Comment les Pigeons se sont faits pigeonner et comment éviter que cela se reproduise<!-- --> | Atlantico.fr
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Comment éviter que les entrepreneurs "pigeons" se fassent de nouveau avoir ?
Comment éviter que les entrepreneurs "pigeons" se fassent de nouveau avoir ?
©Reuters

Suite dans les idées

Les entrepreneurs "pigeons" ont-ils vraiment réussi à se faire entendre ? La loi de finances votée au Parlement en décembre ne contient pas les évolutions de l'article 6 qui avaient pourtant été annoncées et "négociées" avec les représentants des entrepreneurs du numérique.

Julie  Coudry

Julie Coudry

Julie Coudry est fondatrice de LA MANU, ancienne présidente de La Confédération Etudiante et porte parole du mouvement contre le CPE. Elle tient un blog : juliecoudry.com.

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J’avais suivi avec attention le mouvement des Pigeons, relayé quelques arguments, salué le débat qu’ils avaient fait naître et reconnu la belle capacité de mobilisation dont ils avaient fait preuve. Puis, quand le gouvernement avait annoncé revenir en arrière, je n’avais plus trop suivi. Ne les entendant plus prendre la parole, je pensais qu’ils avaient logiquement obtenu ce qu’ils voulaient. Quand j’ai découvert avec surprise, que la loi de finances votée au parlement en décembre ne contenait pas les évolutions de l’art.6 qui avaient été annoncées et “négociées” avec les représentants des entrepreneurs du numérique.

Au détour d’un dîner, j’ai appris comment s’était fait le deal entre le gouvernement et les Pigeons. Lors de la négociation, en échange de la modification de l’art.6 de la loi de finances, le gouvernement a demandé aux Pigeons de se dissoudre et d’arrêter de communiquer dans les médias. Aussi folle que peut paraître cette demande (de disparaître), elle a tout de même été acceptée par Les Pigeons (!).

Ils ont donc décidé de fermer la page Facebook (rassemblant alors plus de 70 000 personnes) et d’arrêter d’interpeller l’opinion bien avant que la loi ne soit votée. Ils ont sûrement pensé que les promesses suffisaient et que le rapport de forces n’était plus nécessaire. Pourtant c’est bien le rapport de forces qui avait contraint le gouvernement à ouvrir en urgence et “hors des cadres traditionnels” une négociation sur l’impact de la loi de finances sur l’économie numérique. Une capacité de web-mobilisation impressionnante, des prises de paroles quotidiennes, la pertinence des arguments… bref la dynamique avait largement dépassé les initiateurs et le gouvernement s’était retrouvé sous pression. Mais une fois la page Facebook fermée, l’arrêt brutal du débat dans l’opinion, le gouvernement ne s’est plus senti obligé de faire quoi que ce soit et a fini par ne pas tenir les engagements qu’il avait pris. En remettant la décision finale entre les mains du gouvernement, en promettant de se taire et d’être sages pour être entendus, les Pigeons ont arrêté d’être un contre-pouvoir, et ont perdu ce premier combat.

J'avais été surprise par la première réponse du gouvernement consistant à stigmatiser ce mouvement comme étant “de droite”, en dépit de son ampleur et du fond du problème posé. Disons que c’était “de bonne guerre”. Mais ce qui m’a profondément marqué, c’est que dans la négociation avec Les Pigeons, le gouvernement demande aux entrepreneurs du numérique nouvellement organisés autour de la loi de finances, d’arrêter de s’exprimer et de “dissoudre” leur collectif. Cette position peut surprendre, venant d’un gouvernement ayant tant insisté (à raison) dans sa campagne sur l’importance de la concertation, de la prise en compte des corps intermédiaires et du dialogue social.

Certes, il ne s’agit pas d’un “partenaire social” classique, mais il faut s’adapter, nous sommes à l’ère du digital et les modes d’organisation, de mobilisation et de concertation se sont transformés. Car au fond l’intérêt du dialogue social pour un gouvernement, c’est de pouvoir confronter et négocier avec des acteurs de terrain aux prises quotidiennement avec les enjeux et les réalités d’un secteur. L’économie numérique est devenue le cœur du réacteur en matière de croissance économique dans tous les pays qui se développent. Les Pigeons rassemblaient des entrepreneurs qui innovent, qui investissent dans l’économie française, qui créent de l’emploi. Le gouvernement, par nature loin de ce monde, aurait aussi pu choisir de faire de ce collectif, un partenaire, dans sa lourde tâche. Il a plutôt décidé de réunir les conditions pour ne pas tenir compte de leur point de vue en demandant leur silence et leur dissolution. Puis a choisi de ne pas respecter les engagements pris envers eux, créant ainsi déceptions et rancœurs.

Cette histoire d’un accord perdant-perdant laissera des traces. Mais dans tous les cas les enjeux restent devant nous, car l’émergence d’une politique fiscale, prenant en compte la spécificité de l’économie numérique qui est adossée à la finance, est cruciale. Et la majorité des pays européens l’ont bien compris.

Si j'étais à la place des Pigeons, dès ce début 2013 :

  • je ré-ouvrirais ma page Facebook, et la nourrirais de contenu permettant de comprendre l’économie numérique et l’impact de la fiscalité sur ce secteur,
  • je définirais deux ou trois revendications claires et rassembleuses,
  • je désignerais un petit groupe de leaders non marqués politiquement (ni en business avec le pouvoir ou le parti dont il est issu) et qui auraient autorité pour parler de ces questions au nom de Pigeons,
  • et je me souviendrais que les promesses (d’un gouvernement) n’engagent que ceux qui y croient et que face à un gouvernement, on ne retire pas le revolver de la table, lorsque l’on n’a pas définitivement obtenu satisfaction sur ce que l’on demande.

“Etre libre c’est être et rester dérangeant”.*

*Manifeste fondateur de la Confédération Étudiante

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