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Grève des internes : entre désespoir et volonté d'amélioration
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Après l'accord sur les dépassement d'honoraires signé entre Marisol Touraine et les trois premiers syndicats de médecins libéraux le 25 octobre dernier, la grogne des internes va croissante. A l'appel de l'ISNIH (Inter Syndicat National des Internes des Hopitaux) de nombreux syndicats se mobilisent ce lundi. Franck Verdon, pro-grève, oppose ici ses arguments à ceux d'Emmanuel Bagourd, dont le syndicat (ISNAR) vient de refuser l'appel à manifester.

Emmanuel Bagourd et Franck Verdonk

Emmanuel Bagourd et Franck Verdonk

Emmanuel Bagourd est président de l'ISNAR-IMG (Inter Syndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale). Son syndicat a décidé, devant la multiplicité des revendications, de ne pas se joindre au mouvement de grèves qui débute aujourd'hui

Franck Verdonk est trésorier de l'Association des Jeunes Anesthésistes-Réanimateurs, structure qui a répondu à l'appel à la grève de l'ISNIH (Inter Syndicat National des Internes des Hôpitaux). Il s'oppose aux mesures portées par l'accord récemment adopté par le Ministère de la Santé, au nom de la préservation de la profession libérale.

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Atlantico : Quelle est la position de vos syndicats respectifs face à la grogne actuelle des internes ?

Franck Verdon (SIPH) : Après plusieurs semaines de grève des gardes et astreintes et plusieurs manifestations très suivies, le mouvement de grève des internes monte en puissance. A l’appel des syndicats d’internes locaux et de l’intersyndicat national, les internes seront en grève totale et illimitée à partir d’aujourd’hui 12 Novembre avec une manifestation nationale. 

Nos revendications sont mal comprises, il est temps de sortir de la caricature du méchant médecin égoïste et ronflant de supériorité qui cherche par tous les moyens à saigner le portefeuille de ses patients car ce sursaut de la communauté n’est pas un caprice, c’est le cri de désespoir d’une corporation face à la destruction du bien commun. La communauté médicale est exsangue et les internes, les médecins de demain, s’apprêtent à payer au prix fort l’indigence de gestion de notre système de soin solidaire. Cette grève n’est rien moins que le reflet du malaise des médecins devant l’effondrement de leur univers.

Emmanuel Bagourd (ISNAR) : Notre syndicat, à la suite d’une décision collective, n’ira pas en grève. Loin d’être un manque de dynamisme, c’est avant tout une volonté de mettre la lumière sur ce qui ressemble à un emballement non fondé. En premier lieu, il faut comprendre pourquoi des étudiants et internes veulent partir en grève. Les revendications sont multiples : encadrement des dépassements d’honoraires, conditions de travail, défense de la liberté d’installation, augmentation du nombre d’enseignants-chercheurs, etc…

On comprend d’ores et déjà qu’il n’y aura pas de revendications lisibles au sein du cortège des manifestants. Quant à la pluralité des revendications, comment ne pas y lire une tentative désespérée de fédérer le plus grand nombre autour du seul sujet qui sera perceptible par tout un chacun : la grogne de certains médecins qui vont voir leur dépassements excessifs réprimandés.

Les internes sont généralement peu enclin aux mouvements de grève. Qu'est ce qui peut fondamentalement expliquer la fronde de votre profession ?

F.V. : Le sentiment partagé par l'ensemble des internes est que le piège se referme, leur futur exercice médical, en ville ou à l’hôpital, est gravement menacé du fait du désengagement de l’Etat. Oui, la santé coûte cher, oui, il est essentiel que tous les citoyens puissent avoir accès à des soins excellents, mais la solution ne passe certainement pas par le règne des mutuelles ou par la destruction de la médecine libérale. Les français ont confiance en leurs médecins, le procédé nauséabond consistant à les dresser les uns contre les autres ne mène nulle part, c’est la cohésion qui permettra de sortir par le haut. Les internes refusent ce cynisme gouvernemental, notamment sur la question des mutuelles, c’est ce qui motive leur mobilisation. 

Autoriser les mutuelles à créer des réseaux de soins, c’est américaniser le système de soin. Fini le choix du praticien, finie la liberté de prescription, finie la liberté d’action. Les médecins ne deviennent que des techniciens et tous se retrouvent à la merci de la mutuelle. Est-cela que nous voulons pour notre pays ? En refusant en effet d’augmenter à leur juste valeur les actes médicaux depuis près de 30 ans, l’Etat a contraint les médecins à la pratique des dépassements d’honoraires. Bien sûr, il y a des abus, comme partout, il y a des abus de CMU, il y a des abus lors des déclarations d’impôts, il y en a dans tous les domaines, doit-on tout jeter sous ce prétexte au lieu de lutter contre les excès d’une minorité ? Car le dépassement est pratiqué avec tact et mesure par l’immense majorité des praticiens et ce dépassement sert évidement à améliorer leur revenu (en partie) mais il sert surtout à améliorer la qualité des soins, à renouveler le matériel, à offrir finalement ce que veut le patient : des soins à la pointe de la modernité et de la sécurité

E.B. : L’hôpital français est en souffrance, et comme dans tout système, c’est d’abord sur les derniers maillons que s’accumulent les pressions. L’externe en médecine (bac+3 à bac+6) est employé à mi-temps par l’hôpital avec cinq semaines de congés payés par an pour la coquète somme de 128 euros brut par mois et 20 euros par garde. L’interne (bac+7 à bac+11) commence à gagner correctement sa vie, avec en moyenne 1700 euros net par mois dès la première année, mais en échange de quoi ? Certains de nos stages sont construits sur des amplitudes horaires démentes, 50 à 60 heures de travail par semaine auxquelles il faut ajouter les gardes de 24h.

Malheureusement, nous ne sommes pas les seuls à souffrir. Demandez aux infirmiers et aux sages-femmes si leurs heures supplémentaires sont payées, aux aides-soignants s’ils sont respectés, aux kinésithérapeutes s’ils peuvent prendre en charge correctement leurs patients face à l’affluence des demandes.

D'aucuns se sont plaint que l'avis des internes ne soit pas pris en compte lors des négociations avec le Ministère de la Santé. Les internes peuvent-ils se faire entendre autrement que par la grève aujourd'hui ?

F.V. : Les internes sont de bons soldats, ils ne rechignent pas à la tâche même si ils sont de plus en plus nombreux à sombrer dans le burn-out. On peut comprendre leur désespoir quand le présent est rude et le futur incertain. Aller manifester et se mettre en grève, chose rare, c’est pour eux la seule façon de faire entendre leur voix, de prendre en main leur destin. Ils refusent la politique de l’autruche ou que d’autres prennent les décisions à leur place. C'est la seule façon d’infléchir cette orientation si négative et préserver ce qui nous unit tous, la volonté de voir perdurer notre système de soin, ne tirez pas sur l’ambulance !

E.B. : Devant le capharnaüm des revendications et l’actualité médicale actuelle, partir en grève, c’est annoncer à une population en crise que le monde médical n’est pas en phase avec la société qu’il doit soigner. L’objectif des négociations conventionnelles était de garantir l’accès aux soins pour tous, il est en effet plus que temps de centrer la problématique sur les besoins du patient avant ceux de son médecin. L’ISNAR-IMG continue de  travailler pour une refonte du système de soins. Mais dans ce cadre, les internes de médecine générale n’iront pas en grève.

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