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Mahomet : cet homme qui a créé au centre de l’Arabie un mouvement religieux habité d’un esprit guerrier
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Homme de foi

Dans cette biographie, Tilman Nagel revisite l'image dogmatique de la vie de Mahomet transmise par les traditions musulmanes. Extrait de "Mahomet : Histoire d'un Arabe, Invention d'un Prophète" (1/2).

Tilman  Nagel

Tilman Nagel

Tilman Nagel est islamologue. Ses recherches portent sur l’histoire et l’histoire religieuse du monde islamique. Dans ses travaux, Nagel s’efforce de prendre toujours en compte l’intégralité de l’histoire islamique, et donc de comprendre l’islam contemporain à partir de ses racines historiques. C’est également cette démarche qui caractérise ses dernières publications sur Mahomet : elles analysent la figure historique et ses effets jusque dans le présent.

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Le regard que l’on porte sur Mahomet sera fondamentalement différent selon que l’on est musulman ou non. L’agnostique, l’athée ou l’adepte d’une autre religion, cherchera toujours des lumières sur la vie et le cheminement de cet homme qui, au début du VIIe siècle, a créé au centre de l’Arabie un mouvement religieux habité d’un esprit guerrier, un mouvement religieux qui conquit rapidement de vastes territoires au Proche-Orient et en Afrique du Nord, les soumit à sa foi et les réunit dans une structure politique sui generis. Quels présupposés de ces événements peut-on identifier ? De quelles influences les revirements imprévisibles et les péripéties impossibles à extrapoler furent-ils le produit ? Bref, pour qui s’interroge sans être imprégné par la foi musulmane, il s’agit d’éclaircir et d’exposer des événements d’une importance essentielle pour l’histoire universelle. Ces événements, il faut les retracer en respectant les standards méthodiques auxquels doit suffire une historiographie s’inscrivant dans une vision du monde déterminée par la science, c’est-à-dire par le caractère provisoire et révisable des savoirs.

C’est justement à ce caractère provisoire et révisable que s’oppose la narration musulmane de la vie de Mahomet. Les musulmans considèrent Mahomet comme l’homme par les prédications et par le comportement duquel Allah a transmis à l’humanité pour la dernière fois son message immuable et éternellement vrai. Le Coran contient, c’est leur conviction, le discours littéral d’Allah aux hommes, de façon complète et authentique, et la vie de Mahomet, qui est indissociable de la prédication de ce discours et de la réalisation des normes qu’il contient, doit pour cette raison être indirectement dotée d’une normativité elle aussi éternellement valable. C’est pourquoi les paroles et les faits du Prophète des musulmans doivent être dissociés des paroles et des faits des hommes avant et après lui, non parce que les paroles et les faits du Prophète seraient déterminés par Allah – selon la foi musulmane, c’est le cas pour toutes les créatures – mais parce qu’en eux se fait connaître la volonté législatrice d’Allah. Au plus tard depuis l’instant de sa vocation, tous les faits et gestes de Mahomet doivent être les manifestations de cette volonté législatrice ; aspirant à la certitude sur ces questions, la piété musulmane penche même à attribuer dès sa naissance cette impeccabilité à leur Prophète. Cela signifie en retour que la totalité des normes qu’ils respectent comme obligatoires doivent avoir été rendues claires par Mahomet ; elles doivent par conséquent se retrouver dans le Coran en tant que parole d’Allah proclamée par sa bouche ainsi que dans les traditions se rapportant à la vie du Prophète. L’intérêt épistémique porté aux questions normatives a pour cette raison dominé depuis le VIIIe siècle l’attention que les musulmans portaient à Mahomet. Il a étouffé la question du « comment cela s’est-il vraiment passé » 1, à laquelle il n’y a jamais de réponse définitive, au profit d’énoncés sur la façon dont il fallait que les choses se passent pour que les événements soient conformes à cet intérêt normatif 2. Le besoin de normes qui doivent trouver leur caution dans l’action et le discours de Mahomet pénètre depuis lors tous les domaines de la vie du musulman, du berceau au cercueil. Chaque norme reconnue valable devait, et doit encore, pouvoir être tirée du Coran ou de la vie du Prophète pour pouvoir être ainsi comprise comme l’expression de la volonté législatrice supra-historique d’Allah.


La tradition portant sur la vie de Mahomet doit par conséquent servir, à côté du Coran, de source conférant autorité aux innombrables énoncés normatifs de l’islam. Comme les musulmans ne peuvent pas échapper à l’évolution du temps et des conditions de vie, le contenu des normes se modifie inévitablement lui aussi, bien que ces normes doivent à chaque fois être tirées de ces sources et être justifiées comme expressions authentiques de la volonté législatrice d’Allah, immuable et éternellement valable. La tradition historique sur Mahomet ne s’est toutefois nullement formée en vue d’un tel but. Au contraire. D’une part, elle s’inscrit totalement dans l’époque qui la voit naître et dans le milieu de l’Arabie ancienne ; d’autre part, elle est aussi diverse et polymorphe que la vie réelle, de sorte qu’il n’est pas rare qu’on puisse en déduire une norme aussi bien que son contraire. Les défenseurs de l’une et l’autre norme essaient d’imposer à chaque fois leur interprétation comme la seule valable. Cela suscite une manière arbitraire d’utiliser les sources, guidée par la prépondérance de l’intérêt normatif. Par son étroitesse de vue et son caractère unilatéral, cette manière de faire rend rarement justice aux événements rapportés : ce qui ne s’adapte pas à la précompréhension normative est éliminé par l’interprétation. Cela ne suffit naturellement jamais à « réfuter » la déduction obéissant à des intérêts normatifs opposés ; car cette déduction invoque d’autres parties de la tradition et élimine à son tour ce que la première déduction fait passer pour décisif. Ainsi le différend entre les chiites et les sunnites se déroule depuis plus de treize cents ans au gré d’une polémique sans merci sur le contenu de quelques traditions se rapportant à la vie du prophète ; la question de savoir comment ces traditions pourraient être comprises dans le cadre de la biographie de Mahomet n’est même pas soulevée. Il n’y a du coup aucune possibilité de démontrer que l’une ou l’autre déduction soit la seule plausible. Car le motif pour lequel on s’intéresse à la tradition n’est justement pas le Mahomet de l’histoire, mais la recherche actuelle d’une certitude concernant la norme déclarée correcte.

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Mahomet, Histoire d'un Arabe, Invention d'un Prophètede Tilman Nagel, aux éditions Labor et Fidès, pp.11-13

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