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Google et les juifs : 
les effets pervers de la plainte 
des associations anti-racisme
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Du temps à perdre

Quatre organisations ont porté plainte contre Google. Elles reprochent au moteur de recherche un rapprochement systématique entre les personnalités de la vie publique et le mot "juif". Leur avocat, Me Patrick Klugman, y voit le "plus grand fichier juif de l'histoire". N'est-ce pas là une curieuse interprétation de la curiosité des internautes ?

Alexandre Villeneuve

Alexandre Villeneuve

Alexandre Villeneueve est associé de JIN, une agence de conseil en communication d'influence, spécialisée dans le digital. Il exerce en tant que Directeur Conseil et Qualité.

Il est co-auteur avec Edouard Fillias du blog E-Reputation et du livre E-Reputation (Ellipses - 2012).

 

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Atlantico : Quatre organisations (Union des étudiants juifs de France, J’accuse ! – Action internationale pour la justice, SOS Racisme, Mouvement contre la racisme et pour l’amitié des peuples) ont assigné Google en justice. Elles reprochent au moteur de recherche l’association du mot juif avec les noms de nombreuses personnalités et réclament l’interdiction d’une quelconque assimilation entre une appartenance ethnique ou religieuse et un nom. Que penser d’une telle démarche ?

Alexandre Villeneuve : Je trouve assez gênant que la plainte soit aussi concentrée sur le terme « juif ». Ils auraient pu s’intéresser de manière générale à tous les termes qui pourraient éventuellement porter préjudice. Certaines personnes pourraient considérer qu’il est problématique de voir leur nom relier à des mots comme « gay », « franc-maçon » ou « musulman ».

Je ne me souviens pas d’avoir vu des particuliers entamer ce type de démarches. Par contre, un certain nombre d’entreprises, en France, ont attaqué Google en justice pour que le rapprochement entre le nom de leur marque et le mot « arnaque » ne puisse plus être suggéré par le moteur de recherche. Dans ces cas-là, Google a fait en sorte de faire disparaître la suggestion. Il y a donc des chances que la plainte de ces quatre organisations aboutisse.

Le moteur de recherche anticipe-t-il ce type de démarches ou attend-il systématiquement des décisions judiciaires ?

Google ne fait rien sans décision judiciaire. C’est parfaitement logique. Il est par contre intéressant de se demander pourquoi le rapprochement entre le mot « juif » et les noms des personnalités est presque systématiquement fait par le moteur de recherche.

J’ai fait l’expérience avec mon propre nom. Si la suggestion n’est pas immédiate, il suffit de taper la lettre j après mon patronyme pour voir apparaître le mot « juif ». Cela veut dire que même pour mon nom à moi, des internautes ont effectué la recherche. Ils sont certainement peu nombreux car ceux qui cherchent mon nom doivent être relativement rares. Il suffit que quelques-uns aient tapé ces mots pour que d’autres aient imité la démarche.

Le rapprochement suggéré par Google peut entraîner une certaine curiosité. Si vous voyez, en tapant le nom d’une personnalité, le mot « juif » qui apparaît, vous pouvez être intrigué et avoir l’envie de vérifier l’information. Même si votre recherche initiale ne portait pas là-dessus, c’est une sorte de cycle infernal : tiens, « Sarkozy juif », cela donne envie de cliquer !

N’y a-t-il pas du coup le risque qu’une rumeur soit véhiculée par l’outil Google et ne soit prise comme une vérité par une partie des utilisateurs ?

Si, forcément. Pour reprendre cet exemple, certains internautes doivent peut-être comprendre que Sarkozy est juif juste parce que « Google le dit ».

Mais contrairement à ce qu’indique l’avocat des quatre organisations en question, Google ne devient en aucun cas une espèce de liste, de référencement des juifs. La preuve : les noms d’absolument tout le monde se retrouve reliés au terme « juif ».

Il ne s’agit pas d’antisémitisme. Les juifs sont simplement une communauté forte et influente qui interroge beaucoup. Tout dépend de la taille de la communauté dans une société. Je prends un autre exemple : les médias ont beaucoup dit que Vincent Bolloré était breton. Par curiosité, j’ai effectué la recherche : Google suggère effectivement assez facilement le rapprochement entre l’homme d’affaire et la région. Pourtant, il n’est pas breton. Il s’agit-là d’une curiosité communautaire.

Je suis par ailleurs en désaccord avec l’interprétation que font beaucoup de médias. On peut lire ici et là que cette fascination pour le mot « juif » dans Google est une spécificité française. C’est faux : si on tape « François Hollande » dans la version américaine, le mot « jew » apparaît. Même chose sur la version israélienne de Google où la suggestion apparaît aussi, ce qui montre que les utilisateurs israéliens du moteur de recherche effectuent la même recherche … et je ne suis franchement pas convaincu qu’il y ait beaucoup d’antisémites en Israël !

Une telle démarche ne risque-t-elle pas d’aboutir à l’apparition de tabous dans ce que l’on peut trouver sur les moteurs de recherche ? Google ne risque-t-il pas d’anticiper les plaintes pour éviter les ennuis ?

Dans le cas des entreprises, Google ne s’est pas posé de questions : tout rapprochement entre le nom d’une société et le mot « arnaque » a été systématiquement supprimé. C’est un moyen simple d’éviter les ennuis judiciaires.

Si la démarche de ces organisations aboutissait, Google pourrait adopter le même genre de politique vis-à-vis du mot « juif ». C’est d’autant plus injuste que certaines personnes sont peut-être très fières de cette appartenance et n’aimeraient pas la voir mise entre parenthèses. Le mot « juif » n’est tout de même pas un qualificatif négatif ! Pour que ce soit juste, il faudrait que chacun puisse effectuer des requêtes individuelles. Mais Google ne pourra jamais vérifier les identités et avoir des politiques pour chaque personne en fonction de sa volonté ou non de voir son appartenance religieuse cachée.

Les gens pourraient de plus réclamer la suppression de nombreux rapprochements. Les scientologues pourraient demander à ce que la suggestion soit évitée : Tom Cruise doit-il voir le terme « scientologue » placé sous embargo dans Google ?

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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