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Suicides chez France Télécom : attention à ne pas réduire les responsabilités d’un gâchis humain au seul Didier Lombard
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Friture sur la ligne

Didier Lombard, l'ancien PDG de France Télécom a été mis en examen mercredi dans l'affaire des suicides de l'entreprise. Il doit répondre des dommages causés par le volet "Time to move" du Plan NExT initié en 2006, qui a organisé le harcèlement moral des employés de la firme, les poussant parfois jusqu'au suicide.

Gérard  Doublet

Gérard Doublet

Gérard Doublet est conseiller en ressources humaines et management des organisations. Il est diplômé ès-lettres de l'Institut de Sciences Politique de paris et a un DEA en sociologie des organisations.

Il a co-écrit en 2010 Orange : le déchirement : France Télécom ou les dérives du management avec Bruno Diehl et Dominique Dumand aux Editions Gallimard. 

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Atlantico : Didier Lombard, l'ancien PDG de France Télécom a été mis en examen mercredi pour harcèlement moral par le juge chargé de l'enquête sur la vague de suicides qui a sévi dans l'entreprise. Mais peut-on réellement le considérer comme seul responsable des dérives managériales de France Télécom, comme semblent l’accuser les employés et maintenant la justice ?

Gérard Doublet : Il faut éviter de stigmatiser Didier Lombard, mais il est vrai qu’en 2008 le plan Next contenait un volet dédié au ressources humaines baptisé « Time to move » qui avait pour dessein d’amener la direction du groupe à contraindre les employés à changer de poste, de région et de site industriel. Ce grand chambardement a mis une très forte pression sur les effectifs et les managers en charge des équipes. Ces derniers suivaient des séminaires qui leur expliquaient comme pousser leurs collaborateurs à donner leur démission.

Ce processus était organisé de façon collective par Didier Lombard, mais aussi par le directeur des ressources humaines de l’époque Olivier Barberot – concerné dès ce vendredi par une mise en examen. A travers une politique des ressources humaines soucieuse de réduire les effectifs, on a malmené les personnels de France Télécom.

Les suicides n’ont donc été que les dommages collatéraux d’une politique de licenciement qui ne disait pas son nom ?

Les dommages collatéraux ont été tous ces personnels en situation de souffrance professionnelle qui ont quitté le groupe car ils en étaient dégoûtés. Ceux qui ont réussi à tenir sous la pression ont du changer de travail et de région tous les six mois. Ceux qui ne voulaient pas se soustraire à cette politique ont donné leur démission, mais ceux qui se sont accrochés et qui pour des raisons de valeur professionnelle souhaitaient continuer à travailler chez France Télécom ont été mis dans des situations de souffrance psychologique assez grave.

La Justice estime qu’il y a eu 35 suicides et les organisations syndicales en déclarent une soixantaine. En revanche, au moment où nous écrivions notre enquête sur les politiques managériales de l'entreprise, il y avait déjà eu 25 suicides et rien n’avait été fait pour élucider leurs raisons profondes. On considère assez cyniquement que les gens ont de nombreuses raisons de mettre fin à leurs jours, mais dans le cas de France Télécom des éléments probants ont été recueillis tels que des lettres laissées par certaines victimes sur le lieu de travail, qui explicitaient très bien leur situation professionnelle. L’administration générale a reçu des copies de ces lettres et elle n’a pas agi.

Cette attitude aggrave le cas de France Télécom. La politique qui voulait les départs n’a pas tenu compte des alertes qui lui arrivaient des victimes, des managers et des représentations syndicales.

Enfin, Christine Lagarde, la ministre de l’économie de l’époque, a renié le rôle que l’État avait à jouer dans cette affaire en estimant qu'il était très minoritaire dans le capital de France Télécom. D’autre part Denis Lombard, lors de la visite d’un très important site de recherche et développement de Lannion, a eu la maladresse de dire qu’il ne fallait pas céder à un effet de mode, et arrêter d’aller à la pêche aux moules. Cette phrase - pleine de cynisme - reprise par toute la presse française avait motivé sa démission de la tête du groupe.

Au-delà de ce projet « Next », n’y avait-il pas un autre moyen de procéder, plus conciliant, pour réduire la masse salariale de l’entreprise ?

L’évolution de France Télécom - auparavant  un département du ministère des Postes et Télécommunications, employant donc des fonctionnaires - avait entraîné, dans le cadre d’une dérégulation européenne des télécoms, la privatisation et une série de réformes prévues dès les années 1990. Beaucoup d’efforts ont été fournis par les services de ressources humaines et les directions pour préparer cette importante mutation. Il y avait de nombreux processus d’accompagnement, de sensibilisation et de formation qui amenaient les employés à évoluer. Ceux-ci en ont profité pour s’élever professionnellement et la transformation dans un premier temps s'est opérée dans de relatives bonnes conditions.

Le surinvestissement de France Télécom à l’international a entraîné un endettement record de plusieurs centaines de milliards d’euros a poussé à un retournement de situation. Le gouvernement français de l’époque y a mis le holà et Michel Bon responsable de cette politique a été remercié et remplacé par Thierry Breton, dont la mission principale était de remettre à flot les finances en coupant en priorité toutes les missions d’accompagnement de ressources humaines. Thierry Breton a sévi pendant près de quatre ans avant d’accepter le poste de ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie dans le gouvernement Raffarin III*.

Didier Lombard a repris son poste. Mais sa formation d’ingénieur en recherche et développement ne lui donnait pas les aptitudes nécessaires à un poste de gestion des ressources humaines.

*(NB : Thierry Breton tient à préciser que le plan NExT a été conçu et lancé par Didier Lombard en juin 2005. Lui-même avait alors quitté l'entreprise pour devenir en février de la même année Ministre de l'économie des finances et de l'industrie.)

France Télécom n’a donc pas su gérer jusqu’au bout sa privatisation ?

L’objectif du licenciement de 22 000 personnes était complètement irréalisable et a mené à une trop forte rigidification des méthodes. La crise de 2008-2009 ne pouvait qu’éclater. En effet, pour ces 22 000 personnels excédentaires il n’y avait aucunes propositions de départ à la retraite ou de départ volontaire possible. Tous ceux qui étaient déjà partis en pré-retraite avaient reçu des avantages et les quotas étaient clos.

L’ancien management était issu de la fonction publique avec une conception très ancienne de l’administration qui ne pouvait que déboucher sur les conséquences que l’on a constatées.

Peut-on imaginer - maintenant que le système semble fortement remis en question en raison de la mise en accusation de Didier Lombard - une réadaptation managériale plus douce ?

Sous l’impulsion de la nouvelle direction, il y a eu un très grand travail d’attention pour éviter d’imposer cette politique de mobilité forcée et rétablir les politiques d’accompagnement des ressources humaines, et les autres processus de réorganisation. C’était indispensable pour une société qui est amenée à devenir à terme un des prochains leaders mondiaux des télécoms et qui sera donc très exposée.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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