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Avec Jean-Marc Ayrault, l’adaptation au réel,
ça n’est pas maintenant !
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Utopie

Si le nouveau Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait voulu conforter les pires caricatures que la droite fait, depuis quarante ans, de la gauche, il ne s’y serait pas pris autrement que dans son discours de politique générale du 3 juillet.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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L’émergence d’une  nouvelle génération de technocrates socialistes, issus de Terra Nova,  familiers du Siècle et même, pour certains, du Cercle de Bilderberg n’a laissé aucune trace dans la feuille de route du nouveau gouvernement. Le Parti socialiste retourne aux grands classiques. Les Français n’en ont déjà retenu que plus de fonctionnaires et plus d’impôts.

Les créations de postes sont égrenées de manière aussi monotone qu’inquiétante, d’abord dans un certain nombre de secteurs-clé : l’Education nationale, bien sûr mais aussi la police, la gendarmerie,  la justice, auxquels s’ajoutent 150 000 emplois dits d’«avenir » pour les jeunes (que les collectivités locales finissent généralement  par titulariser). L’application assouplie de la règle de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ne reposera que sur des ministères non prioritaires comme la défense, et pour cause : presque rien dans le discours d’Ayrault sur  la politique étrangère et les menaces qui planent aujourd’hui  sur le monde.

En regard de ces recrutements, une solide couche d’impôts nouveaux : 7 milliards tout de suite, bien plus à la rentrée. Contrairement à ce qui est annoncé, ils n’épargneront pas les classes moyennes (instauration d’une tranche à 45 %), ni même populaires (les heures supplémentaires redeviennent  imposables).  

Tout cela se comprendrait si, comme il arrivait au temps béni des trente glorieuses, un nouveau gouvernement de gauche, disposant d’une vraie marge de manœuvre, avait trouvé une France sous-imposée et sous-équipée en services sociaux ou insuffisamment solidaire. Mais nous n’en sommes plus là !  La contrainte européenne que le Parti socialiste ne remet pas vraiment en cause, se fait de plus en plus rigoureuse. Il était déjà très difficile de rester au-dessous d’un déficit de 4,5 %  en 2013 ou de rétablir l’équilibre d’ici 2007 : ce  sera plus difficile si on charge encore la barque.  Même si certains aménagement fiscaux corrigent de réelles injustices, ce n’est pas au profit de contribuables qui payent trop : ces corrections aboutissent seulement à alourdir la charge globale ; la France est déjà, avec  des dépenses publiques à hauteur de  56 % du PIB, en dehors sans doute de la Corée du Nord, le pays le plus socialisé du monde. C’est  un bien mauvais service que le gouvernement  rend  à notre pays en aggravant encore ce poids. D’autant que l’expérience montre que  ces hausses sont généralement irréversibles, une marche avant sans marche arrière.

Même contradiction en matière industrielle. On peut facilement se gausser du titre ronflant  d’Arnaud Montebourg, ministre  du Redressement productif : après tout,  l’ambition est louable – et même nécessaire. Mais elle est contredite par toutes les mesures qui vont au contraire rendre ce  redressement plus difficile : hausse de la fiscalité des entreprises (spécialement celle des PME qui produisent en France, les multinationales qui financent les clubs socialistes y échappant), maintien dans l’euro, suppression de la TVA sociale (seul succédané possible, si on veut maintenir la compétitivité, à une sortie de l’euro). La banque publique d’investissements est bienvenue mais n’existe-t-elle pas déjà ? Les efforts promis de recherche aussi, mais ils n’auront pas d’effet immédiat. Au moment où les annonces de plans sociaux et  de fermetures d’usines se multiplient, la nomination de Louis Gallois, homme symbole et très estimable, comme commissaire aux  investissements, ne rappelle-t-elle pas, toutes proportions gardées, le recours illusoire à un maréchal de France dans le désastre de 1940 ? Le contraste entre le volontarisme affiché et l’aggravation de tous les handicaps macro-économiques du pays a quelque chose de pathétique. Montebourg va souffrir, lui qui avait eu le courage de poser le problème de la  compatibilité entre le socialisme et le mondialisme.

Le volontarisme est plus à sa place en matière de logement social, où la contrainte de la compétitivité n’existe pas mais survivra-t-il  à la contrainte financière ?

On ne pleurera pas sur la surimposition des banques ou des sociétés pétrolières, pas davantage sur la suppression d’avantages indus accordés aux Français de l’étranger en matière scolaire.

L’annonce de la réduction de la part du nucléaire dans la consommation d’électricité est un pur symbole : ou le nucléaire est dangereux et il faut le supprimer tout de suite, ou il ne l ‘est pas et il faut le maintenir. Mais, même non suivie d’effet, cette annonce nuira gravement à la crédibilité d’Areva.

Même marche à rebours en matière d’administration territoriale : certes, personne ne regrettera  le conseiller territorial, inutile hybride d’une inutile réforme Sarkozy, en partie abrogée, mais au moment où l’opinion supporte de moins en moins l’inflation d’une administration locale dispendieuse, faut-il en remettre une couche avec un nouveau train de décentralisation ?  Et laisser proliférer la jungle de l’intercommunalité ?

Une reprise de 1981, l’espérance en moins

En définitive, tout cela ressemble dramatiquement à une reprise de 1981 : on annonçait alors, complètement à contre-courant, la relance de la filière charbonnière, pour mieux la démanteler plus tard. Et avec son allure faussement rassurante de prof de gym, Jean-Marc Ayrault, au milieu d’un gouvernement d’énarques branchés, n’évoque-il pas une époque désormais révolue de l’histoire du socialisme ?  

Le Premier ministre a donné beaucoup de chiffres. Du « qualitatif » des politiques, on ne saurait attendre grand-chose. Comme il arrive depuis trente ans, la hausse des emplois publics et des impôts , vrai tonneau des Danaïdes, est l’inutile remède à des politiques vicieuses : créer des emplois  d’avenir et recruter au Pôle emploi ( comme la droite l’avait d’ailleurs déjà  fait) est une mauvaise réponse à la montée du chômage qui découle d’abord de la politique monétaire suivie depuis 1992, poursuivie avec l’euro fort – et aussi de l’afflux de jeunes générations d’immigrés - , mettre  plus d’enseignants dans le primaire évite de remettre en cause des méthodes pédagogiques absurdes, recruter plus de policiers et de juges est rendu nécessaire par le laxisme de la politique pénale etc. Les remises en cause idéologiques de ces dérives ne sont pas venues de la droite ou si peu ; elles viendront encore moins de la gauche qui en est à l’origine. Plus que jamais la dépense publique est incantatoire et non point résolutoire. 

Tout aussi incantatoire et typique de ce social mal distribué qui exaspère tant les Français est le retour à la gratuité totale de l’Aide médicale des étrangers (en situation irrégulière), au moment où 7 millions de salariés doivent rogner sur leurs dépenses de maladie ; en outre, cette mesure ne pourra que relancer la pompe aspirante de l’immigration. Même si le gouvernement ne dispose pas de la majorité des deux tiers au Congrès pour réviser la Constitution pour le concrétiser, le projet du droit de vote aux étrangers non européens aura le même effet.

Le mariage et le droit d’adoption homosexuels sont annoncés sobrement mais clairement. L’évidence qu’ils revêtent dans certains milieux libertaires  dominants à gauche et dans les médias contraste avec l’évidence contraire dans d’autres milieux, moins homophobes que rétifs à une remise en cause radicale, sur un sujet anthropologique fondamental, de l’héritage judéo-chrétien. Les Etats-Unis sont quasi en guerre civile sur ce sujet.  Il n’est pas sûr que le gouvernement mesure à quel point ce projet, totalement étranger à l’héritage de la gauche française, va diviser en profondeur le pays.

Mais là aussi, on est dans le monde des symboles : les socialistes sont, beaucoup plus que la droite, propres à manier les symboles politiques : le mariage homosexuel , les 60 000 postes de l’Education nationale, comme la baisse de la TVA sur le livre, le droite de vote des étrangers et même  la retraite à 60 ans ne sont pas des solutions à des problèmes réels (comme peuvent l’être par exemple les 150 000 logements sociaux promis), ce sont des symboles – dont certains coûteront  cher.

Non seulement ce gouvernement  n’est porté, à la différence de  celui de 1981, par aucun commencement d’espérance, mais même, confusément, il fait peur. Parce qu’il ne résulte d’aucune évolution de l’opinion vers la gauche, au contraire[1], mais aussi  parce qu’il semble terriblement déconnecté du réel : des  contraintes économiques et surtout des aspirations réelles des Français. Les vicissitudes de l’histoire font que dans presque [2] tous les domaines,  - pédagogie, justice, lourdeur des dépenses publiques, assistanat désordonné, immigration- intégration, c’est à des réformes « de droite »  que les Français aspirent. Sarkozy n’a été sanctionné que pour ne les avoir pas faites, ou si mal. Ces réformes, le gouvernement Ayrault leur tourne le dos. Comme disait le regretté  Philippe Muray, «  le réel  est remis à une date ultérieure. »



[1] Les résultats du premier tour des présidentielles montrent que la droite a progressé depuis 2007. Les  2,1 millions de vote blancs du second tour, venus en grande majorité de la droite, ont été fatals à la réélection de Nicolas Sarkozy.

[2] En matière de maintien  des services publics, les Français aspirent au contraire à une politique de gauche, quoique la gauche française n’ait jamais été en reste  pour les démanteler.

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