Blocage : la réforme de l'Etat entravée par la culture de la dépense de la haute fonction publique française<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette année, les dépenses publiques devraient atteindre la proportion record de 56% du PIB.
Cette année, les dépenses publiques devraient atteindre la proportion record de 56% du PIB.
©Reuters

Changement de paradigme

Pour réduire les déficits publics, il faudra d'abord revoir la philosophie des hauts fonctionnaires français, qui ont toujours vécu dans un univers administratif fondé sur un recours à la dette pour financer des décisions coûteuses, mais plaisantes pour les élus.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Dans les années 60, les dépenses publiques atteignaient environ 40% du Produit intérieur brut (PIB). Dans les années 90, elles ont allègrement franchi le cap des 50%. Cette année, elles devraient atteindre la proportion record de 56%, et même plus, si la dérive observée par le Trésor public cet été se confirme.

Très longtemps, une doctrine a sous-tendu et justifié cette augmentation : les dépenses publiques étaient une condition du retour à la croissance. Cette conviction très keynésienne, encore avancée aujourd’hui par les détracteurs de la rigueur, s’appuie sur la théorie du multiplicateur d’investissement : tout euro investi par l’Etat produit plusieurs euros dans l’économie privée et relance donc l’activité.

Sous le couvert de cette théorie, l’Etat et les collectivités locales n’ont cessé de s’endetter pour financer leurs dépenses courantes, pendant que la part de l’investissement public dans la richesse nationale, c’est-à-dire la part du multiplicateur keynésien proprement dit, ne cessait de diminuer. Dans les années 60, l’investissement public représentait 3,7% du PIB, il n’en représente plus que 3% dans les années 2010. En réalité, la dépense publique n’est plus sous contrôle, et aucun gouvernement n’arrive ni n’est réellement arrivé à en limiter durablement l’expansion.

Il faut ici commencer l’inventaire de la Revue Générale des Politiques Publiques (RGPP), lancée par Nicolas Sarkozy, inspiré par le modèle canadien, et arrêtée cet été par la nouvelle majorité. L’objectif de cette politique, défendue encore récemment par Eric Woerth dans une tribune publiée par les Échos, consistait à réduire tous azimuts les dépenses de l’État par des réorganisations supposées rationnelles.

En dehors des 300 millions d’euros payés aux géants internationaux du Conseil (Boston, KPMG, et autres...) pour des missions qui leur ont permis de recycler des Powerpoint vieux d’une dizaine d’années, à quoi a concrètement servi la RGPP ? Dans le meilleur des cas, à piloter les réductions fortes d’effectifs dans la fonction publique, qui ont permis, enfin, en 2011, d’espérer la première baisse en volume (infinitésimal) de la masse salariale de l’État depuis 1945. Mais les Français peuvent constater que ces évolutions se sont faites au prix d’une dégradation forte de la qualité du service, notamment dans la police et l’éducation, qui n’est guère satisfaisante.

En réalité, l’État n’arrive pas à réduire sa masse, même quand il transfère une part de ses missions aux collectivités locales. L’histoire de la décentralisation en est la preuve.

Cette incapacité n’est guère surprenante. Elle tient essentiellement au fait que, à la différence des entreprises qui se restructurent, l’État confie sa modernisation à des cadres dirigeants dont la culture et les convictions sont aux antipodes de cet objectif. Dans cette catégorie, il faut évidemment verser les Polytechniciens et les Énarques, dont la formation les prépare à l’expansion de l’État, et non à sa rationalisation.
La culture des hauts fonctionnaires est en effet fondée sur trois piliers qui se révèlent mortifères pour le contribuable.

Premièrement, les hauts fonctionnaires français restent largement tributaires de l’idée très ancienne selon laquelle leur influence, leur réussite et leur prestige se mesurent au nombre de fonctionnaires qu’ils ont sous leurs ordres. Plus ils en recrutent, mieux ils ont réussi. Le directeur d’administration qui fait le choix de procéder spontanément à des réductions d’effectifs dans sa direction est immédiatement suspecté de perversion, ou de folie, ou d’incompétence.

Deuxièmement, les hauts fonctionnaires savent que leur carrière ne peut prospérer par la compétence, mais qu’elle dépend de leur influence politique. Le passage en cabinet ministériel est le meilleur des sésames pour progresser sans risque : tout est fait pour que l’affectation en cabinet ministériel soit un moment intégré au parcours normal de l’individu. Dans ces conditions, pourquoi s’en priver ? C’est comme jouer à la loterie en sachant à l’avance quels sont les billets gagnants. L’enjeu n’est pas d’être efficace, mais de dire au ministre ce qu’il a envie d’entendre.

Troisièmement, les hauts fonctionnaires pensent que la gestion des ressources humaines consiste simplement à suivre les règles statutaires applicables aux fonctionnaires, comme s’il suffisait de connaître les règles du jeu d’échec pour en devenir champion international. Cette inculture profonde de la fonction publique explique très largement le gaspillage scandaleux de fonds publics dans l’ensemble des restructurations sous l’ère Sarkozy.

Par exemple, la fusion des réseaux du Trésor public (direction générale des impôts et comptabilité publique) coûtera, au total, plusieurs milliards aux contribuables, alors qu’elle était supposée produire des économies. Mais la fusion ANPE et ASSEDIC, qui a donné naissance à Pôle Emploi en constitue un autre exemple : elle s’est traduite par un alignement des salaires les plus bas sur les plus élevés, sans gains effectifs de productivité.

Il est évidemment illusoire de croire que ces hauts fonctionnaires qui ont toujours vécu dans un univers administratif fondé sur un recours à la dette pour financer des décisions coûteuses, mais plaisantes pour les élus qu’ils servaient, seront capables de négocier un virage en épingle à cheveux. La culture de la servilité et de la frilosité face au changement sont aujourd’hui des fondements essentiels de la gestion de carrière dans les ministères.

Comment changer la donne? Deux mesures simples pourraient se révéler efficaces.

D’abord, interdire à un collaborateur de cabinet d’occuper pendant les 10 ans qui suivent un poste dans le ministère dont il conseille le ministre. Cette mesure salutaire évitera les stratégies opportunistes.

Ensuite, créer des comités de rémunération dans les ministères, intégrant des personnalités civiles, chargés de fixer les primes variables des hauts fonctionnaires. L’évaluation se fonderait sur deux critères: la qualité du service délivré et la maîtrise, voire la réduction des dépenses.

Assez rapidement, ces deux mesures permettrait de commencer par le haut le nettoyage au balai d’une administration qui ne peut raisonnablement imaginer qu’elle dépensera comme avant, alors que les Français se serrent la ceinture.

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