La Grèce victime de l'austérité ? Pas en termes de dépenses publiques en tout cas...<!-- --> | Atlantico.fr
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"L’État grec est vivant et même bien vivant. Il mange encore mieux qu'il y a dix ans."
"L’État grec est vivant et même bien vivant. Il mange encore mieux qu'il y a dix ans."
©Reuters

La facture s'il vous plaît

La zone euro et le FMI se sont mis d'accord dans la nuit de lundi à mardi pour réduire la dette grecque à 124% du PIB d'ici 2020, ce qui représente un allègement de 40 milliards d'euros.

Nikos Tsafos

Nikos Tsafos

Économiste de politologue de formation, Nikos Tsafos est consultant en gaz naturel et blogueur sur l'économie grecque.

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Préambule de la rédaction :

Les ministres des Finances des dix-sept pays de la zone euro se sont réunis ce lundi à Bruxelles dans l'optique de décrocher un accord sur les moyens à mettre en oeuvre pour ramener la dette de la Grèce de 190% l'an prochain à 120% du PIB en 2020.

Alors que Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international, souhaite que les créanciers publics acceptent l'effacement d'une partie des créances qu'ils détiennent - au même titre que les banques et institutions financières privées qui avaient accepté en février une décote de plus 50% sur les titres souverains qu'elles détenaient - d'autres pistes sont également évoquées. Parmi celles-ci, la Banque centrale européenne (ainsi que d'autres banques centrales nationales) a d'ores et déjà annoncé qu'elle accepterait de renoncer aux plus-values réalisées sur les obligations grecques qu'elle a acquis dans le passé. Toujours dans l'optique d'agir sur les taux d'intérêt, les Etats membres de l'Union européenne pourraient concéder une baisse des taux d'intérêt sur les prêts bilatéraux (c'est à dire de pays à pays, ndlr) consentis à la Grèce. Enfin, selon le New York Times, le gouvernement grecque plancherait sur le rachat de titres souverains auprès des investisseurs privés, sur une base volontaire, à un prix plus faible qui permettrait toutefois aux détenteurs de réaliser un léger profit.

Un consensus doit être obtenu afin de verser une nouvelle tranche d'aide de plus de 30 milliards d'euros. Avec un taux de chômage frappant 24% de la population active, le PIB du pays devrait chuter de nouveau de 4,2% en 2013 avant de renouer avec la croissance en 2014, selon les dernières estimations de la Commission européenne parues en novembre. Alors que les politiques d'austérité imposées à la Grèce par la Troïka (Union européenne, FMI et BCE) en contrepartie d'une aide internationale sont largement pointées du doigt, Nikos Tsafos s'interroge chiffres à l'appui dans un article repris en septembre par Contrepoints : contrairement aux idées répandues, le gouvernement grec a t-il vraiment joué la carte des politiques d'austérité ?

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L'austérité tue la Grèce. C'est du moins ce que l'on nous dit. Les hommes politiques et les médias ont une histoire toute prête : pour satisfaire les créanciers de la Grèce, le gouvernement réduit la dépense publique à des niveaux tellement bas que même les services de base délivrés par l’État sont mis en danger. En conséquence, le peuple grec, qui souffre de ces coupes sauvages, se rebelle. C'est l'histoire que l'on lit quotidiennement. Pourtant, presque tout y est faux.

Certes, la Grèce réduit la dépense publique. Mais appeler cela "austérité", c'est comme considérer que passer de cinq à quatre Big Macs par jour est un "régime". La réalité est plus complexe. Commençons par les finances publiques : les rentrées ont baissé en 2009, mais sont restées stables depuis, en raison de trois facteurs :

  • les rentrées dépendantes des salaires, des autres revenus et des profits ont baissé, à cause du chômage élevé et de la chute des profits des entreprises
  • le gouvernement a compensé en augmentant la TVA, en partie car elle est plus facile à collecter que les impôts directs qui souffrent d'une évasion fiscale importante
  • enfin, les financements européens pour les investissements ont augmenté, fournissant au trésor des ressources supplémentaires

Ces éléments ont permis de maintenir un niveau de prélèvements obligatoires stable mais, l'économie étant en récession, le ratio prélèvements obligatoires sur PIB a cru lui à un plus haut des dix dernières années, à près de 41%. Certes, l'évasion fiscale est là et les prélèvements obligatoires pourraient être plus hauts, mais la part que l’État prend dans l'économie n'a jamais été aussi haute depuis dix ans. Dans le même temps, l'augmentation des impôts indirects a plongé l'économie dans la récession en réduisant fortement le revenu disponible des consommateurs. Les dépôts bancaires ont fondu de 35%, à cause de la fuite des capitaux et de la désépargne. La richesse grecque s'évapore.

La raison peut en être vue en examinant le volet dépenses de l'équation. Entre 2008 et 2011, l’État grec a réduit de 13,2 milliards d'euros ses dépenses hors charge de la dette. Mais, si l'on regarde en détail, ce n'est qu'une baisse de façade : la baisse des investissements représente près de la moitié de cette baisse des dépenses, tandis qu'une bonne partie du reliquat s'explique par la baisse des dépenses militaires. Autrement dit, l’État construit moins d'infrastructures et achète moins d'armes. Par contre, les aides sociales ont augmenté, et les dépenses de personnel de l'administration n'ont baissé que de 7%, surtout grâce aux départs en retraite et non grâce à une quelconque rationalisation de l'emploi public.

Mais ce n'est pas tout. En 2011, la dépense publique (hors charge de la dette) était à 43,1% du PIB, en baisse par rapport au 48,7% de 2009. Mais entre 2000 et 2006 les dépenses publiques n'étaient en moyenne que de 40% du PIB. Autrement dit, l’État grec dépense aujourd'hui trois points de PIB de plus que plus tôt dans cette décennie ! Et si l'on met de côté les variations des dépenses d'investissement, l’État grec dépensait en 2011 5,3% de PIB de plus qu'en 2000-2006 ! Une différence qui représente 11,5 milliards d'euros, soit grosso modo le montant que les créanciers de la Grèce lui demandent d'économiser sur les prochaines années.

Cela amène à se poser trois questions majeures :

  • en quoi la baisse des dépenses d'investissements et de dépense met-elle en danger les services publics de base ?
  • en quoi est-il choquant de vouloir faire revenir l’État à son niveau de dépenses de 2000-2006 ?
  • pourquoi l’État ne pourrait-il pas fournir avec 43% du PIB les services qu'il fournissait avec 40% ?

Ce sont des questions importantes, qui mènent au cœur de la situation grecque. Le gouvernement augmente les taxes afin de gagner du tempos pour réduire les dépenses publiques à leur niveau d'il y a dix ans. Dire que l’État est au pain sec et ne peut donc pas fournir à ses citoyens les services élémentaires est une idiotie. L'argent n'est pas le problème. L’État grec est vivant et même bien vivant. Il mange encore mieux qu'il y a dix ans. Vous parlez d'un régime !

Billet préalablement publié sur Contrepoints
Mis à jour sur le site de l'auteur en novembre 2012 : Greek Default Watch

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