Si on repense aux situations de crise, elles se terminent presque toujours par des pouvoirs publics réunissant les institutions autour d’une table pour arbitrer et parfois sauver la situation (la Fed de New York a par exemple une vaste expérience en la matière). Bien entendu l’aléa moral posé par ces interventions de dernier recours répétées au cours des décennies doit être combattu. Mais il faut rappeler que dans la plupart des cas (TARP ou autre) cette intervention de l’Etat s’est finalement traduite par des gains sur les positions prises – un peu d’espoir pour les contribuables…

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