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Zone euro : 
l'Europe a-t-elle des leçons 
à tirer de l'explosion de l'URSS ?
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Rappel historique

Un éventuel éclatement de la zone euro est parfois comparé à la dissolution de l'URSS. Le rouble avait survécu 18 mois à l'Union soviétique. Mais il n’y avait pas de système bancaire dans l'Union socialiste... Jusqu'où peut-on filer la métaphore ?

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

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La dissolution de l’ex-Union soviétique est parfois comparée à ce que pourrait être un éclatement de la zone Euro. Cette comparaison se heurte à des différences très importantes.

Le processus de dissolution de l’URSS s’accompagnait d’une transition systémique importante (1). Rappelons que, dans le système soviétique, les entreprises n’avaient pas à se préoccuper de la vente de leurs produits et il n’y avait pas de système bancaire (la Banque d’État jouant tout à la fois le rôle de Banque Centrale, d’institut d’émission et de banque commerciale). Les prix étaient, dans leur grande majorité, soumis à une fixation par les administrations, ce qui impliquait un système complexe de subventions et de prélèvements. Par ailleurs, du fait de ce système, les particuliers n’étaient pas assujettis à l’impôt sur le revenu.
La destruction des institutions anciennes ne s’est pas accompagnée de la création d’institutions nouvelles, ce qui explique, dans une large mesure, la chute de production dans les premières années de la transition (2).
Mais, on peut cependant s’interroger sur les conditions de la dissolution de l’équivalent d’une Union Monétaire qu’a représenté le Rouble Soviétique, qui a survécu d’environ 18 mois à la dissolution de l’URSS.
Les conditions du fonctionnement de cette Union Monétaire à partir du moment où l’URSS a disparu et a été remplacée par les différents États de la CEI étaient encore moins encadrées par des règles que dans le cas de l’Euro. La survie du Rouble soviétique dans ces conditions a quelque chose de miraculeux, et témoigne de l’attachement psychologique des acteurs individuels et collectifs à cette monnaie.
Mais les miracles ne durent qu’un temps. Le commerce intra-URSS (et intra-CEI après décembre 1991) était largement déséquilibré en faveur de la Russie. Ce déséquilibre fut en réalité accentué par le passage très rapide aux prix mondiaux qui se fit dans le premier trimestre de 1992. Ce déséquilibre était particulièrement sensible en Ukraine. Or, rien ne venait l’équilibrer. Des subventions en provenance de la Russie auraient pu jouer ce rôle, mais l’idée d’un tel mécanisme se heurtait tant à un refus des dirigeants russes qu’à un refus des dirigeants ukrainiens de voir ces subventions avoir comme contrepartie des rachats des propriétés d’État issue du démembrement de la propriété « soviétique ».
L’Ukraine finança son déséquilibre commercial en « émettant » des Roubles soviétiques par sa Banque Centrale. Ce qui aurait été tolérable dans le cas d’une autre république ne pouvait l’être vu la taille de l’Ukraine. La création monétaire menaça le fragile équilibre, et en 1993, la Russie se décida à dissoudre de fait la zone Rouble en créant le « Rouble russe ».
Une première leçon est à tirer. Un déséquilibre commercial structurel n’est acceptable dans une monnaie unique que s’il y a en contrepartie des flux de transferts importants du pays excédentaire. Si ces flux n’existent pas ou plus (et dans la zone Euro c’est l’interruption des mouvements de l’épargne qui ici est en cause) l’union monétaire est condamnée.
Mais une deuxième leçon s’impose immédiatement. Le point de rupture survient lorsque le pays excédentaire dominant voit l’avantage du maintien de l’Union monétaire contrebalancé par l’ampleur des flux de transferts qu’il devrait concéder pour que cette Union se maintienne. Très concrètement, c’est la Russie qui a considéré qu’elle avait moins à perdre qu’à gagner dans la dissolution de la « zone Rouble ». Dans le cas de l’Euro, le problème se posera quand l’Allemagne fera ses comptes entre pertes de son commerce extérieur et subventions qu’elle serait obligée d’accorder aux pays périphériques.
La dissolution de la zone Rouble provoqua moins de drames qu’on n’aurait pu craindre, mais il faut ajouter que dans une majorité de pays des politiques, tant monétaires qu’économiques, très restrictives se mettaient en place. Ces politiques portent la majeure responsabilité de la dépression qui suivit.
Cependant, une troisième leçon peut être tirée. La Russie, on le sait, s’enfonça du fait de ces politiques dans une dépression de longue durée, qui la conduisit à s’endetter lourdement tout en cherchant à maintenir son taux de change à des niveaux clairement surévalués justement du fait de cet endettement. La crise financière devait atteindre son paroxysme en août 1998. La Russie, alors, fit défaut sur sa dette (les GKO) et laissa le rouble se dévaluer d’environ 50%. On la tint pour perdue. Ce fut au contraire sa chance.
Alors que le FMI pronostiquait pour 1999 une dépression de -5% mais le PIB russe s’accrut de 7%. Cet écart de 12 points entre une prévision et la réalité est depuis entré dans le Livre des Records ! Le budget de la Russie accusait en 1998 un déficit de -3,8%. En 2000, il affichait un excédent de +2,8% (3). Elle a connu une croissance continue de 1999 à 2008, passant ainsi du statut de pays quasiment en faillite à celui de pays émergents.
Les prix des matières premières n’ont pratiquement pas joué dans ce rétablissement. En effet, ils n’ont dépassé le niveau atteint à l’hiver 1997-1998 qu’à partir du second semestre de 2002.
Pour un pays en grande difficulté, la combinaison d’un défaut (partiel ou total) et d’une dévaluation importante est souvent la recette pour sortir de la crise.
L’Argentine a suivi la route de la Russie, et ne s’en est pas mal portée par ailleurs.
Toutes choses étant égales par ailleurs, il y a assurément des leçons à tirer, que ce soit pour la zone Euro dans son ensemble ou pour les pays en difficulté dans l’histoire des dix premières années de la transition dans l’ex-Union soviétique. Il est tragique que ce soit les mêmes, FMI et Union européenne, qui veuillent rester sourds à ces leçons.
(1)  Sapir J. (Sous la direction de), La Transition Russe Vingt Ans Après , Paris-Genève, Editions des Syrtes, 2012.
(2) Amsden A., Kochanowicz J. & Taylor  L. (1994), The Market Meets its Match, Cambridge, Mass. : Harvard University Press. Sapir J. (1995a), “Regards croisés sur la transition”, Économie Internationale , n° 62, 2ème trimestre, pp. 281-295.
(3)  Sapir, J. : "The Russian Economy: From Rebound to Rebuilding", in Post-Soviet Affairs, vol. 17, n°1, (janvier-mars 2001), pp. 1-22. Voir aussi, du même auteur, "Le consensus de Washington et la transition en Russie: histoire d'un échec", in Revue Internationale de Sciences Sociales, n°166, décembre, pp. 541-553.

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