Nuage de fumée ?
Draghi rachète de la dette... Les marchés sont rassurés, mais jusqu'à quand ?
Les Bourses ont terminé en forte hausse jeudi, dopées par les déclarations du président de la BCE venues confirmer le lancement d'un nouveau programme de rachat d'obligations d'Etat. Réelle tentative pour enrayer la crise ou simple effet d'annonce ?
Jérôme Revillier
Jérôme Revillier est fondateur d’Eole Trading et gérant chez Alternative Capital Investments.
Il est conseiller et stratège auprès de professionnels des marchés et de sociétés de gestion.
Il contribue chaque semaine à l’Edito des matières Premières et devises.
Il développe en 2010, en exclusivité pour les Publications Agora, un service de trading unique sur le Forex : FxProfitTrader.
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Mario Draghi a parlé. Beaucoup parlé. Pas moins de trois communiqués à lire avant la traditionnelle série de questions-réponses. Il s’en est même excusé. Mais il fallait bien ça pour nourrir les attentes des investisseurs qui ont fait grimper les marchés financiers de près de 14% pour l’indice Eurostox50 par exemple ces derniers mois.
Et ce jeudi soir, l’euphorie était encore de mise avec un CAC40 en hausse de 3% atteignant la barre symbolique des 3500 points et un indice S&P500 à Wall Street au plus haut depuis 4 ans. Mario Draghi a-t-il réussi à enrayer la crise ou a-t-il juste une nouvelle fois gagné du temps ?
Une conférence (trop) attendue
Cette conférence de presse était très attendue par les marchés. En effet Mario Draghi avait lui-même aiguisé l’appétit des marchés en déclarant fin juillet « La BCE est prête à faire tout ce qui sera nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant ».L’effet d’annonce avait parfaitement fonctionné, impactant immédiatement le marché obligataire, permettant ainsi aux pays en difficulté de retrouver un nouveau souffle avec des taux d’emprunt en baisse.
Mais l’été, propice à ce genre de « rallye boursier » (c’est vrai aussi pour les fortes chutes) touchant à sa fin, la BCE allait devoir s’expliquer un peu plus.
Mario l’équilibriste
Et s’il y a bien une chose que l’on ne pourra pas lui reprocher, ce sont la qualité et la précision des explications apportées sur les opérations que la banque centrale souhaite mener. Il faut dire qu’il s’est livré à un véritable jeu d’équilibriste afin de rassurer les marchés sans froisser la puissante Allemagne.
Ainsi, sans entrer trop dans le détail des mesures, la BCE nous livre une nouvelle fois un acronyme dont elle a le secret. Au revoir SMP, bonjour OMT. Ces fameuses « Outright Monetary Transaction » vont permettre à la BCE d’agir sur le marché de la dette souveraine directement pour venir réduire les taux des pays qui en bénéficieront.
Mais la réelle force de cette annonce est justement l’effet qu’elle produit sans être utilisée ! Et c’est bien pour cela que Mario Draghi a insisté sur deux points. L’irréversibilité de l’euro et la quantité illimitée de liquidité mise à disposition pour agir sur le marché secondaire. Ces deux axes sont les deux ensembles qui composent le bazooka rhétorique de Mario Draghi. Mais, car il y a un mais …
Mario, illusionniste
Mais malgré son talent, Mario n’a pas pu cacher les sérieuses dissensions avec l’Allemagne. Répondant à une question d’un journaliste, Draghi a laissé entendre que seul Mr Weidmann, le représentant allemand au comité monétaire a voté contre ces mesures. Plus inquiétant encore, la rhétorique employée pour ménager la rigueur allemande risque de sérieusement enrayer le fameux bazooka de Mario. Tout d’abord, les achats seront effectués avec des montants de liquidités « stérilisées ». Cela signifie tout simplement que l’on retire du circuit économique l’équivalent des sommes allouées aux transactions OMT afin de ne pas gonfler la masse monétaire et donc, de ne pas froisser le nord de l’Europe qui se refuse à toute monétisation.
Enfin, ces mesures sont applicables seulement à certains pays sous conditions. Il faudra que les pays, bénéficiant de ces mesures, aient sollicité officiellement une aide extérieure et conservent un accès au marché de la dette. En clair, pour le moment, seule l’Irlande colle à ses critères. L’Espagne, clairement est dans le viseur et jamais la pression sur Mr Rajoy aura été aussi forte pour faire une demande d’aide officielle.
Mario, Chapeau l’artiste !
Car le vrai message de Mario Draghi, il est simple : Vous voulez de l’aide ? No problem. Demandez-la officiellement et abandonnez votre souveraineté pour la mise en place de mesures budgétaires. Et c’est là toute la magie Draghi. Il a réussi à rassurer les marchés, préserver les Allemands tout en mettant tranquillement la pression sur les pays en difficulté en martelant que, lui, était indépendant. Bravo Mario, tu nous as fait rêver. On se demande même encore pourquoi tu emmènes ton ami Constancio à côté de toi à la conférence, il ne dit jamais rien. Banquier central, plus qu’un métier, c’est un art.
Croissance et Inflation, une zone de turbulences s’annonce
Vous l’aurez compris, si je salue l’originalité et l’habileté de Mario Draghi, je reste malheureusement très inquiet sur la capacité de la zone euro à s’en sortir. Car le véritable constat à faire est que la BCE a revu la croissance à la baisse et l’inflation à la hausse. Avec désormais une prévision de 0.4% contre 1% prévu lors de la dernière estimation et une inflation revue à la hausse autour des 2.5%, l’élastique se tend dangereusement pour l’Europe. Mario a fait le Job, c’est désormais aux états européens de sauver ce qui peut encore l’être. En attendant, les marchés pourraient vite ressortir les crocs si le plat n’est pas plus consistant que le simple amuse-bouche de Draghi.
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