Dans la tête des Français face à la mondialisation : pourquoi le péril jaune a remplacé le bouc émissaire américain<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'étude, La France face à la mondialisation : se protéger ou se projeter démontre que l'inquiétude envers la Chine a supplanté l’antiaméricanisme traditionnel en France.
L'étude, La France face à la mondialisation : se protéger ou se projeter démontre que l'inquiétude envers la Chine a supplanté l’antiaméricanisme traditionnel en France.
©Reuters

L'éveil du dragon chinois

Les Français diabolisent la mondialisation, synonyme selon eux de désindustrialisation et de délocalisations. Et la Chine concentre leurs critiques...

Sophie Meunier

Sophie Meunier

Sophie Meunier est chercheuse en relations internationales a la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs a l'université de Princeton (États-Unis) et directrice du programme sur l'Union européenne.

Voir la bio »

Atlantico : Vous avez publié une étude, La France face à la mondialisation : se protéger ou se projeter, qui démontre que l'inquiétude envers la Chine a supplanté l’antiaméricanisme traditionnel en France. Comment expliquer cette peur du modèle chinois qui gagne la France ?

Sophie Meunier : Il y a dix ans encore, la mondialisation était perçue en France comme un phénomène qui portait indéniablement, pour le meilleur et pour le pire, la marque des Etats-Unis. Plus qu’ailleurs, les Français voyaient en la mondialisation un instrument de domination américaine et un outil pour promouvoir les valeurs et les intérêts des Etats-Unis dans le monde. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les Français sont convaincus que la Chine va à terme supplanter les Etats-Unis comme superpuissance, comme l’indiquent de nombreux sondages. Cette perception est partagée en ce qui concerne l’économie : 57% des Français pensent que la Chine est désormais la principale puissance économique du monde, contre 29% seulement pour les Etats-Unis. Pour les Français, le monde « post-américain » est une certitude et a déjà commencé, même si les perceptions sont bien loin de la réalité.

Cela relève-t-il d'une angoisse irrationnelle ou se rattache-t-il à des éléments concrets ?

Cette angoisse de la mondialisation à visage chinois est a la fois rationnelle et irrationnelle. La montée en puissance de la Chine est réelle et les signes de cette puissance économique sont de plus en plus visibles, à commencer par l’accroissement spectaculaire des investissements directs chinois, dont la France a été la première destination européenne entre 2000 et 2011. Cette obsession et surestimation de la puissance économique chinoise n’est d’ailleurs pas un phénomène propre à la France. Les Européens sont les plus nombreux à considérer que la Chine est déjà la première puissance économique du monde, loin devant les habitants de tous les autres continents. Quant aux Etats-Unis, le « China-bashing » y est devenu le mot d’ordre de la campagne électorale.

En France, cette montée en puissance réelle de la Chine crée une peur existentielle, souvent irrationnelle, alimentée par les medias qui suggèrent l’avènement d’un nouveau « péril jaune » et en particulier l’idée que la Chine, grâce à la crise de l’euro, est en train de racheter l’Europe, ainsi que le suggèrent des gros titres racoleurs comme« Comment la Chine envahit l’Europe » (L’Express), « Pourquoi la Chine fait peur » (L’Expansion), et « Quand les Chinois rachètent la France » (Complément d’enquête, France 2). Or, il n’y a pas que la Chine qui soit un pays émergent avec le potentiel de rogner toujours plus la part de la France dans l’économie mondiale. L’Inde et le Brésil sont aussi en train de connaitre une croissance économique impressionnante. Mais la montée en puissance du Brésil est plutôt vue avec sourire et les medias ne nous montrent pas des images menaçantes de l’économie brésilienne, même si elle détrônera bientôt l’économie française comme 5e économie mondiale.

Concrètement, comment dater ce basculement dans la psychologie des Français ?

Il est difficile de dater exactement cette inversion, qui s’est opérée de façon progressive, mais 2008 représente une année charnière à de nombreux égards. Les Jeux Olympiques de Beijing ont consacré le retour de la Chine en force sur la scène internationale. 2008 est aussi l’année où les premiers investissements chinois sont apparus en Europe. Parallèlement, la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 et l’explosion de la crise financière aux Etats-Unis a révélé au monde, et aux Français en particulier, la vulnérabilité américaine. Les Etats-Unis sont passés du statut de coupable au statut de victime d’un phénomène dont ils ne tirent plus les ficelles. L’élection de Barack Obama qui a bénéficié depuis quatre ans d’un fort capital de sympathie dans la population française a aussi contribué à projeter une image plus humble des Etats-Unis, à contraster avec l’image de plus en plus arrogante de la Chine. Depuis, la perception ne fait que grandir que les Etats-Unis et les pays européens sont dans le même bateau face à la mondialisation.

Notre proximité culturelle avec les Américains favorise-t-elle une plus grande indulgence ou au contraire une plus grande méfiance ? La Chine connaîtra-t-elle un jour pareil succès auprès de la culture française ?

Plus singulièrement que dans les autres pays européens, l’appréhension française de la mondialisation comportait aussi, à la grande époque du mouvement altermondialiste au tournant du XXIe siècle, une dimension culturelle. La résistance à la mondialisation était une résistance nationale et identitaire contre l’impérialisme et le rouleau-compresseur culturel américain. Tant que la mondialisation était perçue comme un phénomène américain, les reproches qu’on lui faisait étaient qu’elle contribuait à la “coca-colonisation”, “McDo-isation” et “Disney-ification” du monde, et qu’elle disséminait les valeurs américaines de l’individualisme et de la concurrence au détriment des valeurs françaises d’égalité et de solidarité.

Le discours français sur la mondialisation se fondait dans le discours sur l’exception culturelle. La peur de l’homogénéisation culturelle américaine, qui était la caractéristique la plus singulière de la résistance française à la mondialisation, a quasiment disparu du discours aujourd’hui. Cette peur n’a pas été remplacée par une perception que l’américanisation allait être remplacée par une « sinisation » culturelle. Mais la peur économique, qui n’a plus de visage américain, a bel et bien pris le dessus sur la peur culturelle. Les appréhensions contemporaines sont plus immédiates et plus existentielles, mettant en lumière l’inéluctable perte d’emplois due à la concurrence souvent déloyale des économies émergentes et doutant de la possibilité à terme pour la France de préserver ses standards, sociaux et autres.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !