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Alcoolisme et Police : comment
la boisson est devenu un moyen
de faire face aux risques
de la profession
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De la bibine au travail

L'image des policiers qui filent toutes sirènes hurlantes... vers le bistrot du coin, est ancrée dans les esprits, tous les humoristes en ont fait un sketch. Pourtant ce problème de consommation d'alcool est inhérent à toutes les professions pénibles, notamment pour ses vertus d’anesthésiant émotionnel. Un phénomène qu'analyse Nadège Guidou dans "Malaise dans la Police" (Extraits 2/2).

Nadège Guidou

Nadège Guidou

Nadège Guidou est psychologue du travail. Elle s'occupe de personnes en souffrance professionnelle, de demandeurs d'emploi ou de victimes de harcèlements. En parallèle, elle mène des recherches autour de la violence sociale tout en étant rédactrice web pour la revue Psychologie. Elle est également l'auteur de "Malaise dans la police", Eyrolles (31 mai 2012)

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Le problème de la consommation d’alcool dans la police nationale est connu et reconnu depuis déjà quelques années. Selon une étude[1] menée par l’ Assurance maladie et le CFES (Comité français d’éducation pour la santé), les professions les plus exposées au risque d’une consommation élevée d’alcool sont les plus pénibles physiquement (agriculteur, manutentionnaire, etc.) et celles en contact avec le public (artisans, représentants, patrons de café, agents de police, journalistes, etc.).

Certains y voient une opportunité de critiquer ouvertement les policiers et de remettre en question leurs valeurs morales, un raisonnement dont le bénéfice immédiat est la remise en cause de leur autorité. Pourtant, là encore, il nous faut être particulièrement précis : effectivement, l’alcool est un problème régulièrement rencontré dans la police nationale, mais non, il ne provient pas de l’individu : « Ce n’est pas l’alcoolisation qui est amenée au travail, c’est le travail qui amène l’alcoolisation. »[2]

L’étude est particulièrement claire sur ce point puisqu’elle démontre scientifiquement les liens entre dégradation des conditions de travail et consommation d’alcool. Après avoir présenté le stress et les conditions de travail pénibles comme des circonstances favorisantes, les auteurs insistent sur l’emploi de l’ alcool comme une aide dans la gestion de l’angoisse et de l’anxiété. Progressivement, la dépendance au produit aidant, toutes contrariétés entraînent la consommation, y compris la fatigue, la soif ou encore l’ennui.

(Cliquez sur l'image pour agrandir)

On voit, à la lecture de ce tableau, que le métier de policier, sans même parler du stress et des dangers, cumule plusieurs conditions de travail propices à l’ alcoolisme : en plein air la moitié du temps, régulièrement en contact avec le public, déplacements fréquents et rapides, posture debout prolongée. Le recours à une consommation d’alcool au travail est en outre une pratique commune dans l’ensemble des métiers où la peur et la mort sont présentes : métiers de la sécurité mais aussi du bâtiment et des travaux publics, pompiers, etc.

L’alcool engendre en effet une anesthésie émotionnelle permettant de réaliser le travail tout en étant « détaché » de la réalité. Il soude également le groupe autour d’une pratique socialement virile et offre un moyen de prouver sa masculinité. Comme les autres pratiques défensives, la consommation d’alcool ne peut concerner un seul individu mais est assumée collectivement, d’une part parce que la confrontation aux difficultés du métier concerne l’ensemble des agents, d’autre part car l’atteinte des valeurs morales serait bien trop importante pour un sujet isolé. Réparties entre les membres du collectif de travail, ces pratiques sont banalisées, permettent un délitement des responsabilités et soudent le groupe. Enfin, l’alcool permet de lever les mécanismes de censure morale, de réduire voire supprimer les inhibitions et donc de réaliser le « sale boulot ».

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Extrait de Malaise dans la police, EYROLLES (31 mai 2012)



[1] CNAMTS/CFES, « Alcool et Travail. Prévention des risques liés à l’alcool en milieu professionnel », 2001.

[2] Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, op. cit., p. 37.

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