Comment la crise en Syrie révèle les lignes de fracture entre pays musulmans<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
"Je pense que ce sommet de l’OCI ne sert qu’à gagner du temps."
"Je pense que ce sommet de l’OCI ne sert qu’à gagner du temps."
©Reuters

Dissension

Le sommet de l'Organisation de la Coopération Islamique s'est tenu ce mardi à la Mecque, à l'initiative du roi d'Arabie saoudite. Si l'enjeu principal tourne autour de la crise syrienne, ce sommet risque néanmoins de mettre en avant le clivage entre la position de l'Iran et de l'Arabie Saoudite.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

Voir la bio »

Atlantico : A l'initiative du Roi d'Arabie Saoudite s’est tenu ce mardi le Sommet de l'Organisation de la Coopération Islamique à la Mecque. Il a été principalement question de la Syrie. Ce sommet ne risque-t-il pas de mettre au grand jour le clivage qui existe dans le monde musulman autour de la crise syrienne ?

Alain Chouet : Vous posez plusieurs problèmes dans la question. Le roi d’Arabie Saoudite, Abdallah, est d’une branche mineure de la famille Al Saoud originaire du nord de l’Arabie. Cette famille à des alliances matrimoniales avec le clan el-Assad de Syrie.

Depuis son accès au trône en 2005, Abdallah a voulu donner une dimension diplomatique à l’Arabie Saoudite, dans le but de sortir de la dépendance envers les Etats-Unis et de trouver des modus vivendi avec le grand concurrent régional qu’est l’Iran. Abdallah a une position très prudente vis-à-vis de l’Iran, il ne veut pas « mettre le feu » à la région. Sur ce point, il est en opposition avec d’autres membres de sa propre famille qui sont clairement dans une ligne d’affrontement avec la république islamique. 

Je pense que ce sommet de l’OCI ne sert qu’à gagner du temps. La situation va s’enliser, car les Iraniens ne sont pas pressés et resteront fidèles à la Syrie. Pourtant, l’Iran peut se passer de la Syrie. Le vrai enjeu reste le Hezbollah qui est installé au Liban. C’est un moyen pour Téhéran d’accéder au dossier palestinien et à toutes les autres questions du Proche Orient.

Pourtant, si le régime tombe en Syrie, la position de l’Iran et des chiites ne risque-t-elle pas d’être affaiblie dans la région ?

Il est encore très difficile de savoir ce qui risque de passer si le régime syrien tombe. Je pense que si Bachar el-Assad est renversé, on pourrait assister à plusieurs scénarios :

  • une guerre confessionnelle de type libanais (1975-1990),
  • la Syrie serait morcelée et on aurait un repli de la communauté alaouite sur les côtes maritimes du pays entre la Turquie et le Liban autour de deux grandes villes, Tartous et Lattaquié,
  • la constitution d’un axe chiite qui traverserait le Liban.

Je ne pense pas qu’on aurait un réel affaiblissement des chiites. Les alaouites ne sont pas vraiment des chiites. Ils se proclament chiites pour ne pas qu’on dise qu’ils ne sont pas musulman. La chute du régime déstabiliserait la région mais pas l’Iran.


L’Algérie pourrait voter contre la suspension de la Syrie de l'OCI. Comment peut-on expliquer cette position ?

La position de l’Algérie est évidente,elle révèle un problème interne à la ligue Arabe. Avant le début des révoltes du printemps arabe, il y a avait un certain équilibre au sein de la ligue entre les pétromonarchies du Golfe et les pays nationalistes arabes (Egypte, Libye, Syrie, Algérie).

Aujourd’hui les pétromonarchies du Golfe, grâce à leur argent et à l’appui des Etats Unis, contrôlent la ligue Arabe sans le contrepoids des régimes nationalistes qui se sont effondrés.

L’Algérie ne souhaite pas suspendre un pays de l’OCI ou de la Ligue Arabe sous prétexte qu’il n’a pas de bonnes relations avec les pétromonarchies du Golfe. L’Algérie, menacée par les islamistes, n’a pas de bonnes relations avec ces pays et craint d’être la prochaine sur la liste. Son veto est donc un message envers la nouvelle donne de la Ligue plutôt qu’un soutien au régime syrien. 


La crise syrienne n'est pas la seule source de discorde. En effet, l'Iran souhaite parler des troubles qui ont frappé le Bahreïn en mars dernier. Pouvez-vous nous en dire plus sur la question ?

Bahreïn a une place importante et on n’en parle pas assez. Il a une histoire emblématique. Cette ancienne colonie britannique est indépendante depuis 1971. Elle est peuplée à 85 % de chiites. Les anglais avaient pourtant décidé de mettre à la tête de cette petite île un sultan fantomatique de confession sunnite.

A l’indépendance, les Bahreïnis, qui étaient très « anglicisés », se sont dotés d’une constitution et d’un parlement élu démocratiquement. Toutefois, en 1975, les Saoudiens sont intervenus pour exiger l’abrogation de cette constitution, la dissolution du Parlement et le transfert de tous les pouvoirs à l’Emir.

Les Bahreïnis ne pouvaient pas résister, ils n’avaient pas de gaz et quasiment plus de pétrole. Les deux seules richesses de l’archipel étaient de détenir le siège de la Vème flotte de l’US Navy et le système bancaire off-shore qui permet aux Saoudiens d'effectuer des placements un peu opaques dans le monde entier. 

Le pays s’est donc retrouvé dans une monarchie de type saoudien. Les chiites n’ont pas du tout apprécié cette situation. Bahreïn connait des troubles depuis maintenant plusieurs années, le printemps arabe a permis de donner une plus grande dimension à ces révoltes que l’Iran s’est évidemment empressé d’exploiter mais qui ont été réprimées dans le sang par les chars saoudiens et émiratis venus au secours du régime.

L’Iran souhaite donc mettre en avant cette position saoudienne à l’égard de la population chiite de Bahreïn. Le silence médiatique dans lequel est sanctionnée la population de Bahreïn va contre « les principes » de l’Iran. Ce pays souhaite mettre la pression sur le symbole que représente l’île pour les populations chiites de la côte nord est de l’Arabie Saoudite. Le but de l’Iran est donc d’agiter cette zone pour importuner les Saoudiens.  


Quelles seraient les conséquences d'une aggravation des relations entre les confessions sunnites et chiites dans le monde arabe ?

Il est difficile de faire pire que ce qui se passe en ce moment. Mais ce n’est pas vraiment une « guerre » entre sunnites et chiites. Cette rivalité s’analyse surtout en une confrontation entre l’Iran « impérial » mais isolé et l’Arabie Saoudite et le Qatar qui disposent d’énormes moyens financiers et du soutien de l’Occident.

 Propos recueillis par Charles Rassaert

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !