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Huawei, Lenovo, Haier... toutes ces marques chinoises que vous snobez aujourd’hui mais pour lesquelles vous vous damnerez demain
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Chamboulement

Tony Parker a quitté Nike au profit du géant sportif chinois Peak qui lui propose 2 à 3 millions de dollars par an pour porter ses baskets

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Atlantico : Le joueur de basket Tony Parker a quitté Nike au profit de la marque chinoise Peak qui lui propose 2 à 3 millions de dollars par an pour porter ses baskets. Le 21e siècle verra-t-il apparaître des grandes marques chinoises ayant la même aura que des marques européennes et américaines ?

Frédéric Fréry : Le 21e siècle verra très certainement apparaître de grande marques chinoises reconnues et admirées internationalement. Le phénomène est d'ailleurs déjà perceptible, mais il est surtout tout à fait logique. Depuis une vingtaine d'années, les grandes marques occidentales comme Nike, Adidas ou Apple sous-traitent leur production à des industriels chinois pour se concentrer sur l'innovation et le marketing, qui représentent l'essentiel de la valeur ajoutée. Nike, par exemple, achète une paire de chaussures moins de 20 dollars à ses sous-traitants chinois et la revend plus de 50 aux distributeurs occidentaux, qui la vendent à leur tour 100 dollars aux clients finaux. De même, Apple réalise des marges de plus de 50% sur son iPhone et engrange des profits incommensurablement supérieurs à ceux de son principal sous-traitant, le taïwanais Foxconn, dont la plupart des usines sont en Chine.

Il est bien évident que les industriels chinois ont compris l'inégalité de cette répartition des richesses et qu'ils comptent bien intégrer les étapes de la filière qui génèrent le plus de valeur. Jusqu'ici, les Chinois ont surtout développé des compétences industrielles et technologiques, notamment du fait de cette sous-traitance. Désormais, ils investissent dans les compétences en marketing et en management, comme le montre l'irruption remarquée des business schools chinoises dans les grands classements internationaux de MBA (d'ailleurs souvent en alliance avec des universités occidentales).

L'hégémonie des marques occidentales pourrait-elle être remise en cause ?

L'hégémonie des marques occidentales sera inévitablement remise en cause. Sur le cas spécifique des contrats sportifs, les montants astronomiques versés aux champions se justifient historiquement par la volonté des équipementiers occidentaux, Nike et Adidas en tête, de dissuader leurs sous-traitants de venir imiter leur positionnement : plus le montant versé par Nike à Michael Jordan ou Tiger Woods était élevé, moins l'industriel chinois fabriquant les chaussures Nike pouvait devenir une marque à part entière.

Nous sommes en train d'assister à l'effondrement de cette barrière à l'entrée. Les occidentaux ont perdu la compétence industrielle, ils vont désormais devoir lutter pour la préservation de leurs marques. Cela dit, les élites chinoises, pour le moment du moins, privilégient les marques occidentales. Les cadres du parti communiste chinois roulent en Audi (noire) et leurs épouses raffolent des sacs Vuitton et des bijoux Cartier. A terme, il est envisageable que certaines marques chinoises deviennent tendance, en Chine, dans toute l'Asie, et même en Occident. Ce n'est à mon avis qu'une (brève) question de temps.

Quelles sont les marques chinoises actuellement les plus prometteuses ?

Certaines marques chinoises sont déjà globales, comme Haier dans l'électroménager (en dehors de la Chine, ils possèdent désormais des usines aux États-Unis, aux Philippines, en Indonésie, en Égypte et au Nigeria), Huawei dans les télécoms (ils équipent une large partie de nos réseaux de téléphonie et Free vend leurs smartphones sur son site) ou Lenovo dans l'informatique (désormais au coude à coude avec HP pour être le numéro 1 mondial des PC).

Quelles sont leurs stratégies ?

La stratégie de ces groupes consiste généralement à utiliser le gigantesque marché chinois comme une formidable base arrière, ce qui leur permet d'amortir leurs coûts de développement tout en bénéficiant d'une main-d’œuvre bon marché, avant d'investir les pays émergents, où leurs prix bas séduisent la nouvelle classe moyenne, avant de pénétrer sur les marchés occidentaux, souvent au travers de l'acquisition de concurrents locaux. C'est ainsi par exemple que Lenovo a racheté la division micro-informatique d'IBM en 2004. Il est certain que d'autres marques chinoises vont suivre cette évolution.

Ces marques prendront-elles plus de temps pour jouir de la même crédibilité - en terme de qualité ou légitimité par exemple - ou seront-elles amenées à être associées, pour un certain temps, dans l'esprit collectif, à des produits bon marché ?

Tout dépend de l'industrie. Dans l'informatique ou la téléphonie, la crédibilité se gagne - ou se perd - relativement vite. Souvenez-vous que dans les années 1990 Samsung était synonyme d'entrée de gamme bon marché, tout comme Sony dans les années 1960. Dans ces industries à obsolescence rapide, il est possible de construire un succès en peu de temps. On pourrait l'oublier, mais Apple n'est présent dans la téléphonie que depuis 5 ans.

En revanche, la crédibilité est plus longue à acquérir pour des produits plus coûteux ou plus statutaires, au premier rang desquels l'automobile. Après des décennies d'efforts, les Coréens Hyundai et Kia sont désormais considérés en Europe comme des concurrents crédibles (ils le sont depuis plus longtemps dans le reste du monde). Sauf surprise, on peut supposer que la route sera tout aussi longue pour des constructeurs chinois tels que Geely ou SAIC, même si le premier a racheté Volvo et le second MG Rover.

Une stratégie de soft power chinois se cache t-elle derrière ?

Il n'y a à mon sens rien de caché dans la volonté des Chinois d'accroître leur prospérité économique. C'est tout à fait légitime et nous devons nous réjouir que des millions d'êtres humains sortent ainsi chaque année de la misère. Cela dit, l'objectif essentiel de la Chine, c'est de devenir riche avant de devenir vieille. La politique de l'enfant unique les entraîne vers une impasse démographique, lorsqu'il faudra nourrir des centaines de millions de retraités alors que le nombre d'actifs restera contraint. Ils sont donc engagés dans une course à la prospérité, qui seule leur permettra d'éviter une explosion sociale.

L'Europe est dans une toute autre trajectoire : elle est déjà riche et déjà vieille. Quand à l'Inde et à l'Afrique, elles ne sont ni l'une ni l'autre. Reste le Brésil, qui peut réussir le coût de maître d'être à la fois riche et jeune. Par-delà les entreprises chinoises, je vous recommande d'ailleurs de garder un oeil sur les entreprise brésiliennes, comme le fabricant d'avions Embraer, le géant des cosmétiques Natura, le distributeur Pao de Açucar ou le conglomérat minier Vale.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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