L’Afrique, poudrière aux portes de l’Europe : payons-nous le prix de notre désintérêt ou de notre manque de moyens pour le continent noir ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
L’Afrique, poudrière aux portes de l’Europe : payons-nous le prix de notre désintérêt ou de notre manque de moyens pour le continent noir ?
©

Françafrique

Autrefois fer de lance démocratique de l’Afrique, le Mali en est aujourd’hui réduit à faire appel à la France pour éviter d’être complètement envahi par les forces djihadistes. Les pays occidentaux se sont-ils trop focalisés sur le Moyen-Orient au détriment du continent africain ?

Yves  Gounin

Yves Gounin

Yves Gounin a été premier conseiller à l'ambassade de France au Kenya de 2000 à 2003 et conseiller juridique du président de la République du Sénégal de 2006 à 2009. Il a également enseigné les relations internationales à Sciences Po.

Il est l’auteur de La France en Afrique. Le combat des Anciens et des Modernes (De Boeck, 2009)

Voir la bio »

Atlantico : Le Mali, autrefois fer de lance démocratique de l’Afrique, en est aujourd’hui réduit à faire appel à la France pour éviter d’être complètement envahi par les forces djihadistes. La France, et plus largement l’Occident, ont-ils effectivement abandonné l’Afrique depuis longtemps ? Peut-on leur imputer la fragilité actuelle de certains pays africains ?

Yves Gounin : Permettez-moi d’abord deux remarques introductives. La première est combien il est réducteur de parler d’Afrique. Il y a une Afrique du Nord et une Afrique subsaharienne, une Afrique francophone et une Afrique anglophone, une Afrique de la savane et une Afrique de la forêt, etc.

La seconde est de souligner, avec un brin de provocation, que ce qui se passe actuellement au Mali n’a pas grand’chose à voir avec l’Afrique. Nous sommes face à un mouvement insurrectionnel d’inspiration religieuse qui prospère sur les décombres d’un Etat failli. Ce qui se passe aujourd’hui au nord Mali s’est passé en Afghanistan avec les talibans et se passe encore en Somalie avec les shebabs. La seule différence est que cette fois-ci nous sommes dans une région du monde où la France est en première ligne pour intervenir.

Ces deux remarques faites, j’en viens à votre question.

Parler d’abandon de l’Afrique sous-entend que la France serait responsable de l’Afrique.  Alors qu’on vient de  célébrer les 50 ans de l’indépendance des pays africains, n’est-il pas temps de traiter l’Afrique en adulte, de lui laisser la responsabilité de son destin ? Ne peut-on pas une bonne foi cesser d’intenter à l’ancien colonisateur le double procès paradoxal de l’indifférence – lorsqu’il se désintéresse de l’Afrique – et de l’ingérence – lorsqu’il y intervient. 

La France comme le reste du monde occidental a recentré ses priorités sécuritaires sur le Moyen-Orient. Avons-nous fantasmé une Afrique qui se développait sereinement ? Aurions-nous dû maintenir une surveillance accrue dans ces pays pour éviter une contamination de l’extrémisme religieux ?

Je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous dites que la France et le monde occidental ont recentré leurs préoccupations sécuritaires sur le Moyen-Orient. Si vous voulez dire que le terrorisme islamiste, à cause notamment de son impact sur la sécurité de nos sociétés, est devenu une préoccupation de premier rang, non seulement pour nos forces de sécurité mais aussi pour nos diplomates, je suis d’accord. Mais ce terrorisme nous concerne partout où il se déploie : au Moyen-Orient au premier chef, mais aussi en Afrique. Soyez-en convaincu : les agissements d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) ont été suivis de très près par nos services de renseignement depuis fort longtemps – au détriment d’ailleurs d’autres priorités moins pressantes.

Vous me demandez si la France aurait dû maintenir une "surveillance accrue dans ces pays". Je m’inscris en faux contre ce vocabulaire néo-colonial ! Les pays africains sont indépendants et souverains. La France, pas plus qu’aucun autre pays occidental, ne saurait leur imposer une quelconque "surveillance".

Sur les fantasmes inspirés par le développement serein d’une Afrique prospère et pacifiée, en revanche, je vous rejoins. Depuis quelques années, par réaction à l’afro-pessimisme qui avait caractérisé les décennies précédentes, la mode est à l’afro-optimisme. Alors que René Dumont évoquait une Afrique noire "mal partie" en 1962, L’Afrique va bien titre par exemple Mathias Leridon (2010). Les deux thèses sont excessives. La vérité, comme toujours, est entre les deux, comme le montrent excellemment Jean-Michel Sévérino (Le temps de l’Afrique) ou Vincent Hugeux (L’Afrique en face)

En se désengageant de l'Afrique en 1960, la France a-t-elle pensé ne plus être rattrapée par les questions africaines ? A-t-elle voulu s’en débarrasser ?

Absolument pas, au moment de l’indépendance des colonies françaises africaines, l’idée était de maintenir un lien puissant entre ces pays et le nôtre. C’était le temps de la Françafrique, une expression dont il ne faut pas oublier qu’avant de se charger de la force négative qu’elle a acquise dans les années 1990 sous la plume de François-Xavier Verschave, elle avait été forgée dans les années 1950 pour glorifier l’étroitesse des liens entre la France et ses anciennes colonies.

La France, à l’époque, entendait rester en Afrique. Elle y était poussée par des motifs historiques, culturels (le partage d’une même langue), diplomatiques (le soutien à l’Onu), militaires, etc. Au fil du temps, ces motifs ont perdu de leur prégnance. Et, plus grave, le système s’est perverti. La Françafrique, projet politique, est devenu un système opaque sinon mafieux.

Très vite, des voix se sont élevées pour renverser ce système. Mais ces voix, celle des Modernes,  ont été étouffées par d’autres, celles des Anciens, qui, au nom de la force des habitudes et de la défense du rang de la France, ont prôné le statu quo. Tel est le combat des Anciens et des Modernes que je décris dans mon livre.

50 ans plus tard, la France est dans une situation paradoxale. Les Anciens – dont Foccart était la figure emblématique et Robert Bourgi le successeur – ont quitté la scène. Les Modernes – qui entourent François Hollande – entendent normaliser la relation avec l’Afrique. Mais c’est paradoxalement les pays africains eux-mêmes qui crient à "l’abandon".

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !