François Hollande a-t-il raison de réduire les manifestations à une simple tradition culturelle française ? <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande ne réagit pas à la manifestation
François Hollande ne réagit pas à la manifestation
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A la légère

Interrogé sur la probabilité d'une forte mobilisation ce dimanche contre le mariage pour tous, François Hollande a déclaré que "la manifestation faisait désormais partie de la vie culturelle" et que la rue ne faisait pas la loi. La manifestation est-elle réellement devenue une banale tradition ?

Stéphane Sirot

Stéphane Sirot

Stéphane Sirot est historien, spécialiste des relations sociales, du syndicalisme et des conflits du travail.

Il enseigne l’histoire politique et sociale du XXe siècle à l’Université de Cergy Pontoise.

Derniers ouvrages parus : « Les syndicats sont-ils conservateurs ? », Paris, Larousse, 2008 ; « Le syndicalisme, la politique et la grève. France et Europe (XIXe-XXIe siècles) », Nancy, Arbre bleu éditions, 2011.
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Atlantico : Alors qu'il était interrogé sur la probabilité d'une forte mobilisation dimanche prochain contre le mariage pour tous, le président Hollande a déclaré que "la manifestation faisait désormais partie de la vie culturelle" et que la rue ne faisait pas la loi. Derrière cette déclaration on a l'impression que le locataire de l'Elysée considère la manifestation comme un phénomène folklorique. Qu'en est-il ?

Stéphane Sirot : La remarque du Président présente une triple dimension. D’abord, il est possible d’y lire un jugement d’ordre péjoratif, au sens où l’acte manifestant est hautement banalisé, ce qui, de facto, lui ôte une part de la démarche de conviction et d’engagement qu’il exprime. Ensuite, il y a là une façon de signifier que face à ce qui s’apparenterait à un rituel somme toute assez inoffensif puisque folklorique, l’appareil d’Etat n’est pas prêt à transiger, encore moins à céder. Enfin, il est également légitime de déceler dans cette déclaration une part de vérité historique : en France, la manifestation accompagne de manière récurrente les réformes contestées. Cela tient largement au fait que dans notre pays, la centralisation du pouvoir d’Etat a été et est encore plus marquée qu’ailleurs en Europe occidentale ; celui-ci se veut le dépositaire d’un ordre social public qui a pour contrepartie une fréquente interpellation des institutions politiques.

Cette expression n'est-elle pas du reste détonante dans la bouche d'un homme de gauche ?

Au premier abord, il peut en effet sembler surprenant qu’un socialiste – même devenu Président - tende à minimiser la pratique manifestante, dans la mesure où la gauche politique et syndicale en est, par tradition, la principale dépositaire. Peut-être cela reflète-t-il d’ailleurs un aspect de la coupure pointée du doigt par des chercheurs, mais aussi par des militants, entre le Parti socialiste et les classes populaires. Il faut cependant souligner qu’en l’occurrence, François Hollande cherche surtout à démonétiser une démonstration organisée par des opposants – ici structurés autour des milieux catholiques - qui ne forment pas son électorat naturel. Sa remarque a donc un caractère conjoncturel à visée politique immédiate.

Mais le plus surprenant, dans la manière dont il s’est exprimé, tient au fait qu’elle rappelle étrangement la rhétorique de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy : la rue passe, s’épuise, et la réforme reste. Pour quelqu’un qui ambitionne de changer la société au moyen d’une démarche moins clivante, plus consensuelle, il y a là un paradoxe.

Peut-on dire que la manifestation est réellement devenue obsolète à l'heure de la mobilisation sur les réseaux sociaux ? Autrement dit : la rue est-elle encore un lieu important de la vie publique dans une ère sur-médiatisée ?

Les événements des ces dernières années tendent à montrer que la manifestation conserve partout une vigueur que les réseaux sociaux contribuent au contraire à renouveler. Les peuples d’Europe en désaccord avec les mesures d’austérité investissent l’espace public. Il en va de même des jeunes Indignés qui, précisément, construisent leurs actions en utilisant l’outil des réseaux sociaux. Les "flashmob", ces nouvelles formes de mobilisations caractérisées par leur brièveté et leur effet de surprise s’appuient aussi sur les ressources offertes par les nouvelles technologies. Bref, il y a entre elles et la manifestation non une contradiction, mais l’élaboration d’une synergie somme toute assez efficace.

Cette déclaration ne témoigne t-elle pas, de manière plus générale, d'une certaine rupture entre société civile et pouvoir politique propre à la France ?

Sans aller jusqu’à évoquer une rupture, on peut sans risque de se tromper parler d’une difficulté croissante de la part de l’univers dominant à écouter, à prendre en considération l’expression des contre-pouvoirs. Il me semble que cette situation est exemplaire d’une société dans laquelle le pouvoir politique a tendance à confondre légitimité et légalité. En démocratie, comme l’ont expliqué les philosophes des Lumières, un gouvernement n’est rien d’autre que le dépositaire du pouvoir légal, celui que les citoyens ont choisi pour une durée limitée. Cela ne lui donne en aucun cas un blanc-seing entre deux législatures. Au contraire, les citoyens, détenteurs du pouvoir légitime, sont en droit d’attendre que le pouvoir politique les écoute, dès lors qu’ils ont fait la preuve de l’ampleur de leur mécontentement.

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