Automédication : les Français sont-ils réellement capables de se prendre en charge ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Se passer de l'avis du médecin pour soigner les petits soucis quotidiens est devenu une habitude pour nombre de Français.
Se passer de l'avis du médecin pour soigner les petits soucis quotidiens est devenu une habitude pour nombre de Français.
©Reuters

Médocs à volonté

Permettre aux Français d'avoir des médicaments en accès libre, à l'image du modèle américain, est un débat qui se pose de plus en plus vivement. Sylvie Fainzang dans "L'automédication ou les mirages de l'autonomie'' tente d'en faire émerger les enjeux (Extrait 1/2).

Sylvie Fainzang

Sylvie Fainzang

Sylvie Fainzang est anthropologue et directeur de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Elle a publié "La relation médecins-malades : information et mensonge" (Puf - 2006).

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Pour le bonheur des uns et le malheur des autres, un décret du 30 juin 2008 a autorisé le libre accès à un certain nombre de médicaments. La question du libre accès suscite de vifs débats concernant, d’une part, l’accès aux médicaments sans prescription médicale obligatoire et, d’autre part, l’accès direct aux médicaments vendus en pharmacie et placés non pas derrière le comptoir mais dans l’« espace usagers » (ou ce que les Anglo-Saxons appellent over the counter). Le débat devient plus aigu encore lorsque la question du libre accès aux médicaments se double de celle de leur distribution et que les grandes surfaces tentent de contester le monopole des pharmacies en la matière.

Le premier volet du débat a pour enjeu la possibilité qu’a le malade de se passer, pour certains médicaments, de prescription médicale ; le deuxième questionne la possibilité qu’a le malade de se passer, à certaines conditions, de la médiation du pharmacien ; le troisième porte sur la possibilité qu’a le malade de se passer de son conseil. Dans tous les cas, les différentes formes que prend cette controverse posent la question de la capacité du malade à décider seul d’acquérir des médicaments pour certaines spécialités. La dimension économique de cette controverse est évidente. Elle est même, pour certains acteurs, décisive, puisque l’automédication implique la prise en charge financière des consommations médicamenteuses par les usagers.

Pourtant, qu’il s’agisse de l’État, de l’industrie pharmaceutique, des pharmaciens, des médecins ou des usagers, les acteurs évoquent bien d’autres raisons et d’autres arguments pour faire valoir leur position. Le lien entre les trois volets, ou les trois niveaux de ce débat (pour ou contre l’automédication, pour ou contre le libre accès aux médicaments, et pour ou contre leur vente en grandes surfaces), réside dans le fait que l’un peut contenir l’autre sans que l’inverse soit nécessairement vrai. Ainsi, le libre accès suppose l’automédication, mais l’automédication ne suppose pas nécessairement l’accès aux médicaments « devant le comptoir » ; de même, la vente en grandes surfaces suppose le libre accès mais celui-ci n’implique pas nécessairement qu’il puisse se faire en grandes surfaces. Il y a donc un emboîtement des niveaux de la controverse à tel point que, dans le débat de deuxième ou de troisième niveau, les acteurs mobilisent souvent des arguments plaidant en faveur ou en défaveur de l’objet du débat de niveau précédent.

Bien que la plupart des usagers soient favorables à l’automédication, les avis sont plus réservés en ce qui concerne le libre accès, pour des raisons thérapeutiques ou économiques. Les uns accueillent favorablement cette mesure, tout en espérant voir les pharmaciens conserver un rôle de conseil, et ne pas laisser les grandes surfaces s’emparer de ce secteur : «N’y a-t‑il pas de risque à acheter ces substances en même temps que des oeufs ou du chocolat ? Le contrôle réalisé par le pharmacien lors de la vente n’est pas juste un mythe, il évite de nombreux accidents médicamenteux », déclare une internaute.

D’autres, par contre, s’inquiètent des conséquences du libre accès, précisément parce qu’il préfigure une ouverture possible vers la vente en grandes surfaces, en ce qu’il implique une banalisation du médicament : « Le médicament n’est pas un bonbon comme Leclerc le représente dans sa pub avec ce collier qui ressemble à ces colliers de bonbons comme on en mangeait quand on était enfant ! », un argument éludé par ceux qui notent que les pharmacies vendent, elles aussi, des bonbons. Par contraste, un certain nombre d’usagers envisagent favorablement que cet accès puisse se faire en grandes surfaces. Une enquête CSA-CECOP de février 2007 révèle d’ailleurs que 24% des personnes se déclarent prêtes à acheter des médicaments ailleurs qu’en pharmacie, et que ce chiffre monte à 34%pour ceux qui pratiquent souvent l’automédication (La Mutualité française, 2007). 

Sur le plan strictement économique, le décret suscite aussi des réactions contrastées : les uns déplorent les effets d’une baisse de prix et craignent l’incitation à la consommation que cette mesure risque de provoquer, tandis que d’autres apprécient que ce décret oblige le pharmacien à afficher le prix des médicaments exposés, et que d’autres encore y voient au contraire l’annonce d’une augmentation des prix des médicaments en libre accès, le débat se trouvant obscurci par les incertitudes sur les effets du libre accès sur les prix. Mais c’est aussi pour des raisons économiques que l’éventualité d’une vente des médicaments par la grande distribution est envisagée favorablement par certains.

Dans ce contexte, l’argument du rôle de conseil du pharmacien est éludé par ceux qui laissent entendre que, de toute façon, le rôle de « conseil » du pharmacien est un mythe : « Lorsqu’on se présente dans une pharmacie, on ne nous demande rien de plus qu’au supermarché ; on nous sert, un point c’est tout, les pharmaciens sont devenus des épiciers ; ils sont là pour vendre et faire du chiffre, c’est tout ! »Enfin, le libre accès aux médicaments, qu’il s’effectue en pharmacie ou en grandes surfaces, est favorablement accueilli par les usagers De l’autre côté du comptoir qui apprécient de pouvoir choisir et refusent l’infantilisation qu’impliquait pour eux l’impossibilité d’accéder librement à ces médicaments auparavant, comme l’attestent les formules : « Nous sommes capables de prendre en charge nos petits bobos ! », ou encore : «On n’est pas des gamins. On sait quand même ce qu’on fait ! », invoquant l’argument de leurs compétences et le désir de prendre en main leur santé.

Comme on le voit, cette controverse se développe autour de questions diverses, comme par exemple celle du « risque » ou du « danger», associées pour les uns au libre accès aux médicaments, pour les autres à la simple automédication. Cependant, par-delà les enjeux qui les gouvernent, les présupposés sur lesquels ils reposent et les contradictions qu’ils recèlent, il convient de s’interroger sur la manière dont s’organisent certains aspects du débat, dans ses dimensions dialogique et rhétorique.

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Extrait de L'automédication ou les mirages de l'autonomiePUF (13 juin 2012)

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