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Scandale du Libor :
est-il vraiment impossible de faire confiance aux banquiers ?
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Non coupables

La banque Barclays a admis avoir manipulé le taux interbancaire Libor durant la crise financière. Cette révélation a mis au jour un scandale qui pourrait impliquer des dizaines d'établissements et se chiffrer à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Mais le fonctionnement même du Libor laissait peu de choix aux banquiers...

Paul Jorion

Paul Jorion

Paul Jorion est Docteur en Sciences sociales et enseignant. Il a aussi été trader et spécialiste de la formation des prix dans le milieu bancaire américain.

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Peut-on faire confiance à un banquier ? C’est en effet la question que l’on est obligé de se poser à la lumière de l’« affaire du Libor » qui a éclaté en avril 2008 et qui a connu un rebondissement dramatique quatre ans plus tard, le 27 juin dernier, quand fut rendue publique la condamnation de la banque britannique Barclays à s’acquitter d’une amende au montant exceptionnel, équivalent à 365 millions d'euros,pour avoir manipulé la famille de taux appelée Libor à la détermination desquels la Barclays participe quotidiennement aux côtés de 15 autres banques à l’époque des faits, et de 17 autres aujourd’hui.

Le processus de détermination de ces taux Libor, valant pour les prêts en dollars, consiste à contacter quotidiennement un certain nombre de banques, à leur demander quel est le taux que réclament d’elles les autres banques pour lui prêter à différentes échéances de courte durée (un mois, trois mois, six mois, un an) et à fusionner cette information en éliminant les valeurs mentionnées les plus extrêmes pour produire un taux qui fera alors référence comme étant le taux flottant déterminé par « le marché ». Un prêt à la consommation pourra par exemple être défini comme étant « LIBOR 6 mois plus 50 points de base », un point de base étant un centième d’un pourcent.

Ce qui est exigé des banques consultées dans la détermination du Libor est très loin d’être indifférent de leur propre point de vue, l’information demandée étant en fait extrêmement sensible. La raison en est celle-ci : le taux exigé d’une banque pour lui prêter comprend une prime de risque - qui peut constituer quand les choses vont mal, la part prépondérante de ce taux - reflétant de manière généralement assez fidèle le degré de confiance que lui accordent ses prêteuses quant à sa capacité, non seulement de rembourser la somme empruntée, mais aussi de verser les intérêts qui ont été promis contractuellement. Plus la perception est forte qu’il existe un risque de non-remboursement, plus la prime incluse dans le taux réclamé sera élevée.

En étant entièrement franche quant aux taux d’intérêt qu’on exige d’elle pour lui prêter, une banque révèle donc la confiance que lui accordent ses consœurs. La question pourrait être relativement indifférente, si n’existait un instrument financier dérivé appelé Credit-default Swap (CDS) qui permet à un prêteur de s’assurer contre le risque de non-remboursement mais que peut également acquérir un simple spéculateur pour parier sur la détérioration de la situation financière d’une firme, permettant que si elle semble en difficulté, ses concurrentes auront la possibilité, non seulement de parier sur sa chute mais aussi, ce faisant, de provoquer celle-ci (cela s’est vu en particulier en 2008). La raison en est que les marchés (et la « science » économique) considèrent qu’un pari – bien que motivé uniquement par le profit – constitue cependant une appréciation neutre d’un risque objectif. Il est donc essentiel pour la survie d’une firme en difficulté qu’elle dissimule autant que possible la valeur exacte des taux qui sont exigés d’elle par les contreparties disposées à lui prêter.

Dans un contexte comme celui de la détermination des taux Libor, une banque partie prenante au mécanisme se trouve, lorsque le contexte économique se détériore, dans la situation absolument ingérable de déclencher sa propre disparition au cas où elle serait honnête dans l’information qu’elle soumet à la British Bankers’ Association (BBA), responsable de la centralisation des données : en révélant que la prime de risque exigée d’elle par les consœurs qui lui prêtent augmente, elle présente sa jugulaire à ses concurrentes qui voudraient parier sur sa perte. Peut-on alors lui reprocher de mentir, quand on sait que dire la vérité provoquerait immanquablement sa perte ?

On aura donc compris que la manière dont avait été défini le mécanisme de détermination du Libor contenait une erreur logique flagrante : elle encourageait les firmes impliquées à mentir aussitôt que le contexte économique cessait d’être optimal. Ceci souligne que – comme c’est malheureusement le plus souvent le cas en finance – la question n’avait été que très imparfaitement conceptualisée par les intervenants, confirmant une fois encore que l’incompétence des financiers constitue dans la plupart des cas un péril plus sérieux que leur volonté délibérée de nuire. Nous trouvons bien entendu beaucoup plus excitant d’invoquer la malveillance des intervenants plutôt que d’être forcé de constater leur stupidité, les faits n’en demeurent pas moins les faits.

Est-ce à dire que l’on ne peut jamais faire confiance à un banquier ? La réponse, à la lumière de l’« affaire du Libor », semblerait être oui. Mais le cadre au sein duquel les taux Libor sont déterminés met les banques dans une situation impossible lorsque la situation économique se dégrade puisque dire la vérité signifie pour elles compromettre leur existence-même.

Vaudrait-il mieux alors reconnaître honnêtement notre incapacité à conceptualiser correctement les problèmes qui se posent en finance ?

Dans le cas du Libor, la question à laquelle doit répondre la banque interrogée dans le cadre de la détermination du taux est : « Quel taux les autres banques (« le marché ») exigent-elles de vous ? » En offrant une réponse, cette banque soit dit la vérité, soit elle ment. Dans le cas de l’Euribor, les taux s’appliquant à l’euro, la question posée aux participants est différente : « Quel est le taux interbancaire exigé par une banque de qualité d’une autre banque de qualité ? » Il est clair que dans ce cas-ci, à la question : « Avez-vous dit la vérité ou menti ? », la réponse sera toujours la même : « J’ai cru dire la vérité mais si je ne l’ai pas dite, ce n’est pas parce que j’ai menti : c’est simplement que j’étais mal renseigné ! ». Il n’y aura jamais de fraudeur, seulement des incompétents.

Cela vaudrait-il mieux ? J’en doute : c’est dans l’esprit de cette philosophie particulière que l’on a modifié au cours des années récentes le droit des affaires : la fraude est désormais exclue, il n’y a plus que des maladroits – et dont le bonus est garanti par contrat. Voyez la faillite de la banque franco-belge Dexia pour un exemple récent.

La question doit donc être posée en d’autres termes : pourrait-on faire confiance à un banquier si on ne l’obligeait pas à se suicider s’il disait la vérité ?


Addendum :
Atlantico : Le géant bancaire britannique HSBC a reconnu des "défaillances" et présenté publiquement ses excuses mardi devant le Sénat américain pour avoir manqué de vigilance face à de possibles opérations de blanchiment d'argent. Après le scandale du Libor, peut-on dire que la HSBC est la banque la moins digne de confiance ?

Paul Jorion : Non, cela concerne surtout un embargo américain sur les transactions avec l'Iran. Il y a aussi des liens avec les narcotrafiquants mexicains, mais c'est surtout politique : on oblige les banques à suivre la politique étrangère américaine.
La HSBC s'est mouillée dans de l'argent sale lié au trafic de la drogue, mais ça n'est pas du même genre que l'histoire du Libor. C'est une affaire plus classique, où on interdit aux banques certains types d'opération. Ca n'a aucun lien avec la crise : des affaires comme cela datent des années 50. Si on avait pu montrer qu'ils avaient utilisé l'argent de la drogue pour masquer leurs pertes liées à la crise, il y aurait eu un lien ; mais là non.

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