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Organisation de Coopération
de Shanghaï : vers un axe Russie/Eurasie contre l'Occident ?
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Diplomatie

La priorité de Vladimir Poutine n'est pas la création d'un véritable partenariat avec les Occidentaux mais plutôt celle d'un axe Russie-Eurasie, les yeux tournés vers le « monde des émergents ».

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Réuni à Pékin, les 7-8 juin 2012, le sommet de l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghaï) permet aux dirigeants russes et chinois d’afficher leurs convergences. Ce n’est pas seulement une mise en scène. Vladimir Poutine a d’autres priorités qu’un véritable partenariat d’ensemble avec les Occidentaux. Il entend donner forme à une sorte de Russie-Eurasie et se tourner vers le « monde des émergents ».

Si Vladimir Poutine a pu décliner l’invitation au G8 de Washington ainsi qu’au sommet euro-atlantique de Chicago, les 18 et 19 mai derniers, un tel comportement vis-à-vis de la Chine et des Etats de l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghaï), était inconcevable. De fait, le sommet de Pékin aura soigneusement mis en scène la relation spéciale entre les présidents russe et chinois. Il ne s’agit pas là d’un leurre destiné à rehausser la position russe dans la négociation d’un « grand marché » avec l’Occident. Poutine entend être le refondateur de la Russie définie comme une puissance eurasiatique et rassemblant autour d’elle l’ex-URSS. Plus largement, le partenariat sino-russe et la promotion de l’OCS comme forum de coopération et de sécurité visent à marginaliser les puissances occidentales en Haute-Asie, d’où l’importance qu’il faut accorder aux logiques qui sous-tendent l’événement.

La fondation de l’OCS

Une rapide mise en perspective s’impose. La fondation de l’OCS voici plus d’une décennie a pour préalable le resserrement des relations entre Moscou et Pékin dans l’après-Guerre froide, en contrepoint de l’hégémonie américano-occidentale. Au lendemain d’un sommet du G8 organisé à Moscou, Boris Eltsine se rend en Chine, du 24 au 26 avril 1996, pour y lancer un « partenariat stratégique » entre les deux pays. De nombreux accords sont alors signés concernant la mise en place d’un « téléphone rouge », des transferts de technologie nucléaire civile, l’exploitation des ressources énergétiques, la coopération militaro-industrielle et les échanges commerciaux. Depuis, les ventes d’armes russes à la Chine ont très fortement baissé mais la coopération énergétique s’est traduite par la construction d’un oléoduc reliant les gisements de Sibérie orientale à Daqing (les négociations relatives à la construction de gazoducs n’ont pas encore abouti à ce jour) et le commerce bilatéral s’est renforcé.

La recherche de synergies en Asie centrale est prolongée par la signature à Shanghaï, le 26 avril 1996, d’un traité de sécurité régionale liant aussi le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Le texte donne forme au « groupe de Shanghaï », un vague cénacle qui ne retient guère l’attention dans un premier temps. La coopération porte sur la négociation d’accords frontaliers entre les pays signataires (leurs frontières communes sont longues de 8000 km), la lutte contre l’extrémisme, le terrorisme et le séparatisme, le tout dans une optique de stabilité régionale alors que les Talibans prennent le pouvoir à Kaboul. Cette coopération ouvre ensuite sur la fondation de l’OCS, le 26 avril 2001. Le secrétariat de l’OCS est sis à Pékin et Tachkent, ancienne capitale du Turkestan russe, abrite une « structure anti-terroriste régionale ». Outre les pays susmentionnés, l’OCS accueille l’Ouzbékistan (2001). En 2004, la Mongolie obtient un statut d’observateur et, l’année suivante, l’Inde, le Pakistan et l’Iran  sont à leur tour conviés en tant qu’observateurs à l’OCS. C’est désormais le cas de l’Afghanistan.

Des objectifs multiples et opposés

La Russie et la Chine utilisent l’OCS pour promouvoir un discours « anti-hégémonique » contre les Etats-Unis et l’OTAN, engagés en Afghanistan depuis 2001 (opération Enduring Freedom) et disposant de bases en Ouzbékistan (base de Karshi-Khanaba), jusqu’en 2005 du moins, ainsi qu’au Kirghizstan (base de Manas). Pourtant, le jeu est autrement complexe. Schématiquement, la Russie cherche à utiliser l’OCS pour contrôler la poussée énergétique et commerciale de la Chine en Asie centrale tout en légitimant sa présence régionale en tant que puissance eurasiatique. La Chine entend quant à elle faire de l’OCS une « plate-forme » d’influence, renforcer ses réseaux bilatéraux en Asie centrale, accroître ses importations d’hydrocarbures en provenance de la Caspienne, promouvoir ses exportations de biens manufacturés et de services (ingénierie et BTP). Pour les pays d’Asie centrale, l’enjeu est de sortir du tête-à tête avec la Russie et de développer une diplomatie multivectorielle qui consolide leur indépendance, les capitaux chinois permettant par ailleur de financer les infrastructures qui font défaut.

Bien que des manœuvres militaires communes soient régulièrement organisées, l’OCS ne saurait être comparée à une alliance, moins encore à une sorte d’«OTAN eurasiatique ». Les Etats membres ne sont pas liés entre eux par une clause de défense mutuelle et les rivalités sont multiples, notamment en Asie centrale. Les dirigeants russes voudraient développer des liens militaires organiques entre l’OCS et l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective), ce qui renforcerait leur position propre. Ils promeuvent la candidature de l’Inde pour contrebalancer le poids de la Chine et s’opposent à la négociation d’une zone de libre-échange (la Russie privilégie la Communauté économique eurasiatique). Les dirigeants chinois veulent mettre en avant la dimension économique de l’OCS et ils ont une vision plus globale des enjeux (voir l’importance des relations sino-américaines au plan commercial et financier), bien au-delà de l’Eurasie à laquelle se réfère officiellement l’organisation de Shanghaï.

La «  Russie-Eurasie » contre l’Occident

Les incertitudes quant au devenir de la coopération régionale ne doivent cependant pas occulter les réelles convergences diplomatiques entre Pékin et Moscou, sur la Syrie comme sur l’Iran, avec en toile de fond le renforcement de liens économiques multiformes (commerce, énergie, investissements). Cette tendance globale s’inscrit dans la durée et elle contredit le scénario de l’inévitable conflit militaire entre Pékin et Moscou pour la Sibérie et l’Extrême-Orient, scénario selon lequel les masses démographiques chinoises en quête d’espace et de ressources naturelles se déverseraient dans les immenses « vides » du territoire russe.  C’est pourtant sur cette nouvelle variante du « péril jaune » que l’on cherche à se convaincre, dans les capitales occidentales, de convergences naturelles avec la Russie. Nonobstant les effets de concurrence, en Asie centrale plus que sur les 4300 km de frontières communes, la relation sino-russe devrait être encore renforcée dans les années à venir (doublement des échanges commerciaux d’ici 2020, mise sur pied d’un fonds d’investissement sino-russe, prêts de la Banque de développement de Chine à la Russie).

Les perceptions occidentales de la Russie semblent distordues par l’ambivalence historique de cet Etat-continent à cheval sur l’Oural et les débats philosophico-littéraires du XIXe siècle entre slavophiles et occidentalistes. Selon cette approche, la Russie serait destinée à balancer entre l’Orient et l’Occident, sans identité géopolitique propre. Dans la présente conjoncture, la menace chinoise à l’Est, l’Islam au Sud, la concentration des populations dans la partie européenne du territoire et les facteurs culturels sont sensés  conjuguer leurs effets pour un ancrage à l’Ouest, pour peu que les Occidentaux y mettent de la bonne volonté. Tel n’est pas le dessein de Poutine qui entend refonder la puissance de l’Etat russe, constituer une Union eurasienne dans cet « étranger proche » revendiqué sitôt l’URSS disloquée, et poser la Russie-Eurasie comme tiers entre l’Asie et l’Occident. Sur un plan plus général, Poutine considère comme acquis le déclin de l’Occident et il <se tourne vers les puissances émergentes, d’où l’intérêt porté à la Chine, à l’Asie de la haute croissance et aux « BRICS ». 

Un « lointain géographique » ?

Le partenariat sino-russe, les développements de l’OCS et le monde des émergents ne sont certes pas exempts de rivalités de puissance et de projets mais comment pourrait-il en être autrement dans ce que Pascal nomme l’«ordre de la chair » ? Le fait est que la Russie de Poutine ne suit pas la voie du rapprochement avec l’Occident, mise sur la déréliction de l’UE comme de l’OTAN et renforce ses liens avec la Chine.

A Paris, ces évolutions sont perçues comme relevant d’un « lointain géographique », sans retombées sur la géopolitique européenne et atlantique. D’aucuns  voudraient même y voir des garanties de sécurité pour l’Afghanistan, ce qui viendrait justifier la lamentable annonce d’un retrait anticipé depuis ce théâtre. En cet âge global plus que jamais, il faut pourtant redouter les effets des nouveaux rapports de forces qui s’élaborent dans les profondeurs asiatiques.

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