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Avis à la Syrie... Le très douloureux accouchement de la démocratie irakienne
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Zone d'expérimentation

L'Irak a été frappée par une série d'attentats lundi faisant plus de 100 morts. Tous revendiqués par Al-Qaïda, ces crimes seraient un moyen de créer des dissensions confessionnelles. Neuf ans après la chute de Saddam Hussein, l’Irak se cherche toujours.

Karim Sader

Karim Sader

Karim Sader est politologue et consultant, spécialiste du Moyen-Orient et du Golfe arabo-persique. Son champ d’expertise couvre plus particulièrement l’Irak et les pays du Golfe où il intervient auprès des entreprises françaises dans leurs stratégies d’implantation et de consolidation.

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Dans un espace arabo-musulman en pleine recomposition, plus d’un an après l’avènement des « printemps arabes » qui ont entraîné dans leurs sillages la chute de régimes autoritaires que l’on croyait inamovibles, qu’advient-il de l’Irak dont la situation actuelle paraît quelque peu occultée par les médias ? Car à l’exception des violences, relayées chaque mois dans une presse se contentant d’en dénombrer les victimes – comme en témoigne la série d’attaques meurtrières qui a frappé lundi l’ensemble des grandes localités du pays – force est de constater le peu d’analyses qui circulent quant à l’évolution d’un Irak pourtant présenté comme un « laboratoire de la démocratie » dans la région, près d’une décennie après le renversement de la dictature de Saddam Hussein, dans les semaines qui suivirent le déclenchement de l’offensive militaire américaine de mars 2003.

Si la délicate phase de transition entamée dans les différents théâtres de contestation de 2011 – Tunisie, Egypte, Libye, Yémen,… – semble davantage préoccuper l’opinion internationale, tout comme le triste sort de la Syrie aujourd’hui en proie aux exactions du régime de Bachar el-Assad et au spectre d’une guerre civile, un regard plus approfondi sur le cas irakien présente pourtant de très précieux éclairages quant aux possibles débouchées des révoltes arabes.

Parmi ces premiers enseignements, il y a l’inévitable question du prisme confessionnel dont l’Irak peine à se débarrasser. Dans une région cherchant à sortir de l’alternance entre régime autoritaire « laïc » et péril intégriste au profit de l’instauration d’un véritable Etat de droit – comme l’ont révélé, l’an dernier, les aspirations d’une jeunesse arabe frustrée de participation politique et de bien-être économique – l’Irak se cherche toujours désespérément cette « troisième voie ». Certes, le retrait des troupes américaines, achevé en décembre 2011, a consacré le retour du pays vers sa pleine souveraineté, mettant fin à 105 mois d’occupation militaire ayant coûtées la vie à 4.474 GI’s et plus de 120.000 civils irakiens – et dont le bilan économique avoisine les 800 milliards de dollars. Mais c’était sans compter l’échec du délicat processus de réconciliation entre les différentes communautés, aujourd’hui plus divisées que jamais.

Ironie de l’Histoire, après 34 années de règne sans partage du Baath dominé par la minorité Sunnite qui réprima par le sang les Chiites majoritaires (60%), sans oublier les Kurdes (18%) gazés par centaines de milliers à la fin des années 1980, c’est une dictature inverse qui semble s’être installée à Bagdad, celle du premier ministre chiite, Nouri al-Maliki, dont le penchant autoritaire n’a rien à envier à celui d’un Saddam. Fin stratège, le nouveau maître de l’Irak, dont le clan contrôle l’ensemble des forces de sécurité ainsi que le très stratégique secteur pétrolier (près de 143 milliards de barils de réserves prouvées), aura su s’imposer aux yeux des Etats-Unis, comme un véritable homme de compromis capable de remettre le pays sur pieds après plusieurs décennies de conflits et d’embargo. Il faut dire qu’à la droite d’Al-Maliki, sur l’échiquier politique local, il y a le spectre des partis intégristes chiites inféodés à l’Iran, dont le plus emblématique est le mouvement de Moqtada Sadr qui aspire à l’instauration d’une théocratie à l’iranienne.

Quant aux sunnites de plus en plus marginalisés sur le plan politique par les manœuvres d’intimidations du clan Al-Maliki, leur marge de manœuvre semble se réduire comme peau de chagrin, n’ayant d’autres recours que de se tourner vers Al-Qaïda et sa branche locale –  « l’Etat Islamique d’Irak » – qui cherche à s’imposer comme l’unique porte-drapeau de la minorité jadis dominante sous Saddam. Dans le collimateur des terroristes, toujours très actifs dans le pays comme l’a démontré la vague d’attentats de ce début de Ramadan (plus de 100 morts et 218 blessés), il y les forces de sécurités accusés d’être la botte du pouvoir à Bagdad, puis les miliciens d’Al-Sahwa – ces anciens djihadistes sunnites qui avaient fait le choix de se retourner en 2007 contre la nébuleuse terroriste en s’alliant aux troupes américaines du général Petraeus – et, surtout, les membres de la communauté chiite, considérés comme des « hérétiques » à la solde de la Perse voisine.

De son côté, la communauté kurde s’efforçant de jouer les arbitres du clivage entre sunnites et chiites, a profité de ces divisions pour asseoir progressivement son autonomie dans le nord du pays. Mais les revendications territoriales de la minorité sur la riche province pétrolière de Kirkuk, doublées de litiges énergétiques qui l’oppose à l’Etat central, ont fini par générer de graves tensions entre Erbil et Bagdad, ajoutant à la ligne de fracture confessionnelle, une dimension ethnique à travers l’antagonisme arabo-kurde.

Tous ces éléments rendent l’Irak d’autant plus vulnérable aux turbulences de la géopolitique régionale, et il s’agit là d’un autre enseignement important à tirer de l’expérience irakienne. Car faute d’être parvenu à installer une véritable démocratie transcendant les clivages communautaires, Bagdad est devenue l’une des principales caisses de résonances de la « guerre froide » régionale que se livrent l’axe chiite mené par l’Iran – dont l’Irak constitue l’une des pièces maîtresses depuis la prise de pouvoir des chiites en 2003 – face au front sunnite conduit par les pétromonarchies du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, suivie de la Turquie sunnite qui ne cache plus ses prétentions « néo-ottomanes » dans la région. Ces derniers affichent ouvertement leurs soutiens à des sunnites d’Irak dont les appétits autonomistes au centre et à l’est sont d’autant plus palpables qu’ils s’inspirent à la fois de l’expérience kurde dans le Nord, ainsi que du soulèvement  de leurs coreligionnaires syriens qui tentent de renverser le pouvoir alaouite – une secte chiite – à Damas, mettant en exergue le risque bien réel d’une partition de l’Irak.

Ainsi, à la lumière du cas irakien, l’on peut d’ores et déjà s’interroger sur l’issue potentielle des « printemps » du Moyen Orient, et plus particulièrement en ce qui concerne la crise syrienne qui retient actuellement toutes les attentions, à l’heure où la chute du régime d’Assad semble inévitable. Comment dès lors envisager une possible cohabitation entre la minorité alaouite et la majorité sunnite qui ambitionne de prendre le pouvoir après moins d’un demi-siècle de joug baathiste ? Quid du sort réservé à la communauté chrétienne à l’aune de la triste destinée des chrétiens d’Irak, victimes de persécutions et contraints à l’exil ? Enfin, sur le plan géostratégique, l’Iran et ses alliés irakiens resteront-ils passifs face au renversement de leur partenaire syrien qui entraînerait de facto la rupture du « croissant chiite », cet axe stratégique qui s’étend de la Caspienne à la Méditerranée, reliant le régime des Mollahs au Hezbollah libanais, en passant par Bagdad et Damas ? Ne se dirige-t-on pas vers une possible partition de la Syrie qui verrait la création d’un Etat alaouite autour de Lattaquié, garantissant ainsi la survie des intérêts russe et iranien ?

Quoiqu’il en soit, l’expérience irakienne demeure un cas d’école devant conduire à modérer davantage l’enthousiasme parfois angélique qu’ont inspiré les « printemps arabes », et ce, au profit d’une lecture des enjeux géopolitiques qui en découlent.  

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