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Les pays membres de la zone euro restent peu ou prou à la botte de Berlin. Mario Draghi pourrait-il faire céder l'Allemagne d'Angela Merkel ?
Les pays membres de la zone euro restent peu ou prou à la botte de Berlin. Mario Draghi pourrait-il faire céder l'Allemagne d'Angela Merkel ?
©Reuters

Gros bras

Des rumeurs parcourent les marchés : Mario Draghi et ses collègues réfléchissent bien à la mise en œuvre d'un mécanisme de limitation des 'spreads' (écarts de taux) au sein de la zone Euro. Le patron de la BCE arrivera-t-il à faire en sorte que l'Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas lèvent leur veto, face au risque d'éclatement de la zone Euro ?

Joseph Leddet

Joseph Leddet

Joseph Leddet est économiste et consultant financier indépendant. Il intervient par ailleurs régulièrement dans les médias (presse écrite, radios, télévisions…), et il publie le bimensuel la « Gazette des Changes » depuis une douzaine d’années.

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Un récent article du grand quotidien allemand "Der Spiegel", daté du lundi 20 août, fustigeait le projet supposé de la BCE de se fixer des seuils d'intervention lorsque le "spread" (c'est à dire l'écart entre le taux d'un emprunt d'Etat de la zone "euro" et le taux équivalent d'un emprunt d'Etat allemand) dépasserait un certain niveau (par exemple, 2, 3, 4, 5, ou 6 %), et ce pour éviter notamment aux pays du Sud d'être étranglés comme actuellement par les marchés financiers.

Ce projet d'intervention - officiellement démenti par les responsables de la Banque centrale - se ferait par achat massif de dettes de l'Etat concerné, et ce de manière à décourager la spéculation.

Quel commentaire à ce propos ? Primo, il n'y a pas de fumée sans feu, et cette démarche de la BCE a de bonnes chances d'avoir été réellement envisagée au plus haut niveau de l'institution ; mais sans doute a-t-elle été caviardée en sous-main, peut-être par l'un de ses responsables germanophiles...

Secundo : saluons ici le courage de M. Draghi qui, à la différence de son prédécesseur,  M. Trichet, cherche vraiment  à prendre le taureau par les cornes pour désamorcer la crise ; mais il souffre à cet égard d'un triple handicap.

D'une part, cette crise en est aujourd'hui arrivée, près de trois ans après son démarrage, à un tel niveau de gravité qu'elle n'est plus du tout facile à enrayer ; c'est exactement comme un incendie, traité soit au départ du feu, soit lorsque des milliers d'hectares sont déjà la proie des flamme ; d'autre part, la technique prévue pour régler le problème (achat massif d'obligations souveraines sur le marché secondaire) est très lourde pour le bilan de la BCE, et donc pas forcément efficace, car limitée par principe en volume ; mieux vaudrait à cet égard intervenir sur le marché des CDS (Credit Default Swaps), produits dérivés qui mesurent la qualité d'un emprunt d'Etat, et instruments privilégiés de la spéculation, car dotés d'un effet de levier de l'ordre de 1 à 100 (ce qui veut dire qu'avec 10 000 euros investis on peut agir sur un million d'euros de dette), alors que l'achat ou la vente directe de titre ne comporte pas d'effet de levier (ou encore, ratio de 1 à 1).

Enfin, et c'est le principal, et nous allons y revenir, M. Draghi manque pour son action du soutien politique officiel de la majorité des Etats de la zone "euro", (ce qui le met en porte à faux vis-à-vis de son groupe de commanditaires) ; saluons en tout cas son courage dans cette affaire, car il est le seul à oser s'opposer au diktat germanique, à la différence de son prédécesseur, M. Trichet, responsable devant l'Histoire -de par son inaction notoire- de l'incendie économique, financier et social qui embrase notre Continent.

Tertio, l'Europe des 17 reste peu ou prou à la botte de Berlin ; à cet égard, pour ce qui concerne la France, on ne peut qu'être déçu par l'attitude de François Hollande ; son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, était surnommé par certains le "petit caniche d'Angela" ; il semble malheureusement que notre nouveau président lui emboîte de fait le pas ; comment ainsi ne pas être choqué que, le soir même de son investiture le 15 mai dernier, M. Hollande se soit envolé à Berlin pour porter ses lettres de créance à Mme Merkel ? (coïncidence significative : sur le trajet son avion, foudroyé par le Ciel, le force à rebrousser chemin).

Comment non plus ne pas être choqué de la convergence de vues entre les deux chefs d'Etat sur la nécessité d'administrer un remède de cheval à la Grèce, au risque de tuer radicalement le patient ?

Conclusion : les conseillers de notre président sont les mêmes que ceux de son prédécesseur, à savoir des figures et des caciques de l'establishment bancaire, à qui l'on ne peut rien refuser : tout est bon pour les banques, à qui la BCE délivre sans barguigner des centaines, voire des milliards d'euros ; par contre les autres (Etats, collectivités, PME, ménages) n'ont que leurs yeux pour pleurer, et cela n'a aucune importance : pourquoi donc M. Hollande ne provoque-t-il pas une vrai rupture avec la politique antérieure, en organisant une coalition de la majorité des Etats de la zone "euro" en vue de :

- réformer d'urgence les statuts de la BCE, pour la remettre enfin au service de l'Europe, de ses Etats et de son économie réelle ;

laisser en parallèle la BCE agir massivement sur les marchés des CDS pour tuer efficacement la spéculation ;

rendre ainsi à l'Europe son caractère d'Union européenne, pour contrer l'état de Désunion européenne imposé par nos voisins d'outre-Rhin.

Rappelons pour finir l'impudence de ces derniers; en effet le mercredi 23 novembre 2011, en plein milieu de  la crise de défiance touchant la zone "euro", l'Etat allemand avait été incapable de mobiliser en totalité six malheureux milliards d'emprunt sur le marché, et il avait dû alors faire acheter les deux milliards qui lui manquaient par la Bundesbank,  et ce contrairement à tous ses beaux principes. "Faites ce que je dis, mais ne faites pas de que je fais".

Un dernier mot : une telle démarche pourrait déboucher, au terme de quelques années, sur la mise en place d'"eurobond" communs à toutes la zone "euro" ; cette mise en place effective est aujourd'hui largement prématurée, mais c'est la politique de M. Draghi (défendre grâce à sa puissance de feu les titres de chaque Etat membre) qui est véritablement la bonne, juste, réaliste et efficace : "aidons-nous donc les uns les autres, au lieu de nous tirer dessus!". Et ce pourrait être là l'ébauche d'un nouveau SOE (Système obligataire européen), à l'instar du SME (Système monétaire européen) qui précéda de quelques années le lancement de l'euro, début 1999.

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