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Comment nos sociétés se sont transformées en machines à générer de la solitude chez les jeunes
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Seuls... si seuls

Une étude parue dans le quotidien La Croix indique que les jeunes adultes ont tendance à se sentir de plus en plus seuls. Un phénomène qui n'est pas sans rapport avec la valorisation de la sociabilité et de la célébrité.

Sébastien Dupont

Sébastien Dupont

Sébastien Dupont est psychologue auprès d’enfants et d’adolescents (Centre hospitalier d’Erstein, Alsace) et docteur en psychologie (Université de Strasbourg).

Il est l’auteur de Seul parmi les autres : le sentiment de solitude chez l’enfant et l’adolescent (Éditions Érès, 2010).

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Une enquête récente, commandée par la Société de Saint-Vincent-de-Paul et publiée dans La Croix, confirme une tendance qui avait déjà été indiquée par d’autres études : les adolescents et jeunes adultes disent de plus en plus se sentir seuls ou exclus. Comment interpréter cette généralisation du sentiment de solitude chez les jeunes générations ? Comment comprendre que les jeunes se sentent si isolés, si « déliés », si peu intégrés à leurs cercles d’appartenance naturels (famille, amis, camarades d’étude, collègues de travail…) ?

Un phénomène de société

Chaque cas, bien sûr, est singulier. Et la sensibilité au sentiment de solitude ou d’exclusion relève de nombreux facteurs psychologiques et affectifs qui participent du parcours individuel de chacun. Mais, au-delà de ces cas particuliers, ces enquêtes nous révèlent le caractère généralisé et sociétal de ce phénomène. Du point de vue sociologique, elles nous font voir combien nos sociétés peinent à donner à leur membres le sentiment d’en faire partie, d’y appartenir. Comme l’avait anticipé, avec clairvoyance, le célèbre sociologue Émile Durkheim, dès le début du xxe siècle, les sociétés modernes, individualisées et étatisés, exposent leurs membres au sentiment d’isolement et d’anomie.

Le sentiment de solitude fait ainsi partie des états psychiques qui ont émergé et se sont amplifiés chez les individus des sociétés industrialisées, parallèlement à la dépression et aux idées suicidaires. Il apparaît comme le revers inévitable de la liberté et de l’individualisme de l’homme moderne. Si sa généralisation est attestée à tous les âges de la vie, les jeunes, qui ont justement pour tâche de s’entrer dans la société, y sont particulièrement vulnérables.

La solitude : un sentiment subjectif et relatif

Pour mieux comprendre ce phénomène, il faut bien distinguer le sentiment de solitude (la solitude « perçue ») de l’isolement social réel, car les deux ne vont pas toujours de paire : les personnes qui se sentent les plus seules ne sont pas nécessairement les plus isolées socialement, et vice versa. Non seulement le sentiment de solitude est subjectif, mais il est surtout relatif : chacun juge son « capital social » à l’aune du niveau de sociabilité à laquelle il aspire ou de celui que la société qui l’entoure présente comme souhaitable.

Le sentiment de solitude fonctionne un peu à la manière du sentiment de pauvreté ; on se sent d’autant plus pauvre que l’on côtoie des gens riches où que la société qui nous entoure nous fait penser que l’on pourrait devenir riche (à Las Vegas, par exemple, tout le monde peut se sentir relativement pauvre, eu égard aux potentialités d’enrichissement que les casinos font miroiter). Il en est de même de la « richesse relationnelle » : lorsque l’on côtoie des gens qui bénéficient d’un « capital social » qui paraît beaucoup plus élevé que le sien ou que l’on a l’impression que l’on pourrait ou que l’on devrait avoir un niveau de sociabilisation plus élevé, alors on peut dévaluer sa propre vie affective et sociale.

C’est à cet endroit que s’insinue le facteur culturel du sentiment de solitude. La société dans laquelle grandissent les jeunes d’aujourd’hui encourage chacun à être le plus « sociable » possible et à multiplier autant que faire se peut ses « contacts » et ses milieux de socialisation. Elle prône également les valeurs de la célébrité, de la notoriété publique, de la popularité… Les multimédias, les réseaux sociaux et les émissions de téléréalité symbolisent très bien ces idéaux contemporains : très souvent, la valeur d’une personne, d’une opinion ou d’une action y est mesurée quantitativement, sur le modèle de l’audimat (le nombre d’amis, le nombre de clics, le nombre de « Untel aime ça », le nombre de votes…).

Il ne faut pas pourtant diaboliser les multimédias, qui ne sont pas responsables de cet état de fait. Ils ne sont que le miroir grossissant de phénomènes qui fonctionnent à l’échelle de la société entière, bien au-delà de leur seule sphère. Dans les collèges et lycées, par exemple, la popularité est devenue une valeur dominante et un organisateur des rapports entre jeunes : la place et le rang de chacun sont déterminés par le fait qu’il est plus ou moins « connu » dans son établissement, sur une échelle qui va des « populaires » aux « paumés » ou « SAF » (Sans Amis Fixes).

Ce que nous apprennent les études récentes, c’est que, dans nos sociétés qui prônent ces valeurs abstraites de haute sociabilité, voire de célébrité, une grande part des individus se sentent perdants et finalement assez seuls. À l’aune de l’idéal d’une sociabilité potentiellement infinie, que les multimédias donnent l’illusion de pouvoir atteindre, chacun a tendance à dévaloriser sa vie relationnelle réelle.

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