En organisant des soirées religieuses, Bertrand Delanoë fait entorse à la loi de 1905<!-- --> | Atlantico.fr
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Bertrand Delanoë défend cette "Nuit du ramadan" en assurant qu'il s'agit d'une fête culturelle qui ne correspond "à aucune fête musulmane".
Bertrand Delanoë défend cette "Nuit du ramadan" en assurant qu'il s'agit d'une fête culturelle qui ne correspond "à aucune fête musulmane".
©Reuters

Laïcité fermée

La mairie de Paris organise ce samedi une Nuit du ramadan, avec concerts et repas de rupture du jeûne. Est-elle dans son rôle en finançant une soirée à composante religieuse ?

Gilles Alayrac

Gilles Alayrac

Gilles Alayrac est conseiller de Paris et du 15e arrondissement. Il est également secrétaire national du Parti radical de gauche.

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Atlantico : La mairie de Paris organise ce samedi, comme chaque année depuis 2001, une Nuit du ramadan. Cette initiative vous choque-t-elle ?

Gilles Alayrac : Dès le début, nous avons dénoncé cette manifestation organisée par l'équipe en place, car on a toujours considéré qu'elle était un peu limite par rapport à la laïcité. Notre opinion n'a pas évolué sur ce point. C'est vrai qu'il s'agit d'un concert, donc d'une manifestation culturelle, mais il n'en demeure pas moins qu'il est calé sur un calendrier cultuel.

La mairie se défend en assurant qu'il s'agit d'une fête culturelle qui ne correspond "à aucune fête musulmane". Cet argument est-il tenable ?

Elle est culturelle, l'équipe en place à raison de le dire. Mais le choix de la date correspond bien à un évènement particulier qui se rattache à l'exercice d'un culte : le ramadan. Ce concert est calé au début du ramadan, pas à une autre période. Les Radicaux sont donc réservés sur l'organisation de cette manifestation, qui n'est pas pour tous publics. A ce titre, nous n'y participons pas.

La mairie propose après le concert un "iftar léger", c'est-à-dire un repas de rupture du jeûne. Ne sort-on pas là du cadre culturel ?

C'est un savant habillage qui mêle effectivement le culturel et le cultuel. On a une façade qui témoigne d'un évènement banal, mais en réalité il ne l'est pas tellement, car il est destiné à un public particulier. C'est pour cela que je disais qu'on est limite.

Concrètement, pourquoi l'organisation de cette soirée vous gêne-t-elle tant ?

Elle est à la limite de ce qui peut constituer une entorse à la laïcité, car . A cet égard, nous attendons la mise en place d'un Observatoire de la laïcité, qui sera municipal. Les Radicaux l'ont proposé et Bertrand Delanoë nous a assuré qu'il sera créé dans l'année. C'est exactement pour ce type de manifestations que nous avons besoin de l'avis éclairé d'une autorité indépendante.

La ville organise également des soirées pour Hanouka, Vesak, etc. Est-elle dans son rôle en organisant ces soirées, et êtes-vous aussi vindicatifs contre chacune d'entre elles ?

Nous n'avons pas du tout un tropisme anti-musulmans. Nous sommes tout à fait impartiaux, au dessus de tout cela, et nous dénoncons toutes les entorses à la laïcité, quelque soit le culte concerné. De ce point de vue là, toutes les manifestations où il y a une participation de la ville, que ça soit par le prêt d'un local, une subvention, etc., pour toute religion que ce soit, lorsqu'elle concerne l'espace public, est à proscrire. La célébration des fêtes juives dans certaines mairies d'arrondissement ou le prêt de gymnases est quelque chose que nous condamnons aussi.

Ce n'est pas le rôle d'une collectivité locale, il doit y avoir une séparation complète entre le spirituel et le temporel. C'est indispensable, et on a toujours été avec Bertrand Delanoë sur ce mélange des genres. Mais nous n'avons rien contre les musulmans, et lorsqu'on nous interpellons le maire de Paris, nous le faisons de manière équitable et honnête intellectuellement.

N'y-a-t-il pas un intérêt public local d'animation ? Ne peut-on pas trouver un compromis, pour le bien du "vivre-ensemble" ?

La difficulté, c'est que si vous l'accordez à quelqu'un, vous êtes obligés de l'accorder à tout le monde. Où s'arrête la laïcité ? Si vous accordez une faveur, un avantage à une religion, il n'y a aucune raison que les autres ne l'obtiennent pas si elles le demandent. Le Conseil d'Etat a reconnu que les Témoins de Jéhovah – que les Radicaux de gauche considèrent comme une secte – sont une religion. Donc, si les Témoins de Jéhovah demandent une faveur, ils devront l'obtenir. C'est une spirale tout à fait inquiétante et je crois donc que nous avons besoin de l'avis éclairé d'un Observatoire de la laïcité. C'est un vœu que j'avais fait adopter au Conseil de Paris en 2007 ou 2008, il est donc temps qu'il voit le jour.

Quel est l'intérêt pour vous d'un Observatoire, alors que votre position est de tout simplement bannir toute faveur aux cultes ?

Il présente une utilité, car il permettrait d'entendre une position qui n'est pas la notre. Quand nous sommes sur une position réticente concernant une décision de l'exécutif municipal, nous ne sommes ni consultés, ni même informés. Par exemple, je n'ai pas été invité à cette célébration du ramadan. Autre exemple : il y a quelques années, une séance du Conseil de Paris a été déplacée car il y avait Kippour, et nous n'avons reçu aucune explication. L'Observatoire permettra à l'équipe municipale, quand elle voudra prendre une telle décision, de s'expliquer. Car aujourd'hui, on est à chaque fois mis devant le fait accompli.

Quelles sont les autres entorses à la laïcité que vous dénoncez à Paris ?

Ce qui nous pose le plus de difficultés, c'est les subventions aux crèches juives Loubavitch, que nous ne votons pas. Ce sont des établissements privés gérés par des associations cultuelles, qui ont une caractéristique particulière : jusqu'à récemment, ils n'acceptaient pas tous les petits Parisiens et opéraient une sélection sur critère religieux. Depuis deux ans, un système est en train d'être mis en place pour que le financement public soit soumis à certaines conditions, notamment l'acceptation de tous les enfants et l'ouverture tous les jours ouvrables, ainsi que la suppression des signes religieux distinctifs à l'intérieur. Des efforts ont été accomplis, mais la situation n'est pas encore satisfaisante.

Nous sommes également extrêmement dubitatifs sur le centre culturel islamique qui a vu le jour dans le 18e arrondissement. Il semblerait que d'un point de vue juridique, il y a un cloisonnement précis entre la partie culturelle et la partie cultuelle, mais je reste réservé, car il n'en reste pas moins qu'on célèbre des fêtes religieuses dans un édifice municipal. Les Parisiens ont financé, à l'encontre de la loi de 1905, un édifice à vocation religieuse.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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