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Pourquoi le carnage sur le yen est une bien plus grande menace pour l'économie mondiale que le fiscal cliff américain
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Inquiétude justifiée ?

Déficit commercial, baisse de la production industrielle, remise en cause de l'indépendance de la banque centrale du pays... un effondrement de la monnaie japonaise est-elle à craindre pour l'économie mondiale ?

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Atlantico : Shinzo Abe, Premier ministre du Japon, pourrait remettre en cause l'indépendance de la Banque du Japon afin d'abaisser le yen pour favoriser les exportations et lutter contre le risque de déflation. En effet, traditionnellement excédentaire, le pays a enregistré son cinquième mois consécutif de déficit commercial. Dans le même temps, la production industrielle a chuté de 1,7% en novembre, un niveau au delà des prévisions. La situation économique du Japon et de sa monnaie est-elle plus préoccupante pour l'économie mondiale que ne l'est le fiscal cliff américain ?

Bruno Bertez: Shinzo Abe a été élu sur un programme de changement de politique économique qui consiste essentiellement à mettre la Banque du Japon sous pression. Il a menacé et menace encore du revenir sur l'indépendance de la Banque centrale et de globaliser les politiques fiscales et monétaires  Il souhaite que les achats de bonds gouvernementaux et autres actifs soient illimités, que la politique de surabondance monétaire soit poussée à son maximum. Il prétend imposer à la Bank of Japan une révision en hausse de son objectif d'inflation à 2% et évoque la possibilité de prendre des mesures pour décourager l'épargne liquide et ainsi la faire se déverser sur le marché des fonds d'Etat. Sur ce marché, les JGB (Japanese Government Bond, les obligations du gouvernement japonnais, ndlr) courts de 1 à 3 ans ne coûtent que 0,1% au gouvernement. Il semble s'orienter comme les Etats-Unis de Bernanke vers une politique quasi autoritaire d'entonnoir afin de forcer ceux qui recherchent du rendement à se diriger vers le marché des actions.

Dans ces conditions, les marchés, comme on pouvait s'y attendre, anticipent. Ils font baisser le yen et monter les actions. Certains qui se souviennent du rally Koizumi vont jusqu’à espérer un Nikkei a 13 000 voire 14 000 et un yen à 90 contre dollar. La Bourse monte sous la conduite des valeurs des sociétés exportatrices.

Le Japon connait sa 5e récession en 20 ans , les 2e et 3e trimestre ont été négatifs et le 4e s'annonce mauvais. Les exportations soufrent et la balance commerciale est maintenant déficitaire.Le pays est incontestablement soumis à des forces déflationnistes puissantes, lesquelles se manifestent encore plus clairement quand le marché global est maussade comme il l'est maintenant. Aucun doute que le pays soufre à la fois du ralentissement mondial et d'un yen fort.

Le problème reste cependant que l'on peut douter de l'efficacité des mesures de ce type .Les résultats passés ne plaident pas en ce sens. Cela fait 20 ans que le Japon essaye de stimuler par le gonflement du bilan de la Banque centrale et le déficit de l'Etat, les résultats sont douteux. En revanche, ce qui certain, c'est que la situation financière du pays est sinon dangereuse du moins peu orthodoxe. Le Japon détient les records de déficits et d'endettement en proportion de son PIB. Ceci fait craindre qu'un jour à la faveur d'un choc ou d'un changement de comportement des investisseurs, la confiance ne se dérobe et qu'un terrible enchaînement financier négatif ne se développe. En ce moment, il faut le souligner, c'est l'inverse qui se produit, le Japon est l'endroit ou il faut être.

Bien entendu, il n'est pas question de sous-estimer les difficultés japonaises mais il faut les relativiser. Le pays est spécifique, la mentalité est différente de celle des occidentaux, la croissance n'est pas l’impératif absolu pour les Japonais. On peut avancer l'idée que le modèle japonais est une sorte de modèle post-croissance assez efficace si on fait abstraction des déficits et de l'endettement. Le chômage n'est que de 5% ; la protection sociale est totale, la santé couverte à 100%, le niveau de vie est record, la délinquance quasi nulle, pas de violence, très peu d’incarcération, la durée de vie est l'une des plus longues du monde etc. La croissance n'est pas tout. Mais c'est une société vieillissante et bloquée.

La baisse du yen est dans l'ordre des choses mais il n'est pas assuré qu'elle soit durable. Nous sommes dans une guerre monétaire larvée entre les grands blocs, c'est à qui cherchera à avoir la devise la plus basse et dans une pareille situation les batailles gagnées ne sont que des victoires provisoires.

La baisse du yen ne semble pas préoccupante, il est vrai que la lutte pour les parts de marché est rude mais elle parait gérable  Ce qui est sûr, c'est que cela ne va pas dans la direction de solutions au problème de la croissance et du chômage mondial. Le fiscal cliff américain(voir notre article de décryptage sur l'enjeu du fiscal cliff, ndlr) est un grand happening médiatique et politique destiné a masquer la réalité. Les Américains ne veulent pas réduire leurs déficits et contrôler leur endettement. Le débat sur le fiscal cliff n'est rien d'autre qu'un escamotage de la question centrale : le plafond de la dette. D'ailleurs, Obama lie les négociations sur le cliff à la question de rendre le relèvement du plafond de la dette automatique .

Alors que l'économie américaine semble s'améliorer et que les marchés anticipent une éventuelle fin de la ZIRP (politique de taux d'intérêt zéro) en 2014, le yen pourrait se déprécier face au dollar. Un Yen trop faible pourrait-il affaiblir l'économie de l'archipel ? D'ici là, une guerre des changes avec les USA pourrait-elle avoir des effets nuisibles sur l'économie mondiale ?

L'amélioration de l'économie américaine est douteuse. Les chiffres sont erratiques, la confiance est instable. Les chiffres de l'emploi ne veulent rien dire, ils traduisent non une reprise de l'emploi mais des modifications de comportement et des découragements. La réalité est que 100 millions d'Américains en âge de travailler sont sans emploi. La réalité est que 47,7 millions de personnes sont à l'équivalent de la soupe populaire, les food stamps. La réalité est que le salaire médian américain ne cesse de chuter, il baissé de 4000 dollars en 4 ans. Par ailleurs, le critère fiable sur l'activité américaine, le nombre d'heures travaillées, ne témoigne d'aucune amélioration.

La demande des consommateurs reste atone malgré l'injection de crédits au niveau fédéral, de crédits pour les étudiants et le retour des ponctions sur l'épargne. La situation financière des ménages est insuffisamment restaurée pour soutenir une reprise de l'économie. L’amélioration des chiffres sur le logement et la construction est spéculative : les banques font de la rétention du stock en portefeuille afin de faire monter les prix, les spéculateurs achètent pour "flipper", faire des différences rapides ou, dans certains cas, pour bénéficier de la demande sur le locatif.

Avec la crise de la zone euro, le Japon, comme d'autres économies, jouit d'un statut de "valeur refuge". Une amélioration de la situation en Europe en 2013 pourrait-elle remettre en cause cet acquis et se traduire par des taux d'intérêt sur la dette plus élevés pour le gouvernement japonnais sur les marchés ? Quelles en seraient les conséquences ? Les regains de tensions avec la Chine pour les îles Senkaku peuvent-ils également inquiéter les investisseurs ?

Le japon jouit d'un statut de refuge par défaut, pas par son attrait propre ; donc des éventuelles améliorations ailleurs pourraient détourner ceux qui cherchent refuge. Comme les autorités japonaises veulent la baisse du yen, cela irait plutôt dans leur sens, à condition que cela reste ordonné. La politique d'achats illimités de fonds d'Etat que le Premier ministre veut imposer à la Bank of Japan exclut toute hausse des taux.

Le peuple japonais connait un regain de nationalisme et la classe politique en joue pour faire diversion. Les Chinois font de même. Nous sommes dans le domaine des gesticulations à usage de politique intérieure. Mais sur le long terme et fondamentalement, des collisions géopolitiques sont garanties entre la Chine et le Japon.

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