Moscovici à Londres : cas d'école des contradictions de la gauche au pouvoir<!-- --> | Atlantico.fr
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Soulagé de ne plus être sous le regard vétilleux des électeurs coco et des médias bobo, à Londres, Pierre Moscovici en a profité pour prononcer un discours de droite.
Soulagé de ne plus être sous le regard vétilleux des électeurs coco et des médias bobo, à Londres, Pierre Moscovici en a profité pour prononcer un discours de droite.
©Reuters

"I am not dangerous"

La capitale anglaise semble avoir des vertus miraculeuses sur la pensée économique socialiste. Invité de l'autre côté du "Channel" mardi, le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, a tenu un discours digne d'un ministre de droite.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Il suffit qu’ils traversent la Manche pour que nos socialistes vieille école, fouettés par le vent du New Labour, se convertissent à l’économie de marché. Soulagés de ne plus être sous le regard vétilleux des électeurs coco et des médias bobo, ils se lâchent. On se souvient de Hollande durant la campagne présidentielle, reniant d’un coup toutes ses attaques contre la finance d’un "I am not dangerous". Voilà que Pierre Moscovici, son ministre de l’Economie, vient de lui emboîter le pas. Déclinant avant-hier, à la London School of Economics (LSE) de Londres, le programme économique du gouvernement devant un auditoire discipliné d’étudiants et de représentants de la communauté française, il n’a pas dit un mot de la taxe à 75%, ni du plafonnement des loyers, ni des subventions à l’essence, ni de l’abaissement de l’âge de la retraite, ni de l’interdiction programmée des licenciements boursiers, ni de la sécurisation des contrats de travail, ni des taxes supplémentaires sur les entreprises, ni de l’arrêt de l’exploitation du gaz de schiste. Il ne nous réservait que des douceurs technocratiques sur la compétitivité, le financement des PME, l’entrepreunariat, la réduction de la dette publique et même les réformes structurelles. Pour avoir écrit les discours d’un(e) ministre de l’Economie de droite, je peux confirmer que les différences étaient infinitésimales. Si être raisonnable, c’est tenir des propos de droite, les socialistes devraient en tirer les conclusions.

Pierre Moscovici ne prétend certes pas être un révolutionnaire échevelé. Courtois, mesuré, drôle même, habillé sur mesure chez Arnys, s’exprimant dans un anglais très correct, maîtrisant toute la gestuelle des lunettes (heureux les myopes de disposer d’un tel appui scénique !), il incarne la sagesse repue du ministre d’expérience, s’autorisant même à transgresser la ligne du parti pour exprimer des convictions plus personnelles sur l’intégration européenne, ou à secouer la langue de bois diplomatique pour rêver tout haut à des eurobonds d’ici cinq ans. Il représente sans doute mieux la France et ses intérêts que son prédécesseur direct. Son hôte britannique, tout émerveillé, s’autorisa même à citer Moscovici père, docteur honoris causa de la LSE. On est entre gens du monde.

Mais tel est bien le problème. "I am not dangerous", disait Hollande alors que c’est cela même qui le rend dangereux : l’incapacité à réformer. "Je suis un gestionnaire compétent", semblait nous dire Moscovici. Et c’est bien le drame. Alors qu’on lui demandait pourquoi la France ne s’appliquait pas à elle-même les mesures de libéralisation qu’elle prône à la Grèce ou au Portugal, ou comment refondre un modèle social périmé, Moscovici a souri finement, magnanime devant tant d’ignorance. Nous ne nous libéralisons pas parce que, contrairement à ces incapables méditerranéens, nous n’en avons pas besoin. Quant à notre modèle social, "nous pouvons nous le permettre". La France est la sixième économie du monde, le Trésor emprunte à 2%, le niveau de dépenses publiques est "raisonnable" (je cite, je le jure) et l’Etat reste solidement tenu par des énarques compétents. Dès que les ennuis passagers de l’Europe auront été résolus, chacun pourra retourner à ses moutons.

Comme tant d’autres politiques, tous bords confondus, Moscovici croit l’Etat éternel. Après trente ans de dorures à la Cour des comptes et de poussière dans les congrès du PS, il a oublié le monde. Il ne peut pas comprendre que la crise de la dette est le symptôme d’un effondrement généralisé du modèle occidental de l’Etat-Providence, désormais soumis à la compétition des pays émergents. Il ne peut pas voir que les lourdeurs étatiques sont devenues de tels freins que la plupart des jeunes diplômés s’envolent à l’étranger. Il ne peut pas pas admettre que la France risque de s’effondrer si rien n’est fait pour la réformer.

J’en tire deux conclusions. La première, c’est que le gouvernement devrait tenir son prochain séminaire à Londres, qui semble avoir des vertus miraculeuses sur la pensée économique socialiste. La deuxième, c’est que le changement, ce sera pour plus tard.

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