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Licenciements boursiers : fantasme ou réalité ?
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La bourse ou la vie

Alors que Sanofi a annoncé hier un plan social entraînant la suppression de 900 postes, les licenciements boursiers n'ont aucune définition juridique. Le gouvernement devrait réformer le licenciement collectif.

Jean-Louis Levet

Jean-Louis Levet

Jean-Louis Levet est économiste.

Son dernier livre est Réindustrialisation j'écris ton nom, (Fondation Jean Jaurès, mars 2012).

Il est également l'auteur de Les Pratiques de l'Intelligence Economique : Dix cas d'entreprises paru chez Economica en 2008 et GDF-Suez, Arcelor, EADS, Pechiney... : Les dossiers noirs de la droite paru chez Jean-Claude Gawsewitch en 2007, et de Investir : une urgence absolue pour la France et l'Europe à télécharger chez la Fondation jean Jaurès (en libre téléchargement).

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Atlantico : Sanofi a prévu de supprimer 900 postes d'ici 2015. Les licenciements collectifs y compris les licenciements boursiers seront encadrés par le gouvernement. Quelle est la définition exacte d'un licenciement boursier puisque le terme s'est imposé dans le débat politico-médiatique ?

Jean-Louis Levet : Si ce terme n’a aucune définition juridique, il est présent dans le débat public depuis plusieurs années, en raison de l’importance prise par le poids de la finance dans l’économie et son influence sur les stratégies d’un certain nombre d’entreprises. Progressivement, au cours des années 90, la financiarisation de l’économie et la déréglementation envahissent l’espace de l’économie productive. L’industrie et les services qui lui sont liés, inscrits dans le temps long de la recherche et de l’apprentissage apparaissent comme dépassés par ces évolutions désormais bien connues. Les inégalités explosent tandis que les Etats et les territoires doivent jouer le jeu dramatique de la concurrence ou subir les délocalisations. La rentabilité financière de l’investisseur prend le pas sur la rentabilité économique de l’entrepreneur.

Le règne du tout marché et de la concurrence généralisée nécessitent une flexibilité toujours plus grande des organisations, des horaires, du marché du travail. Aussi, une entreprise licenciant dans ce double contexte de financiarisation de l’économie et de concurrence généralisée est considérée comme réalisant des licenciements boursiers, même si elle n’est pas cotée en bourse.

Ce terme de « licenciements boursiers » renvoie ainsi à une réalité partagée par une grande partie du monde salarial : quelle que soit la situation économique et financière de l’entreprise, celle-ci joue sur le levier de  la masse salariale pour s’ajuster le plus rapidement possible aux évolutions du marché et aux exigences de rentabilité des actionnaires.

N’oublions pas les modes successives de la « société post-industrielle » dans les années 80,  « la nouvelle économie » dans les années 90, et enfin  de « l’entreprise sans usines » à partir du début des années 2000. L’entreprise n’est plus considérée que comme un actif financier qu’il convient d’optimiser sur les marchés financiers. Il a fallu notamment en France la ténacité de nombreux entrepreneurs et la volonté au sein des entreprises à capital familial, pour essayer de résister à la pression des acteurs financiers.

L'expression reflète t-elle une réalité et ou la travestit-elle ?

Dans la réalité, notamment dans le cas français, une distinction doit être faite entre les grands groupes et les PME. Lorsque l’on observe la panoplie des moyens mobilisés pour éviter ou limiter les licenciements économiques dans le cadre d’un plan social, on se rend compte que le système est inégalitaire pour les salariés qui sont exposés aux risques d’une restructuration, d’une fermeture partielle ou totale d’un site, d’une réorganisation du portefeuille d’activités d’une entreprise.

De fait les grands groupes en sont les grands bénéficiaires. De plus, les dispositifs existants sont d’abord dans une logique de réparation (il faut trouver des reclassements, etc), et non dans une logique préventive : on gère les effets d’un plan social ou de licenciements, on n’anticipe pas l’évolution des emplois.

Quels effets ces évolutions ont-elles eu sur les salariés en général ?

Nous les connaissons. Elles ont fait l’objet de nombreux travaux. Pour aller à l’essentiel, on peut dire que les transformations de la sphère professionnelle ont provoqué une véritable crise du travail et celle-ci est d’ailleurs au cœur de nos difficultés à inventer un nouveau mode de développement.

Emiettement des statuts collectifs, perte de reconnaissance sociale, individualisation des emplois et des garanties, et face à ces ruptures professionnelles tous les salariés ne sont pas égaux. Jeunes, femmes, salariés peu qualifiés, seniors sont les plus touchés par la crise, sans compter les salariés de nombreuses entreprises de sous-traitance vassalisées par les grands donneurs d’ordre. Une situation qui n’a fait que s’aggraver depuis la crise de 2008.

Les licenciements collectifs décidés par des entreprises en bonne santé, dans le simple but d'augmenter leurs profits, sont-ils fréquents et y a t-il des secteurs d'activité plus concernés que d'autres ?

Les grands groupes sont plus directement concernés, quel que soit le secteur d’activité, même s’il convient bien sûr d’intégrer des spécificités de certains secteurs ou les cycles technologiques sont plus longs que dans d’autres (énergie, spatial, aéronautique, armement,  par exemple). Le degré de financiarisation de l’économie était devenu tel avant la crise, que les groupes ne savaient plus comment réemployer ou placer en dehors de la sphère financière des cash flow et des liquidités pléthoriques.

Mais la crise n’a guère modifié ces comportements. Les marchés financiers restent in fine les seuls lieux de placement de l’argent des entreprises disponible, du fait de leur rôle dans la centralisation et dans l’allocation des richesses. C’est bien une remise en cause de ce modèle qui est nécessaire pour contribuer à sortir de la crise ; cela passe en particulier par un soutien massif à l’investissement via notamment l’outil fiscal.

Dans quelle mesure est-il rationnel pour une entreprise, même bénéficiaire, de procéder à des suppressions de postes ?

La question en fait se pose lorsque l’entreprise est confrontée à un choc extérieur, comme cela a été le cas en 2008, où les carnets de commande se sont effondrés ; dans ce cas, qui perdure pour nombre de PME très vulnérables et à la situation financière très précaire, le rôle de l’Etat est de mobiliser les outils existants comme le financement du chômage partiel par exemple (utilisé massivement par l’Allemagne entre 2008 et 2010) ; la question peut se poser aussi dans de nombreux cas où il n’ y a pas dans le groupe de gestion prévisionnel des emplois, d’anticipation de l’évolution de son portefeuille d’activités.

Des groupes au contraire comme St Gobain se sont organisés de façon à être toujours en situation d’anticipation de fermetures de sites, de reconversion des bassins d’emplois concernés, en favorisant en amont l’information et le dialogue avec les représentants des salariés et les élus locaux concernés. Nous pouvons aussi avoir des situations où le sous-traitant est contraint par son ou ses donneurs d’ordre de délocaliser toute ou partie de sa production dans un pays low cost. Bref, une grande diversité de cas existent. Difficile donc de généraliser et de parler de licenciements boursiers sans connaissance précise du cas en question.

En quoi consisterait une loi anti-licenciement boursier ? Qui serait à même d'apprécier les motivations des entreprises sans entraver leur action ?

La grande orientation à prendre est de mettre en œuvre un ambitieux projet productif au cœur de la stratégie de l’action gouvernementale, en mobilisant tous les leviers : stimulation de la créativité et du développement humain, stimuler le passage d’une économie de la quantité à une économie de la qualité par l’innovation, la différentiation, une finance au service de la croissance et une politique de l’investissement, une responsabilisation plus forte des régions dans le développement économique, et jouer de notre influence avec d’autres pays européens pour aller vers une Europe de l’éducation, de l’industrie et de la recherche. Notre ambition doit être à la mesure des défis d’aujourd’hui : mettre en œuvre une stratégie de croissance durable par la production et crédibiliser par là même l’objectif de soutenabilité de nos finances publiques.

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