La France dans le gouffre de l'impuissance publique : l'effroyable risque systémique soigneusement caché dans le bilan des banques<!-- --> | Atlantico.fr
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"Nos responsables politiques semblent donc oublier que 9/10 de la masse monétaire ne vient pas de la banque centrale, mais de banques quasiment totalement libres de créer cette monnaie."
"Nos responsables politiques semblent donc oublier que 9/10 de la masse monétaire ne vient pas de la banque centrale, mais de banques quasiment totalement libres de créer cette monnaie."
©Reuters

Mise à l'épreuve

Seconde partie de notre série consacrée aux raisons de la crise et aux réformes nécessaires au pays, mais aussi à l’Europe, pour y faire face.

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser est ancien député européen apparenté RN.

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A (re)lire, la première partie :

 La France dans le gouffre de l'impuissance publique :
il est urgent que nos gouvernants arrêtent de privilégier
leur intérêt électoral à l'intérêt général

Pour comprendre la crise financière de 2008, il faut partir de cette prérogative donnée à la finance de créer de la monnaie à partir de rien – quasiment sans encadrement réel des pouvoirs publics avec abandon progressif des réglementations mises en place et la possibilité, en outre, de diluer le risque financier dans le marché, de le faire donc porter à la société (voir cette précédente série d'articles).

Les logiques qui conduisent à la crise financière, mais aussi à la crise de la zone euro sont des logiques de l’endettement. La crise financière et la crise de l’euro sont donc des crises de l’endettement. C’est apparemment une évidence... Et pourtant, c'est là que se trouve la seule manière de remédier à la crise financière et à la crise de l’euro, si on tient à éviter de nouvelles crises financières dues à l’endettement.

La monnaie scripturale ou monnaie de compte des banques, que l’on oppose à la monnaie banque centrale ou monnaie de base (monnaie que l’on peut toucher (billets et monnaie) + réserves des banques à la banque centrale) représente 90% de la masse monétaire, la monnaie banque centrale ne faisant que 10%. Bien qu’il y ait évidemment un lien entre la monnaie scripturale et la monnaie banque centrale, l’expansion de la monnaie scripturale n’est pas directement liée à la monnaie de base. Mais c’est la monnaie des banques qui crée les bulles financières dans la finance ou l’immobilier, car le crédit immodéré permet d’augmenter la demande, donc les prix.

Cela relativise beaucoup le discours tenu par les responsables politiques - qui à vrai dire n’ont que rarement étudié dans la réalité les phénomènes monétaires - sur la création monétaire ou monnaie de base qui serait la seule cause d’inflation ou d’instabilité financière. Nos responsables politiques semblent donc oublier que 9/10 de la masse monétaire ne vient pas de la banque centrale, mais de banques quasiment totalement libres de créer cette monnaie. Cette augmentation du bilan des banques s’est d’ailleurs faite à un moment où la monnaie banque centrale n’augmentait que très peu relativement au bilan des banques.

Aujourd’hui, le bilan (actif- passif) des banques de la zone euro est d’un montant un peu inférieur à trois fois le PIB de la zone euro, mais c’est sans compter avec le hors bilan qui représentait dix fois le bilan officiel des banques dans les années 2000. Autrefois, mais il n’y a pas si longtemps, encore dans les années 1980, le bilan des banques avoisinait le PIB - la pratique du hors-bilan était quasiment inexistante - les dépôts faisaient les crédits pour 80% du bilan, la banque suivait à la trace ses engagements, elle en était responsable. Désormais les dépôts ne font les crédits que pour de 25% du bilan. Le financement se fait par le marché interbancaire et l’émission de titres à moyen et long terme. Il se fait donc essentiellement par création monétaire. Il permet n’importe quoi !

La titrisation ou capacité de se défaire de ses dettes est au centre de cette augmentation des bilans bancaires. Grâce à la titrisation, un passif devient un actif ce qui permet - en se passant les dettes pour en faire des instruments financiers - d’augmenter infiniment le bilan des banques. En outre, autour de ces dettes se crée des produits dérivés des dettes dont les assurances sur dettes (credit defaut swap). Le marché financier se déconnecte ainsi de plus en plus de la réalité, le marché des produits dérivés de la dette fait plus de dix fois le PIB mondial, le marché des devises plus de 20 fois…, l’économie financière devient une pyramide de dettes-actifs reposant néanmoins sur la bonne marche de l’économie réelle.

On comprend très bien la fragilité de ce système financier. L’encours du crédit bancaire (entreprises, ménages) représente la moitié du bilan des banques, autour de 140% du PIB mondial. Si 7% de ces crédits (dans l’économie réelle) sont défaillants (alors que les fonds propres des banques avoisinent 10 % du PIB dans la zone euro), les banques sont potentiellement toutes en faillite. En fait, la situation est bien plus grave car ces 7% de crédits défaillants sont la base d’une pyramide de dérivés de crédits et autres produits financiers qui sont visibles mais aussi invisibles, justement dans le hors-bilan. Ces véhicules financiers (hors-bilan) fonctionnent avec l’argent de la banque et sont donc des faux-nez qui peuvent donc faire de lourdes pertes engageant les banques.

Grâce à la déréglementation du système financier (que l’on doit à la finance américaine suivie avec exemplarité par nos technocrates de Bruxelles, et mise en place sous des gouvernements socialistes), nous sommes en face d’une montagne de dettes, une pyramide inversée, dont la base repose quand même sur l’économie réelle. Cette économie réelle est fragilisée par l’économie de l’endettement.

En effet, si l’économie réelle a une croissance normale de 2 à 3%, hors inflation, et ceci dans les temps longs de l’Histoire, l’économie financière elle cherche des rendements bien plus élevés : 10 à 15%, si ce n’est plus. Elle les obtient-justement par les effets de levier, autrement dit en utilisant l’endettement comme multiplicateur des fonds ou capitaux propres : 20 fois, 50 fois, jusqu’à 100 fois parfois. Mais un effet de levier fonctionne pour les bénéfices, mais aussi pour les pertes. Par ailleurs, l’économie réelle est elle-même obligée de se protéger contre l’instabilité financière créée justement par l’économie financière (fluctuation sur les devises, sur les matières premières. L’économie financière saura donc créer des produits financiers de sécurité qui seront autant de ponctions faites sur sa création difficile de richesse, instruments évidemment inefficaces si la brise se transforme en tempête...

Quand la perte survient, car tôt ou tard on retrouve les fondamentaux de l’économie avec ses "faibles" rendements, c’est tout le système bancaire qui est en faillite, vu la taille du bilan des banques. Mais comme il s’agit d’un bien commun - la monnaie et la finance sont des biens communs de la société - ayant été privatisé sans qu’on ait réellement fixé des règles contraignantes, il faudra quand même absolument sauver ce bien public. Sinon l’économie s’arrêterait, il n’y aurait plus d’argent dans les distributeurs, les échanges économiques devraient retourner au troc… bref nous devrions faire face à un collapse total.

Les États interviennent alors avec de la monnaie banque centrale pour tenter de sauver le système financier. C’est ce qu’on voit dans les tableaux ci-dessous après la crise de 2008. C’est ainsi que l’on a une privatisation des bénéfices - pour le système financier - et une socialisation des pertes pour les États.

Cette logique est inscrite dans la logique actuelle du système. Il ne sert à rien de s’en lamenter avec des prurits moraux et des attaques contre la Finance avec un grand F. Il s’agit de remettre en question les bases de ce système, il s’agit de réglementer la manière dont un agent financier peut se défausser des crédits octroyés et n’en plus porter la responsabilité. Il s’agit de reprendre le contrôle du système bancaire qui a failli.

Si on ne veut pas s’attaquer à la titrisation et aux produits dérivés, en demandant par exemple qu'au moins 50% des prêts restent sous la responsabilité des banques et en limitant les produits dérivés aux professionnels qui en ont besoin pour des raisons de sécurité, nous tomberons de crise financière en crise financière. Et la ponction de la finance sur l’économie réelle et sur la société sera de plus en plus insupportable : si bien qu'elle pourrait conduire à une révolte totale de la société.

Qui le dit ? Où sont les responsables politiques qui abordent cette question en expliquant la situation ?

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