Débat entre Cahuzac et Mélenchon : choc entre gauche social-démocrate et gauche marxiste<!-- --> | Atlantico.fr
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Jérôme Cahuzac et Jean-Luc Mélenchon ont eu un échange vigoureux lundi soir lors de l'émission "Mots croisés".
Jérôme Cahuzac et Jean-Luc Mélenchon ont eu un échange vigoureux lundi soir lors de l'émission "Mots croisés".
©Reuters / Montage

Joute verbale

Le ministre du Budget et le leader du Front de gauche se sont affrontés lundi soir sur France 2 lors de l'émission "Mots croisés". Le "face-à-face gauche contre gauche" était vif et parfois violent. Les deux hommes se sont notamment affrontés à propos de la dette française.

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, et l'ex candidat du Front de gauche à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, se sont rudement affrontés lundi soir dans l'émission de France 2 "Mots croisés". Comment pourrait-on résumer ce débat avec le minimum de mots ?

Thomas Guénolé : Duel tendu entre un expert et un tribun. Choc entre gauche social-démocrate et gauche marxiste ; entre gauche de 1981 et gauche de 1983. Victoire aux points de Jean-Luc Mélenchon pour l’authenticité.

Jean-Luc Mélenchon en sort donc vainqueur ?

Globalement oui, mais d’une courte tête et sur la personnalité exprimée à l’antenne : sachant que la télévision est un formidable miroir grossissant, Jean-Luc Mélenchon est apparu plus sincère et empathique, tandis que Jérôme Cahuzac est apparu plus récitant et technocratique.
Pour autant, en ne perdant ce débat qu’à l’arraché, Jérôme Cahuzac remporte une victoire relative à double titre. D’une part, c’est une réussite pour cet exercice auquel il est encore peu habitué et face à un tribun qui, avec Daniel Cohn-Bendit et Marine Le Pen, est le meilleur débatteur du paysage politique français depuis que Jean-Marie Le Pen a pris sa retraite. D’autre part, il s’est montré certes encore trop technocrate dans son expression et excessivement complexe dans ses raisonnements, mais il a été au-dessus du lot des débatteurs socialistes habituels. En substance, si on doit comparer à la concurrence interne au PS, il a été moins charismatique et moins à l’aise qu’un Arnaud Montebourg, mais plus consistant et moins creux qu’un Manuel Valls, dont la performance récente face à Marine Le Pen sur la même chaîne avait été piteuse.

Cela veut dire qu’il n’y a pas de vainqueur sur le fond ?

Il serait absurde de désigner un vainqueur sur le fond du débat. L’un exprimait l’idéologie de la gauche marxiste, l’autre l’idéologie de la gauche social-démocrate, dont les repères sont littéralement sur des planètes différentes de pensée politique. Selon qu’on se sent chez soi sur l’une ou l’autre planète, on verra donc l’un ou l’autre débatteur comme vainqueur sur le fond.

En quoi y a-t-il eu une confrontation entre gauche marxiste et gauche social-démocrate ?

C’était tellement le cœur du débat qu’à force de se confronter, souvent durement, les duellistes ont explicité assez violemment ce clivage à sa toute fin. Jérôme Cahuzac explique que Jean-Luc Mélenchon croit à la lutte des classes. Il précise que lui-même n’y a jamais cru. Jean-Luc Mélenchon répond en revendiquant la lutte des classes. Il annonce que la social-démocratie va dans le mur et que la relève est prête. Jérôme Cahuzac termine sur le refus du rapport de forces et le parti pris de conciliation, caractéristiques du centre-gauche.
Cette séquence n’a duré qu’une poignée de minutes, mais elle constitue le point d’orgue de la confrontation entre ces deux gauches.

Mais sur le fond, en quoi retrouvait-on ce clivage entre les deux gauches ?

Le débat s’est focalisé assez rapidement sur trois thèmes : la fiscalité, le budget, la dette.
D’un côté, Jérôme Cahuzac accepte le capitalisme et l’économie de marché. Donc, dans leur système de contraintes pour l’Etat, il s’arrête dans la redistribution des richesses et la pression fiscale avant le stade auquel ce système considère que sa politique est confiscatoire ; il accepte la contrainte du remboursement des créanciers qui implique une politique d’austérité ; il s’engage dans une politique de compétitivité-coût dans un cadre général de libre-échange. C’est en cela qu’il est social-démocrate : il pousse le curseur à gauche autant qu’il le peut dans le système.
De l’autre côté, Jean-Luc Mélenchon refuse le capitalisme et l’économie de marché. Donc, puisqu’il refuse leur système de contraintes pour l’Etat, et parce qu’il s’inscrit dans la lutte des classes, il dépasse dans la redistribution des richesses et la pression fiscale le stade auquel ce système considère que sa politique est confiscatoire ; il refuse la contrainte du remboursement des créanciers ; il s’engage dans une politique keynésienne de relance de la consommation des ménages et de l’industrie dans un cadre général protectionniste. C’est en cela qu’il est marxiste : il pousse le curseur à gauche dans des proportions qui l’installent hors du système.
Le débat de fond entre les duellistes peut donc être résumé à une confrontation entre ces deux cohérences idéologiques ; entre la gauche de 1981, celle qui voulait changer la vie, et la gauche de 1983, celle du tournant de la rigueur. C’est en cela qu’il y a eu choc entre deux planètes de pensée politique.

Dans la confrontation des arguments, y a-t-il eu un vainqueur ? L’un des deux a-t-il été plus percutant ?

Ils l’ont été tour à tour de façon relativement équilibrée, selon les terrains d’affrontement. Par exemple, Jean-Luc Mélenchon avait systématiquement l’avantage, très nettement, dès qu’il s’agissait par exemple de pointer les renoncements de la gauche social-démocrate sous la contrainte du cadre européen et de la pression du système financier. Tandis que Jérôme Cahuzac, tout aussi nettement, avait systématiquement l’avantage dès qu’on entrait dans des débats techniques budgétaires et fiscaux.

Indépendamment du fond des arguments, si l’on considère la pure rhétorique, lequel des deux était le meilleur ?

Jean-Luc Mélenchon. Le parfait manuel du débatteur est l’Art d’avoir toujours raison de Schopenhauer, lui-même largement repris de la Rhétorique d’Aristote. Le philosophe y souligne régulièrement que le débatteur parle pour le public, et non pas pour l’autre débatteur. C’est une règle absolument fondamentale.
C’est en ce sens que Jean-Luc Mélenchon a été meilleur orateur, puisqu’il était le débatteur le plus clair et le plus pédagogue pour les téléspectateurs, qui sont nombreux à ne pas connaître le fond des sujets traités. Or un téléspectateur qui sent que l’un des duellistes fait un effort pour se rendre compréhensible, tout en ayant un propos consistant, sera porté à avoir de lui une opinion plus favorable. C’est ce qui explique qu’on puisse entendre aussi souvent chez des électeurs du centre, voire de la droite, des propos de type : "Je ne suis pas d’accord avec Mélenchon mais il dit des choses intéressantes".
Au contraire, Jérôme Cahuzac a globalement méconnu cette règle fondamentale des débats. Il a souvent abordé des sujets sous un angle, voire employé un vocabulaire, peu ou pas compréhensibles pour bon nombre de téléspectateurs : le modérateur l’a même repris à un moment du débat pour expliquer aux téléspectateurs le terme technique fiscal "conjugalisation". Il a fait là une faute courante chez les hommes politiques qui ont de la consistance technique : parler d’une façon compréhensible pour le modérateur et l’autre duelliste, qui maîtrisent eux aussi ces termes techniques et ces approches complexes, mais en oubliant donc l’effort de pédagogie et de vulgarisation envers le public.  

L’un des deux a-t-il commis une faute grave pendant ce débat ?

Oui : tous les deux. Toujours dans l’Art d’avoir toujours raison, Schopenhauer signale comme ultime stratagème rhétorique de parvenir à énerver son adversaire par l’insulte. Sans aller jusqu’à l’insulte explicite, mais parfois en s’en approchant de très près puisque "clown" et "arrogant" ont pu fuser, les deux l’ont utilisé… mais les deux sont tombés dans le panneau !
De fait l’un et l’autre se sont régulièrement laissés aller à l’agacement voire à la colère, et cela, c’est une faute lourde qui fait perdre en crédibilité à l’image. C’est une autre règle fondamentale des débats : ne jamais perdre son calme. Ségolène Royal en sait quelque chose.
Cela étant, cette règle souffre des exceptions, par définition rares, et le débat de ce soir l’a prouvé : c’est lorsqu’il a exprimé de la colère dans un long monologue sur la situation sociale que Jean-Luc Mélenchon a été à son meilleur, parce qu’il frappait par son authenticité. Un débatteur atteint ce point quand il exprime le cœur de sa personnalité, en l’occurrence l’indignation empathique. Jérôme Cahuzac n’a pas eu de moment comparable.

Revivez le débat entre Jean-Luc Mélenchon et Jérôme Cahuzac en intégralité :



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