Bombe à retardement : la Bundesbank fera-t-elle exploser le joli mécanisme de sauvetage de la zone euro imaginé par la BCE ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Il est possible que la Bundesbank soit une véritable "bombe à retardement" au sein même de la BCE.
Il est possible que la Bundesbank soit une véritable "bombe à retardement" au sein même de la BCE.
©Flick / dkshots

Tic tac, tic tac...

La Cour constitutionnelle allemande a donné son feu vert à la ratification du Mécanisme européen de stabilité. Elle a néanmoins émis des conditions, pour protéger le contribuable allemand. L'Allemagne pourra-t-elle troubler également la route de Mario Draghi, en saisissant la Cour européenne ?

Isabelle  Mouilleseaux

Isabelle Mouilleseaux

Isabelle Mouilleseaux est directrice de publications chez Publications Agora.

Elle a notamment co-écrit Le déclin du Dollar : une aubaine pour vos investissements ? (Valor, 2008).

Voir la bio »

Tout va bien la vie est rose… Draghi, Karlsruhe, les millions. Qui oserait perturber cette sérénité ? Il n’est pas impossible que la Bundesbank, pieds et poings liés, soit une véritable « bombe à retardement » au cœur même de la BCE. Il n’est pas improbable non plus de penser que le « billard à trois bandes » qui se joue actuellement au cœur de l’Europe entre Merkel, Draghi et les Etats dispendieux tourne court. Il n’est pas impossible que ce que Karlsruhe vient d’imposer au MES, soit imposé à la BCE…

On se pose beaucoup de questions en Allemagne, qu’on ne se pose pas en France…

Les banques centrales ont pris le pouvoir

BCE et Fed sont simultanément passées en mode « injections sans limites »  de cash dans le système. Creusons un peu.

Quand la masse monétaire d’un pays croît plus vite que la richesse qu’il produit, il déprécie sa monnaie ; au risque de conduire in fine à un appauvrissement généralisé de sa population. Ce n’est pas un hasard si le cours de l’or flambe, qu’il soit libellé en dollar ou euro. Vous me répondrez sans doute que la BCE va « stériliser » le cash imprimé/injecté (comprenez qu’elle enlèvera les liquidités du circuit). Voilà qui me laisse songeuse… Soit on est en mode « sans limites », soit on ne l’est pas. Attendons de voir, car ce mot est clé.

Stérilisation : c’est le mot qui a permis à Draghi « d’acheter le oui » d’Angela. Imprimer des euros pour racheter la dette des Etats (ce que va faire la BCE), cela revient à financer les Etats (ce que n’a pas le droit de faire la BCE). Cela fait aussi à gonfler exponentiellement le bilan de la BCE qui, si défaut d’un Etat il devait y avoir, devra être renfloué par… les contribuables. Allemands en première ligne ; les Français en seconde.

Le contribuable est le « garant » en dernier ressort. La stérilisation est son « pare-feu ». Encore faut-il qu’il soit réalité…

Un billard à trois bandes… serrées

La BCE achète du temps, nous dit-on.

Certes, c’est le deal :

  • la BCE se donne « toute latitude » pour agir ;

  • Merkel acquiesce, le nœud au ventre ;

  • Et les Etats endettés s’engagent la main sur le cœur à réduire leurs dépenses et faire des réformes structurelles. Immédiatement.

Merkel a lâché du lest. Draghi a sorti le grand jeu. Maintenant, aux pays obèses d’agir : tout est entre leurs mains. En clair et sans décodeur : la non mise en œuvre de réformes pourrait faire voler en éclats cette « entente cordiale ».

Serait-ce pour cela que « ça rue dans les brancards » du côté de notre gouvernement en ce moment ? Car je vous rappelle que MES signifie pacte budgétaire qui signifie lui-même "règle d’or". Le vote du budget, c’est très bientôt… La pression monte.

La démocratie allemande vit comme jamais elle n’a vécu

Outre-Rhin, il y a débat sur la question de l’euro. La presse et les politiques interpellent, s’interrogent. Les citoyens réagissent et se mobilisent, font fonctionner les contre-pouvoirs. Il y a un véritable débat sur la construction européenne. Un débat transverse qui fait sauter tous les clivages politiques habituels.

Curieusement, ce n’est pas vraiment le cas chez nous et j’ai bien peur qu’un jour les Français se réveillent et s’opposent à une Europe qui se sera faite « sans eux ». L’éloge unanime et immodéré de la presse française aux propos de Draghi la semaine dernière est à ce titre abasourdissant. Au même moment, sur la même question, la presse allemande se déchirait et réagissait violemment. Vous n’imaginez pas à quel point.

Que disent les critiques allemandes (et dont la presse française a fait fi… ) ?
En vrac & non exhaustif :

  • La politique de sauvetage de l’euro est l’affaire des Etats. Elle relève du politique. Et c’est pour cela qu’on a créé le mécanisme de sauvegarde (MES), précisément ;

  • La BCE est légitime pour la politique monétaire. Pas pour la politique budgétaire et fiscale (Etats & MES) ;

  • Avec ses rachats illimités de dettes souveraines, la BCE agit en dehors de son mandat et s’auto-habilite à prendre des mesures qui sont de l’ordre du politique. Or elle n’a aucune légitimité politique ou démocratique pour le faire. Son plan est considéré comme un « plan de sauvetage » bis, au même titre que le MES ;

  • Et surtout, un rachat « sans limites » d’obligations par la BCE engagerait « sans limite » les contribuables allemands en cas de défaut d’un pays. Voilà pourquoi pour beaucoup d’Allemands estiment que la souveraineté budgétaire du pays est bafouée puisque l’Allemagne n’a plus la main sur sa destinée budgétaire et fiscale. Cette destinée est mise à risque par la BCE, celle-ci engageant la responsabilité des contribuables sans que le Bundestag (les représentants du peuple) n’ait donné son accord ;

  • Or, que dit la décision de la Cour constitutionnelle de Karlruhe (saisi par les citoyens Allemands)  ? Elle dit très clairement que la responsabilité des Allemands qui se portent garants en dernier ressort du MES ne peut être engagée sans une validation au préalable des députés Allemands. Le Bundestag retrouve sa « souveraineté budgétaire & fiscale » ; et les Allemands reprennent leur destinée en main.


MES / BCE : ce qui est vrai pour l’un ne devrait-il pas l’être pour l’autre ?

Si la cour de Karlruhe exige dans le cadre du MES l’accord préalable du Bundestag pour toute nouvelle garantie financière qui engage le contribuable allemand, pourquoi ne l’exigerait-on pas pour la BCE ? Car la BCE engage unilatéralement et sans aucune légitimité politique ce même contribuable allemand, et pour des montant illimités.

La Cour européenne sera-t-elle saisie pour barrer la route à Draghi ?

Quand on dit que le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, est isolé lorsqu’il dit que les rachats d’obligations sont un acte illégal de monétisation de la dette et que la BCE sort de son mandat : c’est faux. Il est soutenu par beaucoup de politiques et économistes outre-Rhin. Et les recours existent :

  • Pour des raisons que je n’expliquerai pas ici, la Cour de Karlsruhe ne peut décider de la constitutionnalité des décisions prises par Draghi par rapport aux traités européens. En revanche, elle étudie la question et donnera son avis (peut-être en décembre). Suite à cela, elle pourra saisir la cour européenne et exiger d’elle qu’elle tranche la question qui relève de sa compétence ;

  • De même, des voix de tous bords politiques s’élèvent en Allemagne pour exiger du gouvernement qu’il saisisse directement la Cour européenne pour décider de la constitutionnalité des mesures de Draghi. « C’est le devoir du gouvernement » entend-on ;

  • Pour couronner le tout, la Bundesbank, faisant partie de la BCE, est « co-responsable » des actes de Draghi. Si la Cour de Karlsruhe estime (en décembre ?) que ce dernier est sorti de son domaine de compétences, cela voudrait automatiquement dire que la Bundesbank est en infraction elle aussi.

Elle serait alors dans l’incapacité de participer aux rachats de dettes décidés par Draghi. Dit autrement, elle pourrait être obligé de dire «  Non, je ne vous suis pas monsieur Draghi ». Draghi pourra-il alors agir ? Car la Bundesbank, si elle n’a que deux voix au sein de la BCE, en représente tout de même 27 %. Affaire à suivre...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !