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En abattant Oussama Ben Laden, les Etats-Unis ont-ils violé leur propre droit ?
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Face à la Mecque

Le 2 mai 2011, les Etats-Unis annoncent la mort d'Oussama Ben Laden. Mais les conditions et le déroulement du raid qui viendra clore une décennie de traque resteront très flous. Dans "La mort de Ben Laden" Jean-Dominique Merchet tente de faire la lumière sur la démarche et le travail des services secrets américains pour débusquer le réfugié d'Abbottabad. (Extrait 1/2)

Jean-Dominique Merchet

Jean-Dominique Merchet

Jean-Dominique Merchet est journaliste à L'Opinion. Il a travaillé pendant vingt ans sur les questions militaires.

Auteur du blog Secret Défense, il a récemment publié Une histoire des forces spéciales (Jacob-Duvernet / 2010) et de La mort de Ben Laden (Jacob-Duvernet / 2012).

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«Justice est faite », mais une justice sans procès ? En tout cas, elle s’exerce dans un cadre parfaitement légal en droit américain. Trois jours après les attentats, le Congrès (Sénat et Chambre des représentants) adoptait à l’unanimité, moins une voix, un texte baptisé « Autorisation de l’emploi de la force militaire ». Cette résolution, entrée en vigueur le 18 septembre 2001 et maintenue telle quelle sous l’administration Obama, stipule que  «le président est autorisé à utiliser toute la force nécessaire et appropriée contre les nations, organisations ou personnes dont il juge qu’elles ont planifié, autorisé, commis ou aidé les attaques terroristes du 11 septembre, ou qui abritent de telles organisations ou personnes, dans le but de prévenir tout acte de terrorisme futur contre les États-Unis par ces nations, organisations ou personnes. »

Il n’y a guère de doute qu’Oussama Ben Laden entre bien dans la catégorie des « personnes » ayant « planifié, autorisé, commis ou aidé » les attentats du 11 septembre, contre lesquels le président des États-Unis est autorisé à « utiliser toute la force nécessaire et appropriée ». Mieux, dans les documents découverts à Abbottabad, les services américains apprendront que Ben Laden préparait de nouveaux attentats contre le président Obama et le général Petraeus, alors commandant des forces américaines en Afghanistan. L’avion présidentiel, Air Force One, était explicitement visé. L’homme auquel cette mission avait été confiée était un Pakistanais, Ilyas Kashmiri. Il a probablement été tué depuis, dans une frappe aérienne au Pakistan en juin 2011.

Reste que les « assassinats » ciblés contre des dirigeants politiques sont illégaux au regard du droit américain. Trois présidents (Gerald Ford en 1976, Jimmy Carter en 1978 et Ronald Reagan en 1981) ont signé des décrets – executive orders – bannissant de telles pratiques. Les juristes du gouvernement américain ont expliqué que ce texte ne s’appliquait pas dans le cas de Ben Laden, puisque sa mort s’inscrivait dans le cadre d’un conflit armé entre les États-Unis et Al-Qaïda. Dans ce cas, « il n’est pas interdit de tuer des dirigeants particuliers (specific leaders) du camp opposé », affirme ainsi l’ancien juriste du département d’État, John Bellinger III. Toute la question revient donc à définir exactement le statut juridique de Ben Laden au moment où les Seals investissaient sa maison d’Abbottabad.

Était-il un « combattant » en guerre avec les États-Unis ou un homme suspecté d’avoir commis des crimes et, à ce titre, recherché par la Justice ? Dans ce cas, il ne pouvait être tué que s’il représentait une « menace immédiate » pour les personnels venus l’arrêter. Or, le chef d’Al-Qaïda n’était pas armé au moment où il a reçu une balle dans la poitrine et une autre dans le front, même s’il ne semble guère avoir manifesté l’intention explicite de se rendre. Combattant ennemi, alors ?Sans doute, mais avec un bémol : s’il avait été arrêté vivant, Ben Laden n’aurait pas été considéré par les Américains comme un prisonnier de guerre relevant des conventions de Genève.

On le voit, dans le cas de Ben Laden, comme dans celui des détenus de Guantanamo, les catégories juridiques héritées du passé ne parviennent plus à décrire, et encore moins à encadrer, la réalité de la lutte contre le terrorisme – même lorsqu’elle est conduite par un prix Nobel de la Paix ! Pour passionnants et importants qu’ils soient, ces débats juridiques n’ont pas pesé bien lourd dans l’opinion publique face à l’ampleur de la victoire politique que les États-Unis venaient de remporter. Victoire que le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon salue même comme « un tournant dans notre lutte globale contre le terrorisme ».

Dans le monde musulman, les réactions sont plus contrastées, qu’elles proviennent des gouvernements et surtout des opinions publiques. Le Maroc, la Libye de Kadhafi, le Liban, l’Arabie saoudite, l’Irak applaudissent. L’Iran adopte une position très prudente, mais d’autres voix, nettement plus discordantes se font entendre. Comme les Frères musulmans d’Égypte, les islamistes du Hamas, qui gouvernent la bande de Gaza, « condamnent l’assassinat de ce saint combattant arabe ».

C’est au Pakistan que les réactions sont les plus… compliquées. Immédiatement, le Premier ministre Yousuf Raza Gilani (gauche) « se réjouit du succès de cette opération » et annule aussitôt son départ pour une visite officielle en France. Quelques heures plus tard, le gouvernement parle d’une « action unilatérale non autorisée », qui ne sera plus tolérée à l’avenir. L’opposition se déchaîne contre un pouvoir qui braderait la souveraineté nationale. En réalité, les Pakistanais sont fous de rage : ils savent que leur double-jeu et leur « tolérance » à l’égard du terrorisme islamique viennent d’être dévoilés aux yeux du monde entier – Ben Laden habitait quasiment aux portes de leur Académie militaire !

Pour tenter d’effacer toute trace de leur honte, le gouvernement d’Islamabad donnera, quelques mois plus tard, l’ordre à son armée de détruire la maison d’Abbottabad – déjà interdite au public. Le 25 février 2012, les bulldozers de l’armée raseront Waziristan Haveli au milieu des badauds et des caméras de télévision. Les épouses de Ben Laden seront placées au secret, en résidence surveillée, avant d’être expulsées vers l’Arabie saoudite un an plus tard, le 27 avril 2012.

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Extrait de La Mort de Ben LadenJACOB DUVERNET (3 mai 2012)

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