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Abolition de la peine de mort : comment les Francs-maçons influencent notre vie publique
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Loges d'influence

Si c'est François Mitterrand qui a définitivement aboli la peine de mort en France en 1981, Laurent Kupferman et Emmanuel Pierrat explique que cette abolition résulte de l'aboutissement des luttes antérieures, menées notamment par les Francs-Maçons. Extrait de "Ce que la France doit aux Francs-Maçons" (1/2).

Laurent Kupferman et Emmanuel Pierrat

Laurent Kupferman et Emmanuel Pierrat

Laurent Kupferman est comédien et chanteur. Il est par ailleurs cofondateur de l'Orchestre symphonique d'Europe  et conseiller au Cabinet du Ministre de la Culture. Il est par ailleurs consultant en communication et chroniqueur littéraire dans le 17-20, un Talk-Show animé par Alexandra Kazan sur SNCF La Radio.

Emmanuel Pierrat est avocat au barreau de Paris et dirige un cabinet spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle. Chroniqueur, romancier et auteur de nombreux essais et ouvrages juridiques, il est notamment l’auteur de La Justice pour les Nuls (First, 2007).

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« J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la république, de demander à l’assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France… » il aura fallu près de deux siècles de combat abolitionniste pour que ces mots soient prononcés par un garde des sceaux, Robert Badinter, devant l’assemblée nationale, et que le texte soit voté, par 363  voix contre 113, le 17 septembre 1981. l’abolition de la peine de mort en France doit beaucoup à l’impulsion déterminante du président de la république, François Mitterrand, qui n’a jamais, à l’instar de son ministre de la Justice, été initié. Mais cette abolition est toutefois l’aboutissement de luttes antérieures qui ont été menées par de nombreuses personnalités, parmi lesquelles les francs-maçons sont légion.

Le siècle des abolitionnistes

i les premiers adversaires de la peine de mort trouvent une fenêtre d’expression politique dès les premiers temps de la révolution française, c’est vers Si le milieu du xviiie siècle qu’est apparue la pensée abolitionniste. rappelons simplement que, sous l’ancien régime, la peine de mort était couramment appliquée. elle était particulièrement cruelle ; les modalités de la mise à mort variaient selon les crimes ou les délits commis, et en fonction du message politique que la justice du roi voulait envoyer. ainsi, jusque vers 1750, la décapitation au sabre était réservée aux seuls nobles et gens de qualité. le voleur de grand chemin était quant à lui roué en place publique, le régicide et le criminel d’État étaient écartelés, le faux-monnayeur était bouilli vif, l’hérétique était brûlé, et le domestique voleur était pendu. il n’y avait donc pas de peine capitale unique, et, jusque dans la mort, les privilèges subsistaient. la peine de mort donnait donc, en plus de l’exécution, l’occasion d’événements publics macabres qui étaient censés célébrer tant une punition, une expiation, qu’un message social et politique, par le biais de moyens barbares. en réaction, le courant abolitionniste prend naissance avec la publication, en 1764, du traité Des délits et des peines, de Cesare Bonesana, marquis de Beccaria (né le 15 mars 1738 à Milan, où il est mort le 28 novembre 1794).

Dans cet ouvrage majeur, qui ouvre la voie de la pensée abolitionniste, Beccaria développe des principes qui fondent encore le droit pénal moderne des États. Il définit les bases et les limites du droit de punir, ainsi que la proportionnalité de la peine et du délit, parmi d’autres principes fondateurs comme la non-rétroactivité des lois pénales et la présomption d’innocence. Il écrit notamment : « il me paraît absurde que les lois, qui sont l’expression de la volonté publique, qui détestent et punissent l’homicide, en commettent un elles-mêmes, et que pour éloigner les citoyens de l’assassinat, elles ordonnent un assassinat public. »

Beccaria complète son réquisitoire contre la peine capitale en proposant une solution alternative : « Ce n’est pas le spectacle terrible mais passager de la mort d’un scélérat, mais le long et pénible exemple d’un homme privé de liberté, qui, transformé en bête de somme, rétribue par son labeur la société qu’il a offensée, qui est le frein le plus fort contre les délits. »

Le retentissement de son œuvre est considérable ; et, dans la France des lumières, Beccaria trouve un précieux relais dans le frère Voltaire – qui meurt en 1778, sept semaines après son initiation au sein de la loge des neuf-sœurs. dans le chapitre x de son ouvrage Commentaires sur le livre des délits et des peines, paru en 1766, le philosophe écrit notamment : « on a dit, il y a longtemps, qu’un homme pendu n’est bon à rien, et que les supplices inventés pour le bien de la société doivent être utiles à cette société. il est évident que vingt voleurs vigoureux, condamnés à travailler aux ouvrages publics toute leur vie, servent l’État par leur supplice, et que leur mort ne fait de bien qu’au bourreau que l’on paie pour tuer les hommes en public. […] Ces condamnés sont forcés à un travail continuel pour vivre. Les occasions du vice leur manquent : ils se marient, ils peuplent. Forcez les hommes au travail, vous les rendrez honnêtes gens. on sait assez que ce n’est pas à la campagne que se commettent les grands crimes, excepté peut-être quand il y a trop de fêtes, qui forcent l’homme à l’oisiveté, et le conduisent à la débauche. on ne condamnait un citoyen romain à mourir que pour des crimes qui intéressaient le salut de l’État. nos maîtres, nos premiers législateurs, ont respecté le sang de leurs compatriotes ; nous prodiguons celui des nôtres. »

Si Beccaria n’est pas franc-maçon, il a toujours revendiqué avoir été fortement influencé par un autre philosophe, Helvétius, qui, le premier, organise une pensée en dehors de toute notion religieuse et dont l’apport à la maçonnerie est considérable. nul ne sait exactement dans quelle loge Helvétius a été initié. Mais il est attesté qu’il a fondé en 1766 avec lalande, le célèbre astronome, la loge les sciences, dont il deviendra le premier Vénérable Maître. lalande lui succédera et donnera à la loge les sciences le nom « les neuf-sœurs » – la loge même qui accueillera Voltaire.

Beccaria se revendiquera aussi comme fortement influencé par Montesquieu, le penseur de l’État de droit, concepteur de la théorie de la séparation des pouvoirs. Celui-ci a été probablement initié en angleterre, le 12 1730, par la loge Horn tavern, à Westminster. Dans De l’esprit des lois, Montesquieu relativise l’utilité sociale de la peine de mort. Parce que c’est une peine disproportionnée, elle aboutit à l’effet inverse de celui qui était recherché : « il ne faut point mener les hommes par les voies extrêmes ; on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. qu’on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu’elle vient de l’impunité des crimes, et non pas de la modération des peines. » suivons la nature, qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau ; et que la plus grande partie de la peine, soit l’infamie de la souffrir. que s’il se trouve des pays où la honte ne soit pas une suite du supplice, cela vient de la tyrannie, qui a infligé les mêmes peines aux scélérats et aux gens de bien. »

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Extrait de "Ce que la France doit aux Francs-Maçons", First éditions (4 octobre 2012)

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