La laïcité est-elle devenue le cache sexe des obsédés de l’islam ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Et si la notion de laïcité brandie par Marine le Pen permettait en fait d'éviter de parler spécifiquement de l'Islam ?
Et si la notion de laïcité brandie par Marine le Pen permettait en fait d'éviter de parler spécifiquement de l'Islam ?
©Reuters

Excuse

Marine Le Pen s'est prononcée pour l'interdiction du voile et de la kippa dans l'espace public, y compris dans "la rue", au nom de la laïcité. Mais la question est-elle vraiment celle de l'application de ce principe, ou de sa simple utilisation pour éviter de parler spécifiquement de l'Islam ?

Thierry Rambaud

Thierry Rambaud

"Thierry Rambaud est professeur de droit public à l'Université Paris Descartes et à Sciences Po (Paris). Ancien membre de la Commission de réflexion juridique sur les rapports entre les pouvoirs publics et les cultes (Ministère de l'Intérieur), il est également expert auprès du Conseil de l'Europe. 

Il a rédigé une étude à paraître en novembre-décembre 2017 sur la notion de politique publique de gestion du religieux. Il a également engagé un programme de recherche sur les liens entre droit public, theologie et droit canonique dans la littérature juridique allemande au XXème siècle dont la première étape va paraître aux États-Unis (en lien avec l'université Notre-Dame)."

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Atlantico : Dans un entretien au Monde ce vendredi, Marine Le Pen se prononce pour l'interdiction du voile dans les espaces publics – les magasins, les transports, la rue. Alors qu'elle avait déjà adopté cette position pendant la campagne présidentielle, elle y adjoint cette fois l'interdiction de la kippa, au nom d'une laïcité totale. Cette "laïcité" est-elle devenu l’excuse facile de ceux qui sont obsédés par l’Islam ?

Thierry Rambaud : Oui, c'est ce que disent tous ceux qui craignent ou ont peur de l'islam. Ça peut être des mouvements d'extrême droite ou plus largement des gens avec une pensée radicale. Avec les caricatures de Charlie Hebdo, on voit également qu'on est dans un mouvement complètement différent de celui de Marine Le Pen, qui est plus un schéma de libre pensée et d'une attitude très laïciste vis-à-vis de toutes les religions.

Aujourd'hui, on est en France dans un système politique et juridique qui considère que toutes les religions doivent être traitées sur un pied d'égalité. Il y a donc une volonté de ne pas en viser une plus qu'une autre, car ce ne serait pas politiquement correct. Dans les discours, il y a une volonté d'habiller les choses pour ne pas donner l’impression de viser une religion en particulier, dans un système qui est censé être neutre.

Il y a aussi l'aspect juridique. Ces infractions pénales nécessitent la réunion d'un certain nombre d'éléments, mais je crois qu'il y a une volonté de ne pas tomber sous le coup des lois sur la diffamation et l'injure et sur l'incitation à la haine raciale.

Il y a incontestablement, dans cette utilisation de la laïcité, à la fois un facteur juridique et un facteur politique, qui est celui d'une stratégie qui vise à ne pas viser une religion particulière, pour consolider le discours.

Ce qui est très frappant dans l'entretien que Marine Le Pen a accordé au Monde, c'est qu'il y a une confusion complète entre la dimension politique et la dimension juridique. Il y a une invocation du principe de laïcité qui n'est jamais sérieusement défini. Cet entretien mélange donc les arguments techniques et politiques, avec notamment une invocation fréquente de la loi de 1905.

La deuxième chose, c'est que cette interdiction du voile et de la kippa sur la voie publique est absolument impossible juridiquement. La Constitution française définit un certain nombre de droits et de libertés, dont la liberté de conscience et de religion. De surcroit, il y a aussi une Convention européenne des Droits de l'homme, qui a une valeur supra-législative et garantit le droit d'extérioriser ses convictions religieuses. Il faut donc avoir conscience que si cette interdiction devait passer par une loi, elle serait certainement inconstitutionnelle. Et si elle passait par une révision de la constitution, elle risquerait d'être censurée par la Cour européenne des Droits de l'homme.

D'autant que si on interdisait tout port dans la voie publique de tout voile ou une kippa, il faudrait aussi interdire la croix chrétienne.

Elle ne s'est justement pas prononcée pas l'interdiction des croix. Est-ce une nouvelle preuve qu'elle - comme d'autres avant, comme le mouvement Riposte laïque - ne visait que l'islam ?

C'est quelque chose d'extrêmement préoccupant, car nous avons un certain nombre de nos concitoyens qui sont de confession musulmane, mais sont français et vivent de façon parfaitement régulière sur le territoire national. Il ne faut pas proclamer des grands mots, comme la République, la Liberté, la Fraternité, dont se réclament ces mouvements ou partis politiques, si ces mots doivent être retournés contre une confession religieuse, en plus une confession qui a une histoire longue et prestigieuse.

Qu'il y ait des points de discussion avec les autorités, qu'il y ait une grande fermeté contre tous ceux qui menacent l'ordre public, c'est normal. Mais je trouve très préoccupant que ces concepts républicains, qui doivent constituer le socle du vivre-ensemble, soient retournés contre une partie de la population française. Les citoyens français, peu importe leur confession, doivent disposer des droits et libertés fondamentaux sur le territoire de la République, sinon on est en contraction avec les principes dont se réclament ces personnes lorsqu’ils évoquent les principes constitutifs de la République.

Nicolas Sarkozy avait, selon le Figaro, déclaré le 16 février 2011 aux députés UMP reçus à l’Elysée : « On a payé très cher la cécité sur l'immigration dans les années 1980. C'était un débat tabou. Avec la laïcité et l'islam, il se passe la même chose ». Pourquoi, lorsqu'on parle de laïcité, l'islam fait-il toujours son apparition, et vice-versa ?

Le premier facteur est que la laïcité a été construite à une époque où la communauté musulmane n'était pas très présente en France. L'islam est donc arrivé plus tard dans un cadre juridique dont certains principes et notions diffèrent parfois des spécificités de la communauté musulmane.

Par ailleurs, il est évident qu'on fait face à des difficultés liées à un contexte mondial où la question de la religion islamique soulève des questions et des inquiétudes. Cela a des répercussions en France.

C'est donc le rôle des responsables publiques de réaffirmer les grands principes qui peuvent sous tendre à vivre-ensemble, et ce vivre ensemble doit faire sa place à tous les citoyens. Cela ne veut pas dire qu'il faut céder le pas au communautarisme ou accepter des revendications qui portent atteinte à l'ordre ou la sécurité publique, mais ça veut dire qu'on ne peut pas vouloir déraciner totalement des individus qui peuvent avoir leurs convictions religieuses.

L'islam, à l'inverse d'autres religions, est en expansion en France. Cela n'appelle-t-il pas logiquement une application plus stricte de la laïcité à son encontre ?

Je crois qu'il est de la responsabilité des responsables publics de proposer un modèle républicain d'intégration apaisée. Cela passe par l'éducation. Le jour où l'école appuiera, par l'instruction civique, la diffusion de repères et de valeurs communes, on verra comment la prise en considération de ce bien commun est compatible avec l'expression des convictions religieuses.

C'est la responsabilité de la République et de l'école de définir ce bien commun, d'y faire adhérer l'ensemble de la population. Lorsqu'on aura une école qui sera sur ces deux pieds pour protéger cette morale commune, les pratiques religieuses s'articuleront beaucoup mieux avec ces exigences collectives d'intérêt général.

Le fait que la laïcité soit parfois utilisée comme une arme contre l'islam ne risque-t-il pas de détourner les musulmans de cette valeur ?

Ne cesser d'invoquer les grands principes républicains, dont fait partie la laïcité, à l'encontre d'une religion particulière – en l'espèce, l'islam – est bien entendu de nature à faire mettre des doutes sur la validité de ces principes pour ces personnes, qui se sentiraient exclues de la communauté nationale. C'est un risque certain.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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