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Donneur de leçons en chef, mais quel bilan pour l’Etat actionnaire ?
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On remet les compteurs à zéro !

Le ministre du Redressement productif a présenté mercredi en conseil des ministres son plan d'aide au secteur automobile, alors que PSA annonçait dans le même temps 819 millions d'euros de pertes au 1er semestre. Surprise, en mauvais pater familias, l’État privilégie Renault plutôt que Peugeot. Rien d'étonnant au regard de son bilan en tant qu'actionnaire...

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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L’État actionnaire est parfois accusé de négligences regrettables par la Cour des comptes : dans le cas du plan Montebourg sur l’automobile, un curieux paradoxe saute aux yeux. Ce sont bien certainement les véhicules de Renault (gamme électrique) qui vont profiter du dispositif élaboré, par opposition aux modèles de PSA même hybrides telle la DS qu’affectionne le Président Hollande.

L’État actionnaire frôle un certain penchant nommé favoritisme. Pourtant, en ces temps de grandes tensions budgétaires et de dette souveraine imposante, il est légitime de poser un regard analytique élargi sur l’État pris en sa qualité d’actionnaire. D’un côté, tout citoyen comprend qu’il s’agit d’une tâche ardue que de gérer les participations de l’État, de l’autre il attend légitimement des comptes des agents publics investis de cette noble tâche.

Partons – à titre exceptionnel – d’un point de fiction, si vous deviez vous présenter dans une banque privée avec un portefeuille de 132 millions d’euros pour un rendement de 7 millions (soit 5,3 %), des spécialistes avertis de chez Jean-Philippe Hottinguer ou de chez Neuflize OBC – par exemple - vous proposeraient sur le champ un audit patrimonial pour améliorer ce score.

Quittons la fiction pour énoncer les chiffres de l’Agence des participations de l’État : 134 milliards de chiffre d’affaires pour un résultat net de 7 milliards hors communication des chiffres consolidés de l’endettement des participations.

La première des difficultés du présent sujet est – hélas – relatif à l’endettement des participations de l’État. Si certaines structures ne posent pas de question, de grandes entreprises amènent des interrogations inquiètes voire vivaces. Le poids de la dette de Réseau Ferré de France (RFF) est important tandis que l’exhaustivité du passif social de la SNCF ne semble pas établi en fonction des dernières tables de mortalité qu’il convient d’utiliser. Autrement dit, loin d’une gestion en bon père de famille (le "pater familias"  du droit romain), le suivi de la dette des grandes entreprises publiques interpelle régulièrement la Cour des comptes qui ne reçoit en retour de ses observations que des circonvolutions certes talentueuses, mais peu porteuses de changement.

Quand verra-t-on un ministre dire à l’opinion le service de la dette de notre système de transport ferroviaire, en allant de la SNCF et de RFF mais aussi de la RATP et de certains segments du STIF (syndicat des transports d'île-de-France) ?

Il ne serait pas choquant que la Nation connaisse le coût de l’effet-TGV, qui a favorablement révolutionné la vie des citoyens depuis 30 ans. Le coefficient d’acceptation de cet effort - sur lequel nous tablons sans ambages - éviterait peut-être alors à certains ministres réputés avisés de vouloir geler en 2012 une liaison TGV fondamentale : Lyon-Milan. Le terme de politique de gribouille étant inutilement vexatoire, nous parlerons du jeu d’un acteur erratique qui va faire stopper des tunneliers au nom de quelques millions (ou milliards), là où le bilan coût-avantage (expression du Conseil d’État) montre que cette opération relève de la loi de Say : l’offre crée sa propre demande.

Il y a une demande pour un lien aisé entre Rhône-Alpes et le Nord efficace de l’Italie : le nier est absurde et aurait fait bondir le spécialiste des questions de transport qu’est le Doyen Pierre Bauchet (ancien Président de l’Université Paris 1 Sorbonne et membre de l’Académie des sciences morales et politiques). En démocratie, il paraît toujours choquant qu’un homme entouré d’un cabinet armé de stylos rouges gomment l’engagement de l’État et mutilent des projets d’avenir, alors que tout le monde sait que la reprise des travaux aura un surcoût considérable et qu’elle arrivera tôt ou tard : "whether you like it or not !" . Solitude naissante du pouvoir de Bercy et irrationalité économique et écologique de la décision sont la conclusion qu’impose la situation récemment annoncée.

Il y a donc des réflexions de sciences politiques à mener non pas tant sur la décision publique que sur les arbitrages financiers ou budgétaires.

Pierre Mendès-France a parfois été amené à expliquer à la Nation des choix douloureux mais positifs à long terme : pourquoi la bougie de son école de pensée vacille-t-elle à ce point ? Pourquoi n’aurait-elle pas la place et le rayonnement d’un phare comme celui majestueux de Cordouan ?

Évidemment, toutes les participations de l’État ne sauraient avoir le charme suave de la rentabilité de la Française des Jeux, mais convenons que des infrastructures bénéfiques méritent des sacrifices au nom d’une vraie conception de l’Europe.

Au demeurant, un exemple industriel de gel de crédits est connu : c’est celui du Rafale et là encore, la Cour des comptes a stigmatisé les dérives budgétaires du programme. L’État client prépondérant et - hélas à ce jour unique - peut aussi être erratique que dans la gestion de ses biens.

Ces illustrations démontrent sans risque de contradiction crédible que des dépassements de budgets proviennent de la manière technique dont les choix stratégiques et politiques sont appliqués in concreto.

Endettement réel, dérapages calendaires et financiers ne nous rapprochent pas de la gestion du "pater familias"...

Le secteur de l’énergie est vital dans un pays moderne : abordons quelques traits saillants de la gestion de celui-ci. Ceux que le Général de Gaulle aimait à appeler des "pisse-vinaigre" pourraient se précipiter sur les conditions de surveillance des comptes et actions du Comité central d’EDF : tel ne sera certainement pas notre propos. En revanche, il est pour le moins surprenant que le coût du démantèlement des centrales nucléaires en fin de vie n’ait objectivement pas reçu le traitement comptable qu’il convenait et qui selon certains experts s’imposait.

De même les activités d’Areva demeurent un casse-tête pour le sens commun. L’engagement dans la connectique (Fci) n’a pas été une heureuse idée, loin de là. A l’époque, on parlait même de faire coter ce « joyau » à New-York : no comment. Parallèlement l’EPR (réacteur pressurisé européen) est un outil complexe où le travail des scientifiques et des ingénieurs doit être respecté. Au plan de la gestion, le cas finlandais relève d’un abandon noxal. Ce terme issu du droit romain est utilisé lorsque le pater familias (l’Etat) abandonne son enfant à la vengeance de sa victime (la Finlande) pour un acte (malfaçons) commis par ce dernier. Cet abandon ne sera pas opérationnel puisque la construction se poursuit mais va coûter fort cher à notre pays. On peut affirmer, sans effet outrancier, que la gestion de la participation Areva a souffert de carences et méritera d’être stigmatisée devant le Tribunal de l’histoire atomique de notre Nation. On peut rater un contrat dans un pays pétrolier (après avoir même appelé Total en renfort…), on peut difficilement comprendre certains choix que les résultats comptables censurent sans détour aucun.

Évidemment, ces déconvenues récentes d’Areva font repenser aux coûts des restructurations de Creusot-Loire et Framatome ou aux dizaines de remise à plat du dossier Bull. Dans la même veine, l’Etat a mangé son pain noir dans le cas de la Régie Renault lourdement recapitalisée et progressivement redressée par un homme d’honneur et de vertu : Raymond Lévy. Des années plus tard, Renault est une machine de guerre des délocalisations (Roumanie et Maroc) et a utilisé le concept marketing éculé de marque ombrelle (Dacia). Le résultat est clair, voilà un constructeur qui produisait 1,1 million de véhicules dans l’hexagone il y a dix ans contre un peu moins de 400 000 l’an dernier. Même si l’État n’est plus actionnaire qu’à hauteur de 15% de Renault, peut-on se satisfaire de ce bilan humain, industriel et fiscal ? Constructeur de volume comme Volkswagen et potentiellement doté d’une marque haut de gamme (Volvo à l’instar d’Audi pour VW), Renault avait bien des atouts qui ont été dispersés depuis l’échec de la fusion avec les Suédois en 1988.

L’État actionnaire, même épaulé par des banques conseils, peine à être stratège : quel contraste entre ce ministre des Finances (Francis Mer) qui aura fait réaliser un joli coup de bourse en nous désengageant du capital du Crédit Lyonnais et un Premier ministre (Lionel Jospin) qui n’a pas voulu vendre un bloc conséquent d’actions de France Telecom lorsque l’entreprise bénéficiait d’une surcote historique lors de la bulle internet de la fin des années 1990. Ce refus de vente de FT et le refus de fonds de pension à la française furent deux décisions à inscrire au passif des décideurs publics : les quinze dernières années l’ont démontré.

S’il n’est parfois guère stratège, l’État sait se montrer tacticien. Le plan de relance du charbon de Pierre Mauroy des années 1981-1982 a été abandonné et la filière progressivement mise en désuétude opérationnelle. Par crainte de l’impact social, l’État et Charbonnages de France ont élaboré une tactique de désengagement qui aura représenté un coût conséquent per capita. Digne de certains volets du reformatage du GIAT.

L’État actionnaire n’a jamais réussi (ou voulu ?) élaborer un Miti (super ministère de l’industrie japonais) et parcellise les responsabilités. Tout n’est pas simple entre les Directions du Trésor et du Budget et l’APE (Agence des participations de l'Etat) présidée par le performant Jean-Dominique Comolli aussi fin chasseur à tir qu’habile négociateur. Son passé aux Douanes est probablement utile, mais l’est sûrement davantage son expérience de restructurations de la Seita en amont de la fusion (Altadis). Nul doute que ces apports seront précieux dans le délicat dossier Air France-KLM où la situation est complexe.

L’Etat actionnaire, par ailleurs, n’est pas infaillible et peut mêler argent et politique comme dans le cas de sinistre mémoire de l’affaire Elf. Dépassant ce mauvais souvenir collectif, il faut remarquer en conclusion que si l’État actionnaire appelle à un bilan plus que contrasté, les citoyens sont eux aussi confrontés à des contradictions. Personne, dans l’opinion publique, ne connaît ou ne veut croire que c’est la Cre (Commission de régulation de l’énergie) qui fixe le prix du gaz et considère que c’est le gouvernement qui est seul responsable. A quelques encablures de ce raisonnement, le citoyen ne veut pas que le président ou le gouvernement nomme les responsables de France Télévision : ils délèguent leur confiance au CSA (Conseil supérieur d'audiovisuel).

Entre les tenants du "capitalisme monopoliste d’État" (ministre Anicet Le Pors) et ceux du libéralisme débridé (Alain Madelin), l’État actionnaire tente d’optimiser son portefeuille d’activités avec des hommes compétents, mais des structures de décision trop plurielles. Alors que le plan Spinetta avait littéralement sauvé Air France, revoilà un dossier avec des milliers de sureffectifs et de multiples complications. Entre le premier plan et le plan d’Alexandre de Juniac, le monde a changé. Certes. Mais l’État a-t-il suivi la participation avec vigilance ou s’en est-il trop remis au bon discours de certains dirigeants ?

L’immense référence que demeure Marcel Boiteux disait que l’État devait laisser une marge de manœuvre à ses entreprises publiques. Manifestement Monsieur Proglio a su cultiver cette approche du temps du président qui l’avait fait nommer à la tête d’EDF. Pour notre part, nous avons toujours été impressionné par le niveau et la qualité du reporting interne chez Royal Dutch Shell. Ni suivi trop lointain, ni suivi trop tatillon : la recherche d’un équilibre.

La Nation pourrait avoir cette noble exigence vis-à-vis de l’État actionnaire qui, en bon pater familias, connaît forcément l’adage : In medio stat virtus (La vertu est éloignée des extrêmes).

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