L'humour juif est-il inhérent à la culture judaïque ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
A tout prendre, il existe tout de même une dimension d’humour totalement et spécifiquement juif.
A tout prendre, il existe tout de même une dimension d’humour totalement et spécifiquement juif.
©Thomas Gilou

Yalla

Existe-t-il un humour juif reflétant l'esprit du judaïsme. Hugues Serraf analyse ce sens de la dérision qui ne serait pas si éloigné de l'humour anglo-saxon. Extraits de "Ils sont fous ces juifs" (1/2).

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

Voir la bio »

Est-ce que ça existe vraiment, « l’humour juif » ? Et si oui, s’agit-il d’un formatage de l’esprit inhérent au judaïsme, au sens où le catholicisme fait vivre les masturbateurs dans la crainte de la damnation éternelle et le bouddhisme garde les chômeurs optimistes même lorsqu’ils sortent d’un rendez-vous à Pôle emploi ?

Le problème, c’est que poser la question dans ces termes, ça n’est pas très rigolo. Un peu comme ces livres savants censés décortiquer les mécanismes de ce qui amuse mais ont plus tendance à vous faire bâiller qu’à vous envoyer rouler par terre.

Tiens, prenez Le Rire, de Bergson. Eh bien ce bouquin ne vous tire pas un sourire. Vous vous dites : voici Bergson, un Juif, donc un spécialiste présumé de l’humour, philosophe de surcroît, qui écrit un bouquin sur le rire, c’est sûr qu’on va se bidonner…

Quelle erreur ! Bergson, qui dit évidemment un tas de choses intéressantes ici et là dans d’autres livres, se contente d’analyser le rire « dans ses dimensions sociales et morales » sans jamais raconter une blague digne de ce nom. Enfin, il essaye, mais disons que ça tombe un peu à plat. Il lui manque ce petit supplément d’âme qui dans sa narration transcende la pauvreté éventuelle d’une histoire drôle (comment ça, je fais mon Bergson ?) : la vis comica, quoi. Vous doutez ? Vous vous dites : mais qu’est-ce que c’est que cet âne qui se permet de se moquer (ha !) de Bergson, une sommité qui a son rond de serviette au Panthéon et fait autorité sur la question depuis exactement cent douze ans tout de même? OK, si vous le prenez comme ça, jetez plutôt un coup d’oeil sur la façon magistrale dont il foire l’histoire du mec qui se casse la figure dans la rue – un indémodable, n’importe qui fait rigoler avec ça – et avouez que même votre grand-mère est plus douée :

« Un homme, qui courait dans la rue, trébuche et tombe : les passants rient. On ne rirait pas de lui, je pense, si l’on pouvait supposer que la fantaisie lui est venue tout à coup de s’asseoir par terre. On rit de ce qu’il s’est assis involontairement. Ce n’est donc pas son changement brusque d’attitude qui fait rire, c’est ce qu’il y a d’involontaire dans le changement, c’est la maladresse. Une pierre était peut-être sur le chemin. Il aurait fallu changer d’allure ou tourner l’obstacle. Mais par manque de souplesse, par distraction ou obstination du corps, par un effet de raideur ou de vitesse acquise, les muscles ont continué d’accomplir le même mouvement quand les circonstances demandaient autre chose. C’est pourquoi l’homme est tombé, et c’est de quoi les passants rient. »

Franchement, vous avez rigolé, là ? Et c’est comme ça sur 170 pages. Et en plus, il n’en parle même pas, de l’humour juif.

Non, à tout prendre, il existe tout de même une dimension d’humour totalement et spécifiquement juif ; une forme d’humour directement issue du fait religieux et dont les comiques professionnels new-yorkais, les Woody Allen, les Jerry Seinfeld, les Larry David et autres Lenny Bruce sont la plus pure expression. Ces histoires de paradoxes, ces références capillotractées à la Bible ou au Talmud, aux milliers de contraintes absurdes qui régissent la vie du Juif religieux et le conduisent à s’inventer autant de façons de les détourner avec la bénédiction de tel ou tel obscur rabbin lituanien du XIIe siècle. J’adore celle-ci (qui doit avoir été inventée un peu après le Moyen Âge) :

– Est-ce qu’on a le droit de prendre l’avion le samedi ?

– Bien sûr, mais il faut alors garder sa ceinture attachée pendant tout le vol. On peut alors considérer que ce n’est pas l’avion qui vous porte mais vous qui portez l’avion.

Sur la question biblique, l’ami Rabinovitch rapproche d’ailleurs l’humour juif de l’humour anglo-saxon, les protestants étant également de gros lecteurs de l’Ancien Testament. C’est une idée intéressante, mais je ne sais pas ce qu’elle vaut vraiment. Car enfin, Lionel Jospin racontant des blagues à une assemblée de luthériens dans une petite église de bois de la banlieue de Göteborg, ça ne sonne pas super excitant…

Non, l’humour anglo-saxon est plus sûrement crypto-juif qu’influencé par la Réforme. Bah, à l’occasion, je demanderai son avis à un antisémite qui raconte des blagues de juifs dans des magasins de confection, ça ne m’étonnerait pas qu’il soit d’accord.

________________________________________

Extrait de "Ils sont fous ces juifs", Editions du Moment (20 septembre 2012)

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !